Fabrice travaillait dans l’enseignement. Agressé, selon lui, par des élèves dans la cour du lycée, il s’est retrouvé seul lorsque d’autres collègues ont choisi de considérer l’événement comme un jeu. Lorsqu’il a voulu dénoncer cela auprès de son administration et de la justice, personne n’a voulu le croire et depuis, il est devenu le bouc-émissaire de tensions intérieures, de conflits. Rejeté par les enseignants contre qui il s’était plaint, il a dû être mis en arrêt de travail pour syndrome dépressif.
Il parle de harcèlement. Cela remonte à plusieurs années. Depuis : la mise en invalidité, le divorce, les antidépresseurs au long cours, l’apparition de l’alcool... Depuis, il a choisi de continuer à faire toujours un peu plus de la même chose. Aujourd’hui, lorsqu’on lui demande sa profession, il répond : « Victime ». Victime de ses élèves, de l’administration, du système, de sa femme, de l’univers. Il tente toujours, sans succès, de faire reconnaître les faits : l’agression, le harcèlement, l’injustice. D’avocats en association de victimes, il poursuit en vain sa quête. Nous l’avons croisé lors d’une intervention Smur... après une tentative de suicide. Fabrice survit. Seul avec son histoire, il se consume de l’intérieur.
Monsieur E. a une quarantaine d’années. Il est marié, père de deux enfants, et est atteint d’un myélome. Cet homme utilise sa maladie et sa souffrance comme une force. Cette force, cette envie ne le quittent pas, et s’accompagnent de pensées et d’émotions positives pour lui-même et pour sa famille. Il sait intégrer son myélome dans son quotidien, et ne s’épuise pas à lutter contre. Quand il vient en traitement dans le service, il nous fait part de ses week-ends avec ses deux garçons et sa femme. C’est souvent un programme chargé d’où ils ne reviennent que le dimanche soir. Dès qu’ils le peuvent, ils partent en vacances. De mémoire, il y a eu un séjour en Tunisie juste après une consolidation osseuse, avec une équipe médicale sur la réserve. Son discours, son attitude détonnent avec ce que l’on observe le plus souvent, où les patients vivent comme entre parenthèses, et pour qui les projets, même à court terme, sont difficiles.
Après un parcours thérapeutique long et pénible, le myélome de M. E. gagne du terrain. Il nous contacte pour que l’on organise une transfusion sanguine, quelques minutes seulement avant de partir pour ses dernières vacances, sur les pistes enneigées. Femme, enfants, bagages et skis l’attendent sur le parking de l’hôpital. Il décèdera quelques semaines après son retour. M. E. avait fait le choix de vivre avec sa maladie et pas seulement de n’être qu’une personne malade.
L’ALLIANCE THÉRAPEUTIQUE
Tout comme l’utilisation de « tout ce qu’amène le patient », chère à Milton H. Erickson, les émotions de la personne aidée seront notre première source d’inspiration. L’alliance thérapeutique sera la seconde pierre angulaire de notre pratique. Cela signifie accepter, pour le soignant que nous sommes, de créer un lien éphémère avec ce patient qui souffre, et ce, en s’ouvrant soi-même. Il ne nous semble pas concevable de vouloir secourir quelqu’un qui se noie sans se mouiller. Le tout est de savoir nager. Le schéma suivant vous livre notre conception de la transe hypnotique ericksonienne, telle que nous la pratiquons aujourd’hui.
En début de séance (1), le soignant rencontre un patient en conscience critique ou en transe spontanée négative.3 - Lors de la première phase de l’entretien (2) a lieu le recueil, pour ne pas dire l’accueil de ce qu’est ce patient, ici et maintenant, dans toutes ses facettes. Chacun arrive avec sa propre vie, ses expériences, ses valeurs et ses croyances.
- La phase d’induction conversationnelle ou formelle (3) rapproche les inconscients respectifs, met en phase patient et thérapeute, ce dernier se calant sur les apports du premier.
- Lors de la phase centrale (4), les deux naviguent dans la transe, chacun dans la sienne mais à un même niveau émotionnel et chacun accompagné de son propre observateur extérieur (5). Il n’y a pas de chevauchement des transes, chacun la vivant en parallèle sans interférence directe. Cette dissociation protège patient et thérapeute de toute intrusion iatrogène.
C’est dans la nébuleuse colorée qui constitue ce processus de conscience modifiée, l’accès à l’inconscient, aux ressources personnelles et collectives, que tout devient possible comme nous le verrons dans la technique que nous vous proposerons : la maison intérieure aux multiples pièces et son jardin.
En toutes circonstances l’induction, l’accompagnement et la ré-association doivent rester pour le thérapeute un moment créatif, intuitif, un réel plaisir émotionnel d’échanger porté par cette relation thérapeutique spécifique. En d’autres termes, le soignant visera à plus ressentir encore, utilisant chacun de ses cinq sens, laissant à distance son formatage cartésien issu de ses apprentissages scientifiques.
Bien entendu l’observateur extérieur du thérapeute sera, lui, le garant de la poursuite de la stratégie et des objectifs fixés au départ. Selon notre point de vue, à l’intérieur de la transe, le thérapeute doit se fier à son expérience émotionnelle et fonctionner le plus intuitivement possible afin de réagir presque par anticipation aux changements de son patient, en temps réel. La communication d’inconscient à inconscient, une méta-communication selon Erickson, est en effet beaucoup plus rapide et fonctionnelle.