La demande sexuelle s’exprime la plupart du temps à travers le symptôme et tourne autour de plusieurs pôles :
- Les troubles du plaisir pouvant aller d’une anesthésie sensorielle totale, y compris sexuelle ou partielle (insensibilité vaginale uniquement), à l’anorgasmie primaire, secondaire ou contingente, a-t-elle des orgasmes clitoridiens ? Quand une femme vient avec cette demande « Je n’ai pas de plaisir… », il est indispensable de lui faire préciser sa demande pour savoir de quoi elle parle. Est-ce une incapacité à atteindre l’orgasme avec une montée de l’excitation ressentie agréablement ? Est-ce une incapacité à ressentir son intériorité ? Est-ce une insensibilité généralisée ?
Tous les degrés sont possibles et la prise en charge dépendra de cette analyse fine du rapport au plaisir de la patiente. Les classifications de Masters et Johnson (1970), puis de Kaplan (1974), sont des points de repères. Celles du DSM-IV sont communément adoptées par les sexologues en se basant sur les quatre étapes de l’activité sexuelle : désir, excitation, orgasme, résolution. Trudel distingue les troubles de l’orgasme des troubles de l’excitation (dysfonction sexuelle généralisée). Le DSM-IV insiste sur l’aspect physiologique de la réponse de l’excitation, c’est-à-dire la lubrification.
- Le vaginisme qualifié par Masters et Johnson comme « un trouble psychophysiologique » qui rend difficile voire impossible l’acte sexuel. En fait, il s’agit d’une contraction spasmodique de la musculature du vagin qui empêche les rapports sexuels de pénétration.
- La dyspareunie consiste en l’apparition de sensations douloureuses pendant l’activité sexuelle. Les douleurs peuvent être à l’entrée du vagin ou plus en profondeur. Le DSM-IV considère qu’il y a dyspareunie lorsqu’une douleur persistante et récurrente est associée à l’activité sexuelle et cause une détresse marquée personnelle ou interpersonnelle.
Notons que nous sommes très souvent confrontés à la spirale douleur/peur/ vaginisme et que dyspareunie et vaginisme font souvent bon ménage. Il est donc important de débrouiller les fils d’un vécu sexuel confus et ces classifications sont là pour nous y aider.
- Enfin, les troubles du désir qui font florès dans nos consultations. Le désir sexuel hypoactif (DSH), tel qu’il est défini dans le DSM-IV, est « une déficience persistante et récurrente dans le désir d’avoir des activités sexuelles ». Cette définition apparaît comme vague et la pratique clinique nous montre combien il est compliqué de prendre en charge ce type de problème qui est toujours multifactoriel.
Là encore, nous sommes en face de degrés et de variation très différents d’une histoire à l’autre, d’un moment de la vie à l’autre. La demande prend souvent la forme de la problématique de la fréquence des rapports dans le couple, mais aussi implique de multiples dimensions affectives, expérientielles (traumatismes, habiletés sexuelles liée à l’expérience et aux premières relations), morales, croyances, nature de la relation conjugale, etc., qui souvent s’intriquent subtilement en prenant comme mode d’expression le refus qui fait fonction d’impasse.
Un des axes à explorer sera celui de la nature même du trouble du désir sexuel lié à l’histoire personnelle ou inscrite dans la relation à l’autre. Les liens complexes entre amour et désir seront également au premier plan, même chez la femme et pas forcément dans le sens qu’on pense !
Après ce bref rappel de la symptomatologie sexuelle féminine, il est important de rappeler trois points :
- Les troubles sexuels s’inscrivent toujours dans une histoire singulière et c’est la personne souffrante dans sa sexualité qui va d’abord nous intéresser.
- On ne peut ignorer les interactions subtiles entre les dimensions physiologiques et psychologiques et donc la dimension psychosomatique.
- Enfin, la demande même individuelle implique toujours le tiers réel ou fantasmé.
Sur ces bases, je vais vous proposer un tissage qui servira de modèle général pour la prise en charge des troubles sexuels féminins par l’hypnose.
