Une semaine à tout faire
Lundi après-midi, on joue aux boules avec une dame. Elle a appris grâce à moi. Elle voulait devenir plus adulte, alors on a sorti les boules.
Sur le tableau Velleda, des tas de petites boules et de sous-boules correspondant aux Etats de son Moi, Parent, Adulte, Enfant, Enfant Adapté Rebelle, Parent dans l’Adulte ; et des tas d’autres boules correspondant aux Etats du Moi de ses partenaires dans la vie ; et des tas de flèches entre tout ça dans tous les sens : de séance en séance, elle analyse ses transactions ; de plus en plus de boules, de flèches et de sous-boules, et de séance en séance, nous nous enfonçons dans la confusion.
Mardi matin, j’ai l’air d’un gendre idéal avec chemise et costume Smalto, rehaussés du sourire énergique qui manifeste mon assertivité : je vais faire des TCC.
A 9 heures, c’est le deuxième C de TCC, « Comportementale ». La dame a peur de l’avion et nous parlons du crash du Rio-Paris. Il a fallu deux ans pour retrouver l’épave de l’Airbus au fond de l’Atlantique et personne n’a encore compris pourquoi il avait décroché.
Il a mis trois minutes et demie pour tomber parce qu’il était très haut. A l’école, les élèves pilotes apprennent des solutions d’urgence aux problèmes de portance en vol, mais on s’est rendu compte qu’elles les aggravaient plus qu’elles ne les résolvaient.
Dès lors, il y a plus de risque de crash avec un commandant qui a bien appris ses cours qu’avec un cancre. Le cancre sera plus intuitif. Il y en avait une pleine page dans Le Figaro que j’ai pu lire dans l’avion qui m’emmenait aux Antilles après avoir calmé la crise d’angoisse de ma voisine au décollage.
A 11 heures arrive le prof. Cet ancien déprimé ne veut pas rechuter. Il m’a demandé de le reprogrammer. Alors, je le reprogramme. D’abord, vérifier qu’il a bien son cahier jaune et qu’il a fait ses devoirs : ça va, tout est en ordre. Ensuite les questions, serrées. Il apprend vite, il approche de la découverte du postulat silencieux.
On y est : sa croyance d’être nul remonte au divorce des parents. Non, on n’y est pas : sa croyance d’être nul vient de la préférence de ses parents pour sa petite sœur. Bon, on s’arrête là, on prend l’histoire de la petite sœur, sinon qu’est-ce qu’on va trouver encore ? Il faut bien que la thérapie soit brève.
Alors aussitôt, modification du postulat silencieux, prise de notes sur le cahier jaune et renvoi à la maison avec travaux pratiques.
A l’heure du déjeuner, le Smalto rejoint la penderie et j’enfile le vieux tee-shirt avec Che Guevara dessus pour faire de la Gestalt l’après-midi.
Quand j’arrive, ils sont trois : un alcoolique, une lombalgique et une dame riche, strictement normale, mais qui veut du mieux-être. Je demande au premier de visualiser la descente de l’alcool dans son organisme jusqu’aux cellules périphériques, à la seconde d’augmenter sa douleur et à la troisième de nous parler de son hypertension artérielle.
Ensuite, je les confronte fermement : « A quoi cela te sert-il de continuer à boire, d’avoir mal au dos, d’être hypertendue ? » Cris et larmes garantis à la vingtième minute. Généralement, il leur faut une bonne demi-heure pour se calmer et trouver leurs solutions. La Gestalt thérapie est facile quand le cabinet est insonorisé.
Mercredi, c’est le jour des enfants et de la thérapie familiale. Par ses conseils, Marie remet ses parents dans le droit chemin. A ma demande, Denis, jeune clochardisé, s’allonge par terre, fait le mort et sa mère lui dit qu’elle accepte qu’il soit mort. Mais il y a aussi Benjamin, sa famille et leurs rapports avec « pipi sournois », l’influence que celui-ci a sur eux et eux sur lui. Nous décidons de lancer un défi à « pipi sournois » : chaque soir en se couchant, le petit mettra un verre d’eau glacée bien en évidence sur sa table de nuit et « pipi sournois » saura alors qui est le plus fort. Là, nous virons à la thérapie narrative.
