Accompagner un patient en périopératoire à l’arrêt du tabac avec l’aide de l’hypnose. C’est tout le travail exposé ici entre métaphore des coupelles, observation des rituels, conscience de l’activité de fumer, surveillance des signes de surdosage...
Je suis infirmière au CHU de Nantes et tabacologue depuis 2019. Je suis à l’initiative d’un projet intitulé « Patch » (Parcours d’arrêt du tabac avant chirurgie) et j’ai pris en charge des centaines de patients dans ce cadre. Ce sont les coordinatrices de parcours, les chirurgiens ou les anesthésistes qui me les adressent. Peut-être vous direz-vous :
- et voilà encore une méthode ;
- et voilà encore une praticienne convaincue... Je vais tenter de vous présenter cette approche en toute humilité et j’espère vous donner envie de l’expérimenter lorsque vous prendrez en charge des fumeurs confrontés à cette injonction.
EXPÉRIMENTER DANS LE CORPS
La majorité des patients adressés dans le cadre d’une injonction de sevrage tabagique péri-opératoire a atteint la quarantaine et peut se reconnaître sous le terme de « hardcore smokers » : des patients avec une dépendance physique forte. Ils se heurtent à une impasse thérapeutique. On a toujours le choix, c’est vrai, mais là, pour sauver cette jambe, avec ce fémur qui ne consolide pas et qui s’est infecté, le chirurgien a été clair : la première étape avant une reprise chirurgicale c’est l’arrêt du tabac, peut-être même que ça suffira.
Certains ont déjà essayé d’arrêter. Plusieurs fois. Cela leur a demandé beaucoup d’efforts. Certains n’ont jamais essayé parce que passer ne serait-ce que 4 heures sans fumer, c’est déjà impossible. D’autres ont réussi pendant quelque temps mais ont repris, parfois en augmentant leur consommation.
Je ne parle jamais ici de devenir « non-fumeur ». Quitter le tabac ou envisager un nouveau monde sans référence à cette plante toxique sont des orientations qui équivalent pour certains à perdre leur identité. Travailler avec le présent est primordial : on reste dans l’instant, pas de projection. Cet arrêt de consommation est une parenthèse nécessaire pour optimiser les chances de guérison. Les objectifs sont tous centrés sur chaque envie de fumer aujourd’hui et... on verra plus tard pour le reste de la vie ! Deux consultations sont programmées d’emblée à sept jours d’intervalle car la première phase ne doit pas dépasser ce laps de temps.
LA PREMIÈRE CONSULTATION : « JE M’OBSERVE EN TANT QUE FUMEUR : J’AI ÉTÉ PIÉGÉ ! »
Le mécanisme de la dépendance ainsi que les modifications physiologiques qui en découlent sont expliqués métaphoriquement au patient. Chaque état est vécu dans le corps de façon à réveiller chaque sensation : manque, calme et surdosage. Ces ressentis sont connus des fumeurs mais passent inaperçus car ils sont dans un état de dissociation ou de « transe négative ».
- Thérapeute Nathalie Denis : « Soyez le bienvenu ! Qu(i)’est-ce qui vous amène ?
- Patient : Le chirurgien. Je dois me faire opérer de la hanche. Il m’a dit qu’il fallait que j’arrête de fumer pour l’opération.
- Th. : C’est comment de devoir arrêter de fumer ?
- P. : Il m’a dit que vous alliez m’aider… Je ne sais pas, je n’ai jamais arrêté. Je ne pense pas être prêt pour ça… Je manque de volonté.
- Th. : Si vous êtes d’accord, je vais vous accompagner. Pour que je comprenne bien votre situation, seriez-vous d’accord pour que nous reprenions ensemble le dossier que vous avez renseigné ?
- P. : Oui.
- Th. : Pouvez-vous me dire à quoi sert le tabac dans votre vie ?
- P. : C’est ma vie, mon plaisir. Le matin, surtout, quand je me réveille… Je me lève, et je prends un café avec une cigarette.
- Th. : Elle est fumée tranquillement ou plutôt vite ?
- P. : En fait, j’en fume trois ou quatre avec mon café.
- Th. : Est-ce que vous seriez d’accord pour qu’on travaille d’une façon qui va vous surprendre ?
- P. : Pourquoi pas… »
COMPRENDRE ET CHANGER SON REGARD : OUVERTURE DE LA PENSÉE PAR LE RECADRAGE
Le rôle de la nicotine est précisé car elle est souvent considérée comme étant la responsable de tous les maux. C’est faux, ce n’est pas elle qui tue. C’est pour elle que ces patients ont besoin de fumer tout au long de leurs journées, simplement pour se sentir calme. Son absence est insupportable et elle apporte du plaisir : elle est responsable de la dépendance.
- Th. : « Quand vous avez commencé à fumer, le cerveau a créé des coupelles pour pouvoir absorber la seule chose qui l’intéresse : la nicotine. » La métaphore des coupelles provoque un recadrage. Le regard qu’ils portent sur eux-mêmes commence à changer à ce moment-là. La tension dans le corps du patient s’atténue. Je dessine trois têtes :
- les coupelles vides et le manque (visage grimaçant et triste) ;
- et le surdosage (visage nauséeux, des boules vertes dans toutes les coupelles et plusieurs en dehors) lorsque toutes les coupelles sont comblées et qu’il n’y a plus de coupelles vides pour la nicotine qui arrive. Souvent après avoir trop fumé : en soirée ou quand il y a de fortes émotions à gérer. Je leur fais ressentir ces trois états dans le corps à l’aide de l’hypnose : « Où ça se situe dans le corps ? Ça fait quoi ? Quelle intensité ?... D’accord... Très bien... Restez un moment avec ça. » Je les guide, ils explorent, un peu de saupoudrage au sujet de cette plante toxique et vénéneuse, veine... haineuse ! (Nombre d’entre eux souffrent de maladies vasculaires.) Ensuite, nous scrutons le rythme des rituels de fumage quotidiens avant de conclure... qu’il correspond au cycle de remplissage des coupelles ! A ce moment-là, un trouble est palpable. Ce n’est pas comme ça qu’il vivait ses journées. Il pensait choisir ses moments pour fumer. A présent, il lui semble être l’objet d’une manipulation. S’il est d’accord avec l’idée qu’il existe une partie inconsciente, je suggère que cette partie-là fait bien le travail puisque les rituels lui permettent de vivre sa journée confortablement.
