Parallèlement, elle deviendra chercheuse associée au Mental Research Institutes de Palo Alto.
Palo Alto est le centre de thérapie brève systémique dirigé par Dick Fisch et Paul Watzlawick à partir des travaux de Grégory Bateson, Jay Haley, John Weakland et Don Jackson.
En1988, elle présente sa thèse en psychologie comportementale et obtient son PhD (docteur en psychologie). Lors d’une conférence, elle rencontre Joseph Wolpe, psychiatre sud-africain, professeur de psychiatrie à la Temple University Médical School de Phyladelphie et pionnier du béhaviorisme (thérapies comportementales). A partir, entre autres, de son expérience de l’hypnose, Wolpe a développé le concept d’inhibition réciproque et mis au point la désensibilisation systématique. Cette technique était considérée comme la méthode la plus efficace dans le Stress Post Traumatique. Il apprend au patient à se détendre puis l’amène à approcher progressivement les situations ou les objets qui l’effraient. C’est également à Wolpe que l’on doit l’utilisation de l’échelle SUDS : échelle subjective d’évaluation de la détresse cotée de 0 à 10 ou 10 est le plus perturbé et 0 le plus calme. Cette échelle est utilisée couramment pour évaluer le vécu douloureux sous le nom d’échelle visuelle analogique.
Wolpe va accepter de publier son article sur l’utilisation des mouvements oculaires dans le journal de thérapie comportementale et de psychologie expérimentale. Lui-même et d’autres thérapeutes comportementalistes vont expérimenter l’EMDR.
Shapiro va continuer avec des vétérans de la guerre du Vietnam, souffrant d’état de stress post-traumatique, considérés comme résistants aux divers traitements.
Elle va publier un article dans le journal d’étude du stress post traumatique relatant ses expériences avec les mouvements oculaires auxquels elle va adjoindre un protocole pour dissiper durablement l’anxiété.
L’article est accueilli avec un mélange de curiosité et de septicisme. Celui-ci porte sur la rapidité avec laquelle les mémoires traumatiques sont désensibilisées ; quelques séances versus plusieurs mois avec la désensibilisation systématique.
En 1990, L’EMDR est officialisé. Le modèle sera prioritairement orienté vers le traitement du psychotraumatisme (en français : ESPT). Il devient par la suite une intervention complexe, à plusieurs facettes, décrite comme une véritable révolution dans le champ des psychothérapies.
A partir de cette époque, l’EMDR, dont elle déposera la marque, connaitra un développement important dans le monde. La stratégie de Francine Shapiro portera sur trois axes (Shapiro et Forrest, 1997) :
D’une part, sur le plan théorique, d’un modèle de traitement adaptatif de l’information en référence aux concepts de traitement de l’information et des réseaux associatifs originellement présenté par Lang (1997) et Bower (1981). Ce modèle incorpore la notion d’activation d’un réseau et l’assimilation d’une information émotionnelle corrective qui s’infiltre ensuite dans l’ensemble des réseaux adaptatifs.
Et d’autre part, sur le plan de la pratique, d’un modèle syncrétique incluant les ingrédients venant d’autres thérapies comme :
- les thérapies cognitivo-comportementales dans l’utilisation d’échelles et la verbalisation des croyances négatives et positives sous-jacentes
- la gestalt dans l’insistance sur le ressenti émotionnel et corporel dans l’ici et maintenant de la séance
- l’hypnose éricksonienne dans l’utilisation de techniques d’imagerie guidée, l’utilisation des ressources, de la suggestion
- la psychanalyse dans l’association libre.
Un travail sur la « place sure » puis sur les ressources va être ajouté en amont afin d’aider le patient à faire face au vécu traumatique à traiter. Le but du traitement, qui se déroule en huit étapes, est d’aider le patient à se libérer du passé et à transformer celui-ci en un présent bienfaisant et productif au cours duquel la personne transmute une expérience négative en un apprentissage adapté.
Le patient retient ce qui est nécessaire de l’expérience passée perturbante et l’événement est restauré en mémoire sous une forme adaptée bénéfique et sans détresse.
Quand le résultat est atteint, l’ensemble des images, affects, croyances devient plus vif, plus intense, plus stable et apaisé.
La première indication de l’EMDR est le psychotraumatisme simple. Depuis, les protocoles se sont développés et l’EMDR est utilisé pour traiter les désordres dissociatifs de l’identité, les troubles de l’attachement, les phobies, les douleurs traumatiques et les troubles du comportement alimentaire d’origine traumatique.
2ème axe : le domaine du psychotraumatisme.