Repérages nécessaires :
Ces repérages s’appuient sur 5 points : l’observation clinique au sens large, l’évitement de l’interprétation trop rapide et directe, l’utilisation du matériel de la patiente, le décodage psychopathologique, la place du symptôme dans l’économie de vie de la patiente.
- L’observation clinique : je reprendrai volontiers à mon compte la définition d’Albert Ciccone (2) : « L’observation suppose d’aller vers le réel pour découvrir une nouveauté au-delà de ce qui se présente sous l’apparence du déjà connu. Observer suppose une position nouvelle, en rupture avec ce qui a orienté jusque-là le regard. » Chaque patiente, par son histoire singulière, va apporter son lot de surprises et c’est en cela aussi que notre disponibilité, notre écoute attentive et cette dimension d’attention est essentielle.
Si cette observation se base sur certains critères objectifs (écoute des mots utilisés, langage du corps, expressions émotionnelles non verbales, utilisation de l’espace…), elle reste néanmoins aussi une construction car le psychisme (et les effets psychiques du vécu sexuel) n’est observable qu’à partir de ce qu’il produit. Observer, écouter, c’est d’abord pour le thérapeute en hypnose, commencer par être au plus simple de cette observation : que dit, que montre la patiente ? C’est à partir de cette position basse (chère à Erickson) que les dérives pourront être éviter.
- Ainsi le piège de l’interprétation nous est toujours tendu et parfois même par la patiente elle-même dans des relations simplistes de causes à effets. Méfions-nous donc des interprétations trop rapides et directes qui peuvent stériliser le travail dans des certitudes. (Exemple : ces femmes qui arrivent en faisant le lien immédiat entre un abus sexuel et leur problématique actuelle et qui l’exprime en première intention.)
- Pour mettre en œuvre ce tissage thérapeutique grâce à l’hypnose, il nous faut faire avec ce que nous avons, c’est-à-dire ce que nous avons glané grâce à l’observation et aux éléments de vie apportés par la femme en souffrance dans sa sexualité. La pelote se déroulera au fur et à mesure dans le respect du rythme de la patiente. C’est pourquoi les premiers entretiens en sexologie ne doivent en aucun cas être des « interrogatoires ». Il doivent être un savant mélange de questions précises (ne jamais perdre de vue la dimension physiologique et la question de l’information sexuelle qui est souvent simplement nécessaire), mais aussi de temps de silence et d’élaboration naissante. Le travail psychique du thérapeute, sa « cuisine » interne, sa capacité de penser tout en étant avec l’autre, sera là primordial.
- Le décodage psychopathologique (au sens large et en restant prudent dans les étiquettes) me semble essentiel, d’où une formation adéquate. En effet, la demande sexuelle se situe toujours sur un mode de fonctionnement qui la colore et la prise ne charge en hypnose peut beaucoup gagner à ce décodage. (Exemple : quand « l’obsessionalisation » d’un symptôme sexuel avec envahissement psychique - « je n’arrive pas à obtenir d’orgasme, je ne pense qu’à cela » - implique un évitement et stérilise la capacité de relation.)
Autre exemple, ou bien quand la sexualité n’est opérante qu’au début des relations avec un effet répétitif de perte de désir à terme, montrant la nature uniquement séductrice dans un seul but, capter l’autre affectivement dans une sexualité que j’appelle « hameçon » - on pourrait dire de nature hystérique ! Le travail là sera de permettre à la patiente de dépasser ce stade de la construction de sa sexualité en l’aidant à grandir en reprenant les différentes phases de son évolution et en en inventant de nouvelles.
- Enfin, la place du symptôme sexuel n’est souvent qu’une porte d’entrée pour exprimer autre chose, soit un trouble relationnel, soit une souffrance psychique et une fragilité d’une nature très profonde. Alors, certes on peut toujours dire que le patient fait son travail tout seul, mais notre devoir de professionnel est aussi de pouvoir repérer « ce qui n’est pas visible pour les yeux » pour pouvoir éventuellement l’utiliser en hypnose. Ce repérage peut mener aussi à ne pas faire d’hypnose, en tout cas à ne pas l’utiliser intentionnellement, même si on considère que c’est un accès naturel au monde intérieur.