Le doute s’insinue, l’inconscient jouerait un rôle dans cette affaire ?
Confusion.
- Th. : « Le matin, au réveil, ces trois ou quatre cigarettes enchaînées…
- P. : Je ne fume pas la nuit ! Donc le matin, il faut que je les remplisse... et ensuite je passe ma journée à gérer mes coupelles ! » Alors que jusque-là il était plutôt avachi dans le fauteuil, il change de position, se redresse : il reprend confiance. Il est urgent de proposer une porte de sortie.
RESSENTIR POUR CHANGER SA PERCEPTION
- Th. : « Seriez-vous d’accord pour que je vous explique comment les patchs peuvent vous aider ?
- P. : J’ai déjà essayé : ça ne fait rien !
- Th. : C’est vrai, comme tous les médicaments, quand le dosage n’est pas suffisant, ça ne fait rien. Je peux vous expliquer le mécanisme ?
- P. : Oui. Je dessine un patch sur l’épaule que je colorie en vert. Je trace des flèches vertes qui vont remplir les récepteurs de boules…
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Nathalie DENIS
Commandez la Revue Hypnose & Thérapies brèves n°68
- Julien Betbèze, rédacteur en chef, nous présente dans son édito le contenu de ce n°68 :
Comment devenir un meilleur thérapeute ?
Cette question est au centre de notre pratique, elle implique la « présence » du thérapeute dans une approche centrée sur le corps relationnel, ainsi que la mise en place d’évaluations visant à améliorer la qualité du lien thérapeutique.
. François Cartault nous montre comment le travail sur le deuil implique de retrouver la relation perdue comme étape initiale avant de développer l’autonomie de la personne endeuillée. Dans la séance présentée, le questionnement narratif met en évidence l’importance de décrire les différences et les points communs entre les sujets pour enrichir et faire perdurer la relation.
. Solen Montanari nous décrit la situation d’Elisa, 14 ans, qui a perdu toute confiance, un « truc » l’empêchant de lâcher prise dans la relation de soin. Selon l’approche TLMR (Thérapie du lien et des mondes relationnels) qu’elle pratique, elle intègre sa propre résonance (image d’un iceberg et vécu de chair de poule) pour co-construire un imaginaire partagé où le thérapeute et Elisa regardent ensemble la scène et en ressentent les effets sous forme d’une expérience unique.
. Sylvie Le Pelletier-Beaufond nous fait part de son expérience des séances d’hypnose partagées avec François Roustang. Elle souligne l’importance de la ''présence'' pour François Roustang dans sa manière de constituer une relation thérapeutique. Elle rappelle le principe qui gouverne sa pensée, l’existence de deux registres distincts : une forme discontinue correspondant à la dimension de l’individualité, et une forme continue, un fond, constitué de l’ensemble du système relationnel correspondant à la dimension de la singularité.
Ces trois auteurs mettent en scène ce qui est au centre de l’utilisation de l’hypnose en thérapie : le développement d’un processus coopératif où la présence du thérapeute est renforcée par le fait que ce dernier ne pense pas à la place du sujet.
. Grégoire Vitry et ses collaborateurs nous montrent comment la participation de chaque thérapeute à un réseau d’évaluation de sa propre pratique (Réseau SYPRENE) favorise une amélioration de notre pratique. Dans ce travail de recherche portant sur les effets de l’évaluation de l’alliance thérapeutique et de l’état de bien-être, nous comprenons l’importance de tenir compte de la perception du sujet et de partager avec nos pairs.
- L’édito de Gérard Ostermann dans l’Espace Douleur Douceur souligne l’importance de la capacité du thérapeute à faire un « pas de côté » pour rendre l’hypnose vivante dans les soins.
- Chirurgie maxillo-faciale en mission humanitaire, un article de Christine ALLARY
- Olivier de Palezieux nous parle du placebo
- Corps et espace sécure: changer le monde du patient par Jean-François DESJARDINS
- Dans le dossier consacré aux addictions, une constante est l’absence de confiance dans la relation humaine. Les trois auteurs, Maxime Devars, Anne Surrault et Nathalie Denis, nous proposent différentes manières de se libérer des symptômes bloqueurs de la relation (hyperactivité dans l’anorexie, conduite automatique chez le fumeur). Ils s’appuyent sur leur créativité et un imaginaire donnant toute sa place à la stratégie pour que les sujets puissent se réapproprier leur responsabilité dans le soin.
Nous retrouvons la qualité des chroniques habituelles, l’humour de Stefano et Muhuc, les situations cliniques richement décrites par Sophie Cohen, Adrian Chaboche et Nicolas D’Inca : à lire et à se laisser imprégner.
Ce numéro rend également hommage au Professeur Peter B. Bloom, ancien président de l’ISH qui vient de nous quitter le 10 septembre 2022 à l’âge de 86 ans. Dans une interview donnée à Gérard Fitoussi, il souligne l’importance de la créativité dans notre pratique et son espoir que l’hypnose continue à favoriser les rencontres et à nous faire partager des histoires de vie.
Crédit photo © Michel Eisenlohr