Tout va se dérouler en quatre consultations hebdomadaires au cabinet.
Première consultation
Mademoiselle K. a 34 ans ; elle en paraît plutôt 28. Son visage harmonieux est bordé de longues mèches noires qu’elle semble remettre en place comme le font parfois les adolescentes. En salle d’attente, un jeune homme d’une vingtaine d’années l’accompagne. Elle se lève à mon appel et me tend une main maladroite et fuyante. Elle manifeste comme un léger malaise au contact de ma peau, puis rentre dans le cabinet de consultation en murmurant un « Bonjour » à peine audible et en baissant le regard.
Les contacts visuels sont courts, entrecoupés de moments où elle sourit en baissant les yeux. Melle K. s’exprime à voix basse, replaçant souvent une mèche de cheveux, ou encore plaçant sa main sur sa gorge quand elle évoque un sujet difficile…
D’ores et déjà vous conviendrez sans doute de quelques points d’appels à peine névrotiques…
Mademoiselle K. décrit en chuchotant les angoisses qui l’amènent à consulter :
Melle K. : Je suis très angoissée, je suis terrorisée à l’idée d’aller me coucher le soir et je n’arrive pas à dormir, et quand j’y arrive je me réveille parfois en sursaut dans la nuit.
L.B. : Y a-t-il des manifestations somatiques de cette angoisse ?
Melle K. : Parfois j’ai une boule ici (montre sa gorge) et le cœur bat très fort par moments…
L.B. : Avez-vous repéré des situations qui font naître ces angoisses ?
Melle K. : Certaines ambiances, oui, ou les génériques des séries télé où on enquête sur des tueurs, je ne peux plus les regarder. J’ai parfois peur de devenir folle. (Très émue.)
Melle K. : J’ai deux petites filles de 8 et 11 ans. Je me suis séparée de leur père il y a cinq ans car je ressentais plus rien pour lui. Nous avons la garde alternée, ça se passe bien, je m’entends bien avec lui. Actuellement, j’ai un compagnon que je n’arrive pas à quitter. Je m’explique, il est très méchant (larmes). Vincent est plus jeune que moi, il est égoïste, il, comment dire… il m’insulte, vous savez. Il emploie des mots humiliants et je n’arrive pas à répondre quoi que ce soit. Le pire c’est que je lui tends la perche quand ça ne va pas, je montre que je ne suis pas bien, je lui dis même : « Je me sens mal, j’aimerais t’en parler », il me répond : « Ouais, tout à l’heure, je finis ma partie de jeu vidéo »…
L.B. : Je suis perplexe, pour quelqu’un d’indifférent à votre souffrance, il vous accompagne quand même à la consultation aujourd’hui et vous attend en salle d’attente.
Melle K. : (nouveau regard fuyant, légère érythrophobie du visage et du décolleté, Mademoiselle K. est mal à l’aise). Non, le jeune homme que vous avez vu, c’est quelqu’un d’autre.
L.B. : Qui est ce garçon ?
Melle K. : On s’est rencontrés il y a deux mois, il tient à moi et me le montre beaucoup mais vous voyez, il a 22 ans, il ne pourrait rien y avoir de sérieux, les gens me jugeraient tout de suite.
L.B. : Peut-être que pour lui c’est suffisamment sérieux pour vous accompagner en consultation ?
Melle K. : Je sais pas comment dire, c’est platonique, il est très attentionné, il s’occupe bien de moi.
Parlez-moi de votre soeur.
Le tableau histrionique apparaît désormais plus clairement.
Je recherche les circonstances d’apparition des angoisses et un moment chronique lui vient à l’esprit : le moment de s’endormir le soir à côté de Vincent, son compagnon.
Le compagnon actuel serait donc lié de près ou de loin à la symptomatologie.
L.B. : Quand vous avez quitté le père de vos filles il y a cinq ans parce que vous ne l’aimiez plus, vous n’avez éprouvé aucune difficulté alors que vous n’aviez à l’époque rien objectivement à lui reprocher, ce qui n’est pas le cas de votre compagnon actuel. Votre difficulté actuelle à quitter Vincent qui vous maltraite ouvertement peut donc paraître surprenante.
Melle K. : Je sais, mais alors pourquoi…
L.B. : Peut-être simplement parce que vous l’aimez encore. Je vous redonne un rendez-vous.
Concrètement, le fonctionnement thymique est fluctuant mais évolue dans des proportions non pathologiques.
Les angoisses constituent le motif de consultation mais elles ne sont objectivement que l’expression d’autre chose. Le comportement humiliant du compagnon actuel n’apparaît pas comme une meilleure étiologie aux angoisses de Mademoiselle K. qui est capable de quitter un homme sans même qu’elle ait quoi que ce soit à lui reprocher pour asseoir une décision de rupture.