La recherche d’une justification scientifique à l’efficacité de sa méthode par la multiplication d’études et d’une caution par la recherche de soutien auprès de cliniciens réputés comme Arnold A. Lazarus, Bessel van der Kolk (spécialiste du PTSD), David Servan Shreiber et de sociétés savantes comme l’Américan Psychiatric Association, la Fédération française de Psychiatrie en 2004 et le National Institute For Clinical Excellence au Royaume Uni en 2005.
3ème axe : l’organisation et l’encadrement de la formation des thérapeutes.
Francine Shapiro établit un monopole arguant que seuls les thérapeutes formés par elle et son équipe peuvent pratiquer la méthode. De technique de désensibilisation à ses débuts, l’EMDR devient une technique de psychothérapie pour praticiens confirmés ayant suivis les deux niveaux de formation. A partir de 1990, Shapiro et l’EMDR font faire l’objet d’attaques dans les conférences et dans les journaux professionnels :
sur sa formation de psychologue : l’école où elle s’est formée aurait disparue,
sur sa découverte : les mouvements oculaires et corporels sont utilisés depuis très longtemps dans les pratiques shamaniques et comme inducteurs de transe en hypnose depuis Mesmer.
D’autres critiques viennent de Rosen qui estime que : « Pour sentir ses yeux bouger, cela nécessite un mouvement volontaire » .
L’efficacité de sa méthode est comparée soit à un placebo habilement emballé, soit à une variante de thérapie traditionnelle d'exposition ou les deux (Lilienfeld, 1996).
La promotion et la diffusion de sa méthode sont contestées (DeBell et Jones, 1997).
L’article de Richard McNally de 1999 montre bien ces aspects dans une comparaison sociologique avec Mesmer : « EMDR and Mesmerism ».
Cependant, Francine Shapiro obtient en 1994, le Distinguished Scientific Achievement in Psychology Award de l'Association Californienne de Psychologie et en juin 2002, le prix Sigmund Freud, décerné à la fois par l'Association Mondiale de Psychothérapie et par la ville de Vienne.
Francine Shapiro est la présidente de l’Association Internationale d’EMDR basée en Californie et crée également l’HAP : le programme d’assistance humanitaire EMDR qu’elle considère comme l’équivalent de « Médecins sans frontières » pour la santé mentale.
L’EMDR en France
Un psychiatre, François Bonnel, ayant rencontré l’EMDR lors d’un séjour en Californie, a été à l’origine de la première formation en France en 1994 et a créé la Société Française d’EMDR. En 2001, un autre psychiatre, professeur au département de recherche cognitive à l’université de Pittsburgh, David Servan-Schreiber, transforme la SFEMDR en EMDR France et fait reconnaître l’efficacité de l’EMDR dans le psychotraumatisme par la Fédération Française de Psychiatrie en 2004 et, dès lors, oriente le développement de l’EMDR dans une perspective neurointégrative.
L’histoire de Francine Shapiro et de l’EMDR est à la fois fascinante et, en même temps, n’est pas sans poser de questions.
Son originalité est d’avoir réintroduit des techniques d’induction corporelle, les mouvements oculaires ou autres, à un protocole qui intègre à la fois les aspects comportementaux, sensoriels et cognitifs d’un vécu perturbant. Les mouvements oculaires favorisent la synchronisation patient-thérapeute. Par contre, on peut s’interroger si sa volonté de faire science, ne participe pas à la commercialisation de sa technique. Déposer une marque de thérapie est un procédé pour le moins étrange. D’ailleurs, s’agit-il d’un outil ou d’une technique (utilisable dans diverses approches thérapeutiques) ou d’une thérapie à part entière ? La question n’est pas simple quand la formation se fait en deux fois deux jours et est décrite comme simple à enseigner !
La relation de Francine Shapiro à l’hypnose, comme à son savoir-faire, issu de Palo Alto, questionne. Quelle est la place de la relation ? Quelle stratégie est mise en place dans la thérapie EMDR ?
La position du thérapeute n’est pas claire : accepte-t-il de s’inclure ou non dans le processus thérapeutique ?
Le système de traitement de l’information, théorie qui sous-tend la pratique questionne également. S’agit-il d’une métaphore comparable à l’inconscient comme réservoir de ressources de Milton Erickson ou d’une réalité ?
Ces questions m’ont amené à développer, avec mes collègues nantais, un modèle, l’HTSMA (Hypnose, Thérapie Stratégique et Mouvements Alternatifs) qui intègre le protocole de Francine Shapiro à l’apport de l’hypnose ericksonnienne et à la dimension stratégique des thérapies brèves systémiques (Palo Alto et De Shazer)