Je passe sur l’incendie, le viol et l’accident de moto. C’est jeudi, c’est EMDR, enfin un genre amélioré d’EMDR. Produire les mouvements alternatifs avec les doigts est imprécis. Les alternances de stimulations n’ont pas un rythme vraiment régulier. En plus, à la longue, cette technique provoque des douleurs aux épaules. Nous avons besoin d’un outil ergonomique qui garantisse la régularité de la stimulation cyclique. Voilà pourquoi j’utilise un pendule. Je peux aussi chercher de l’eau avec.
Et vendredi, c’est boulimie. Elles sont trois. La première doit manger un éclair au chocolat avant chaque consultation et m’apporter le ticket de caisse. Elle commence à me haïr. La seconde devait faire délibérément trois crises de boulimie dans la semaine précédente et vient au rapport : elle n’arrive plus à se goinfrer. Je ne la félicite pas et je lui demande de s’appliquer à réussir les crises à l’avenir. Au contraire, je n’arrête pas d’applaudir la dernière pour toutes les fois dans sa vie où elle n’a pas été boulimique.
Ce vendredi-là, sa thérapie bascule définitivement vers la solution : « Imaginons que cette nuit, il y ait un miracle. Le problème a disparu par enchantement, totalement, d’un coup. Simplement, vous ne le savez pas parce que cela s’est passé pendant que vous dormiez. A votre réveil et dans la journée qui suit, à quoi saurez-vous que le miracle a eu lieu ? »
Evidemment, dans la semaine, il y a eu bien d’autres psychanalyses, TCC, Gestalt, Analyse transactionnelle, EMDR, thérapies narratives, stratégiques brèves, solutionnistes et familiales. Il y a eu aussi beaucoup d’hypnose : des accompagnements dans des bons souvenirs pour des timides, des régressions en âge pour des états-limites, des lévitations pour faire revenir des règles, des catalepsies pour supprimer des céphalées de tension, des hallucinations de sensations agréables dans des membres fantômes, des distorsions du temps chez des cancéreux algiques.
Mensonges ?
En entendant ce panorama de ma semaine, une question vous vient probablement :
- Est-ce que vous n’êtes pas en train de nous raconter des histoires ?
La réponse est :
- Oui, je vous raconte des histoires. En hypnose, on aime bien raconter des histoires.
Alors dialoguons, parce que vous me répondez :
- Mais ces histoires sont-elles vraies ? Est-il possible d’avoir une pratique pareille ? Faites-vous vraiment tout cela dans une semaine de consultation ? Sont-ce des mensonges ?
- Oui, ce sont des mensonges parce que je n’ai pas toute cette créativité, mais je voudrais bien l’avoir. Et non, ce ne sont pas des mensonges mais j’expliquerai plus tard.
- Mais si vous voulez tenter cet éclectisme fou, ne risquez-vous pas de vous transformer en touche-à-tout superficiel, faisant un peu de tout mais rien de sérieux, de profond ni de correct, ce qui constitue une perte de chances pour le patient ? Ne vaut-il pas mieux connaître à fond une forme de thérapie et l’appliquer avec rigueur ? Etre un bon psychanalyste, un bon TCC, un bon Gestaltiste, un bon hypnotiste ou un bon solutionniste, il faut choisir.
- Non, je refuse de choisir et je crois qu’on peut faire de tout sérieusement, correctement et profondément. Pour arriver à faire de tout, je suis seulement limité par mes rigidités. Watzlawick disait qu’il valait mieux que le thérapeute soit caméléon que Rocher de Gibraltar. Je développe.