Mademoiselle K. est sub-logorrhéïque.
Melle K. : Je me rends compte que je parle beaucoup de mes angoisses. Mon généraliste m’a prescrit des anxiolytiques.
L.B. : Les prenez-vous ?
Melle K. : (sourire gêné) Non, vous allez trouver ça ridicule mais je ne veux pas dépendre de ça… Ça me fait peur…
L.B. : Parlez-moi d’Eléonore.
Melle K. (pousse un cri étouffé) : Je ne peux plus entendre son prénom !
L.B. : Je vous revois la semaine prochaine.
Je comprends alors que le problème a commencé par l’angoisse d’être contaminée par la psychose de sa sœur pour avoir partagé ses réactions pendant des mois sans savoir ce que celle-ci avait. Cette angoisse que la maladie mentale ait pu s’insinuer en elle, pour y avoir été exposée, a ensuite évolué en angoisse que la folie prenne le contrôle d’elle à son insu, angoisse qui elle-même a évolué en peur que son compagnon actuel prenne le contrôle d’elle.
Comme en hypnose ; moins on est prévisible plus on est efficace. Le traitement peut commencer sans que la patiente s’en rende compte, en trois étapes inconscientes successives : a) faire naître la prise de conscience d’un cadre de pensée trop étroit sur la question ; b) réaliser une prescription paradoxale du symptôme anxieux ; c) consolider le traitement en amenant le patient à constater lui-même l’amélioration.
Etape a - La prise de conscience : élargissement du cadre de pensée du patient par une captation forcée de son attention
En effet, l’irruption dans l’esprit du patient d’une menace non envisagée force celui-ci à réaménager psychiquement la valeur qu’il attribue à ses symptômes.
Bien souvent la compulsion de répétition mentale s’exprime par un puissant martèlement langagier de sa problématique qui épuise les soignants et nécessite un choc relationnel au moins aussi fort que la compulsion elle-même.
J’amorce donc l’élargissement du cadre de façon progressive et créant de l’attente :
L.B. : Aujourd’hui vos angoisses, Mademoiselle, mais alors vous n’avez pas idée à quel point je m’en fiche. (Mon faciès est sérieux.) Vous êtes surprise de m’entendre vous dire ça, Mademoiselle, et peut-être vous sentez-vous incomprise, mais j’ai encore autre chose à vous dire. (Mon faciès est sérieux et compatissant.) Ce qui m’intéresse, c’est de vous soulager (mon faciès est détendu et empathique), de soulager votre peur de la maladie mentale.
Pas de réponse. Mademoiselle K. détourne la tête et retient des larmes dont elle ne semble pas comprendre la provenance. Quelques secondes passent, elle me regarde à nouveau.
Melle K. : Vous êtes dur quand même…
La prise de conscience que la parenthèse de la maladie de sa sœur était restée ouverte vient de s’effectuer.
Ce parti pris subjectif va permettre de capter l’attention de la patiente et de la traiter de façon objective. Il faut aider les patients à ne plus souffrir de ce qu’ils ont perdu, ici la conviction d’être sain d’esprit. De très nombreuses douleurs morales correspondent à des séquences psychiques inachevées. A l’image d’une parenthèse ouverte et non refermée au cœur d’une histoire. On retourne sans cesse au contenu hémorragique de la parenthèse qui se répand et se confond avec l’écriture du présent. Au final, peu de personnes souffrent au jour le jour de ce qui leur arrive, ce sont ces séquences psychiques non refermées qui font souffrir.
Alors pourquoi ne parvient-on pas à refermer nos parenthèses douloureuses ? Il s’agit d’un problème de représentation mentale essentiel. Le sujet ne voit sur le moment sincèrement pas d’issue possible à ce qui le fait souffrir. Il continue donc à vivre avec ce blocage dont l’origine consciente s’éloigne peu à peu de son ressenti sans aucunement en supprimer les effets. Comme chez tous les névrosés, l’hystérique va, avec le temps et sous l’action du refoulement, éloigner sa conscience de l’origine de sa souffrance.
Plus le temps passe, plus l’accessibilité au traumatisme originel est protégée par des mécanismes de défense. Mais du point de vue de l’hypnose, les défenses psychologiques, l’opposition au sens logique et la résistance au regard extérieur sont des énergies redirigeables.
A coup sûr, la représentation qu’a le patient de son angoisse a subi plusieurs remaniements psychiques adaptatifs et automatiques. Pour qu’il adhère à une nouvelle représentation, il faut au préalable savoir s’immerger dans le corpus sémantique du patient et improviser par à-coups de façon perceptive et néanmoins méthodique.
C’est une chose importante de savoir écouter son patient, cela en est une autre tout aussi importante de savoir se faire entendre de lui.
Ce qu’il fallait, c’était changer le cadre de référence dans lequel est perçue l’angoisse par la patiente. Le changement du cadre de référence mentale revient à brusquer le fonctionnement psychique dans ses certitudes conscientes pour qu’il redevienne attentif à une autre vision de lui proposée par le thérapeute. Dans cet élargissement du cadre à deux, le dialogue est déjà hypnotique.
Etape b - Prescription paradoxale du symptôme anxieux
La prescription paradoxale reste une étape clef de prescription d’un comportement pour provoquer le comportement contraire en fonction des mécanismes de défense et de résistance psychologique du patient. Dans le cas de Melle K., prescrire l’anxiété fait naître le paradoxe et de facto son contraire.
Etant donné la relative effraction psychique qu’a représenté l’élargissement de son cadre de pensée à l’étape précédente (étape a), la prescription sera courte et aussi discrète que possible, faisant directement suite à l’élargissement du cadre de pensée dans la même consultation :
Melle K. : Vous avez raison, j’ai été traumatisée par le comportement de ma sœur, j’y pense tout le temps, ça me gâche la vie. Mais… vous ne pensez pas que je pourrais devenir comme elle ?
L.B. : Je vous donne un rendez vous. On se revoit la semaine prochaine. D’ici là, ne changez rien à votre état.
La suggestion qui est faite à travers cette prescription paradoxale est que l’absence de changement puisse comporter une part volontaire, ce qui par extension s’applique également au changement lui-même.
Il est important que le patient ne sache pas que l’on va ensuite se servir de son état actuel pour souligner qu’il est parvenu. L’absence d’effort ou d’intentionnalité dans le but de ne pas changer empêcherait l’efficacité de la prescription paradoxale.