Les sexologues appellent « point de non-retour » le moment où l’homme atteint le niveau d’excitation (seuil) qui déclenche le réflexe d’émission. Cette expression très éloquente signifie que l’homme ne peut plus revenir à des niveaux plus bas d’excitation, ni éviter l’éjaculation ni, par conséquent, poursuivre la pénétration. L’excitation est trop élevée, le seuil du réflexe d’émission est atteint, l’éjaculation commence à se produire et son déroulement se poursuit jusqu’à la fin, peu importe ce qu’il tente de faire.
On retrouve dans la plupart des articles publiés dans des revues médicales et sexologiques l’affirmation que la difficulté à prolonger la durée de la pénétration est causée par un manque de contrôle sur le réflexe éjaculatoire. Cette conception est antinomique parce qu’un réflexe, par définition, ne peut être l’objet d'un contrôle volontaire. De plus, les structures anatomiques qui se contractent lors du premier réflexe (réflexe d’émission) sont des canaux (épididyme, canal déférent...) et des glandes (prostate, vésicules séminales...) sur lesquels l’homme ne peut d’aucune façon exercer un contrôle volontaire. Et lorsque le réflexe d’émission a lieu, le deuxième réflexe (réflexe d’expulsion) se produit et l’éjaculation est complétée ; l’érection est alors vouée à disparaître et la pénétration à se terminer. Peu importe les moyens utilisés, l’éjaculation ne peut être arrêtée lorsqu'elle est déclenchée.
En fait, la difficulté à prolonger la durée de la pénétration n'est pas due à un trouble de l’éjaculation. Elle est engendrée par une mauvaise gestion de l’excitation. Ce n’est pas l’éjaculation qui est en cause, c’est l’excitation. L’éjaculation est tout à fait normale ; sa physiologie est saine et ses processus se déroulent naturellement. Le problème provient de l’excitation qui atteint le seuil déclencheur du réflexe d’émission et entraîne l’éjaculation plus tôt que les individus ne le désirent.
Cette réalité vaut pour tous les individus, qu’ils soient dits « normaux » ou « éjaculateurs prématurés ». Personne n’a de contrôle sur son éjaculation, seulement sur son excitation. Si un homme souhaite prolonger la durée de la pénétration, il doit conserver son excitation en dessous du degré d’excitation qui déclenche le réflexe d’émission. Et ce, durant toute sa vie, dans toutes les circonstances et avec toutes les partenaires.
Avec la médicalisation actuelle de la sexologie, on observe chez certains scientifiques la tendance à surestimer l’importance du rôle des facteurs organiques dans l’avènement et le maintien des dysfonctions sexuelles. Par exemple, des chercheurs qualifient de dysfonction neurobiologique le fait d’éjaculer en moins d'une minute et 18 secondes après l’intromission du pénis à l’intérieur du vagin dans plus de 90 % des occasions, et ce depuis le début de la vie sexuelle. Ils appuient leur définition sur une pratique en médecine qui consiste à définir comme pathologiques les valeurs d’une condition situées en deçà d’un certain point de la distribution des valeurs de cette condition à l’intérieur d’une population donnée. Dans le cas de l’éjaculation prématurée, ces chercheurs ont établi la valeur d’inclusion/exclusion au centile 2.5 de la distribution du temps de latence éjaculatoire intravaginale (ou durée de pénétration) – mesurée à l’aide d’un chronomètre – de 489 hommes choisis de manière aléatoire à l’intérieur de cinq pays. La durée de pénétration médiane de cet échantillon s’élevait à 5 min. 27 sec. (étendue de 33 sec. à 44 min. 6 sec.) et le centile 2.5 à 1 min. 18 sec.
L’approche de ces chercheurs est séduisante et s’inscrit dans le cadre de la médecine fondée sur des preuves (evidence-based medicine). Toutefois, elle comporte une erreur méthodologique majeure. Pour comprendre cette erreur, il faut se rappeler qu’il n’existe pas de conditions pathologiques qui font éjaculer comme un rhume fait éternuer ou qu’une allergie entraîne des éruptions cutanées.
La seule cause de l’éjaculation est l’excitation sexuelle qui, lorsqu’elle devient suffisamment intense, déclenche le réflexe éjaculatoire. Si des pathologies, des traumatismes ou des facteurs génétiques concourent à la venue rapide de l’éjaculation, ils le font en lien avec l’excitation sexuelle, soit en précipitant sa montée, soit en abaissant le seuil du réflexe d’émission. Ce lien, s’il existe, ne s’établit pas uniquement au moment de l’intromission du pénis à l’intérieur du vagin, mais se manifeste dès que l’excitation apparaît, ce qui en général se produit dès le début des préliminaires ou même avant.
Par conséquent, ce n’est pas la durée de la période d’excitation coïtale (ou durée de pénétration ou temps de latence éjaculatoire intravaginale), mais la durée totale de la période d’excitation qui peut indiquer s’il y a des facteurs organiques qui participent à la venue de l’éjaculation lorsque l’excitation commence à s’élaborer. Il s’ensuit que si la phase d’excitation est toujours très courte (on n’a pas de données à ce sujet, mais on peut pour l’instant l’estimer à environ une minute) et que l’éjaculation a lieu rapidement sans égard aux types de stimulation (visuelle, manuelle, orale, vaginale, anale, fantasmatique) et aux types de tentatives de contrôle, on peut supposer la présence de facteurs organiques abaissant le seuil du réflexe éjaculatoire ou favorisant la montée très rapide de l’excitation vers l’éjaculation.
Par contre, si ce n’est que la période d’excitation durant le coït qui est brève et que celle-ci est précédée d’une période d’excitation d’une certaine longueur durant les préliminaires, on ne peut pas incriminer cette courte période d’excitation pendant la pénétration à des facteurs organiques, mais plutôt à une mauvaise gestion de l’excitation sexuelle. Cette gestion inadéquate est due à un manque de connaissances et de techniques ou, si l’homme possède ces connaissances et ces techniques, à une non-application de celles-ci due à une absence de motivation, à des problèmes psychologiques ou à des difficultés relationnelles.
La gestion de l’excitation sexuelle pourrait toutefois être plus difficile à effectuer pour certains que pour d’autres. En effet, les hommes qui possèdent un génotype LL sembleraient avoir une légère tendance à parvenir à l’éjaculation plus rapidement durant la pénétration que ceux ayant un génotype SS ou SL . On a également observé un taux de testostérone plus élevé, une tension artérielle pénienne plus haute et une prévalence de prostatite plus grande chez les hommes qui éjaculent tôt après le début de la pénétration.
Ces caractéristiques génétiques, hormonales, circulatoires et glandulaires – d’origine constitutive ou pathologique – ne seraient pas déterminantes lors d’activités simples comme la masturbation ou les préliminaires. Ceci est d’ailleurs confirmé par l’observation que la durée moyenne de la masturbation des hommes qui ne réussissent pas à prolonger la durée de la pénétration est la même que celle de ceux qui y parviennent. Les effets coercitifs – ou facilitateurs – de ces caractéristiques se feraient remarquer davantage durant la pénétration où les situations deviennent plus complexes et les habiletés requises pour gérer l’excitation plus difficiles à maîtriser.
Associées à un manque de connaissance et d’apprentissage, elles expliqueraient l’incapacité de plusieurs hommes à ne pas pouvoir moduler le cours de leur excitation sexuelle lors de la pénétration et à ne pas réussir à prolonger la durée de celle-ci. Cette hypothèse trouve un certain support dans la pratique clinique où l’on remarque que les traitements à base d’apprentissage ne donnent pas les mêmes résultats chez tous les patients (il existe évidemment d’autres facteurs qui influencent l’apprentissage tels que la motivation, l’intelligence, les traits de personnalité, les capacités motrices, le lien thérapeutique, la collaboration de la partenaire, etc.).