Mesmer dit en parlant de cet espace, qu’il est « un fluide universel dans lequel tous les corps sont plongés ». Une sorte d’« éther » qui assure la continuité, le lien entre les êtres animés et non animés. Le système particulier s’est désolidarisé du corps et est venu s’interposer entre l’être et son monde. Il empêche toute relation directe entre eux. Quand les patients regardent autour d’eux, ils ne voient que ce qui s’est séparé d’eux. Il semble qu’en se plaçant à l’extérieur, les « systèmes » se soient comme dilatés. Ils obscurcissent la vue des malades ou disposent d’un fort pouvoir d’attraction qui focalise l’attention de ceux-ci. Mesmer dirait que la polarité s’est déplacée. Le fluide magnétique s’est concentré sur cet élément extérieur, déséquilibrant les forces en jeu. Il faudrait un baquet, une force magnétique intense pour renverser les polarités et harmoniser la répartition de l’électricité dans le corps et autour de lui.
L’organisation de l’espace de la personne a été modifiée.
La perte de contrôle
Ce que Hegel écrit à ce sujet est clair. Ce qui s’est détaché de la vie universelle, n’y participe plus. Le « système » évolue pour son propre compte. Il n’est plus contrôlé et équilibré par le corps. Il lui est devenu étranger. À ce titre, il n’est plus reconnu par le corps qui songe à s’en débarrasser. Plus il reste longtemps extérieur au corps, plus il le tyrannise. Il ne peut plus disposer des fonctions régulatrices du corps. Mis à distance, son état s’altère ; il inquiète le corps qui ne voit guère comment le réintégrer dans un tel état. Le corps finit par ne plus le supporter et cherche l’évitement. Le patient est terrorisé par la fonction ou l’organe défectueux et cherche un moyen pour régler le problème énergiquement. Si c’est un organe, il songe à la chirurgie ; ce qui est logique puisque l’organe s’est placé lui-même à l’extérieur de l’espace de vie de la personne et ne semble pas vouloir y revenir de lui-même. Si c’est une fonction, le projet serait de la bâillonner ou de la substituer par des médicaments.
Cette perte de lucidité est un véritable « accès de folie » de la personne qui est prête à des solutions radicales pour en finir avec son tyran. Elle peut décider de se venger en maltraitant à son tour la partie malade qui s’est exclue. Elle se livre alors au corps médical qui pique, infiltre, injecte, explore et prélève. La personne peut décider l’ablation d’une partie d’elle-même en se livrant au chirurgien qui répond à la détresse de son patient. La démarche semble logique. Ne plus voir, ne plus entendre parler de ce qui fait souffrir ; couper les ponts et les liens d’avec le tortionnaire. L’exérèse d’une partie de soi, gravement blessée, est justifiée, mais l’ablation d’une partie restée à peu près saine est contraire au processus de guérison qui réclame une réconciliation et non une expulsion.
Ce comportement est phobique. Il touche aussi bien un organe du corps, une fonction de la vie végétative ou un élément de son environnement direct. Il se manifeste par une fuite, un évitement, des pensées obsessionnelles et des peurs paniques incontrôlables.
Il est facile d’admettre qu’une personne soit inquiète d’une partie de son corps. Mais qu’en est-il de la peur de l’avion ? de la peur des serpents ? ou de la peur du vide ? Ces éléments semblent extérieurs à la personne. Il ne semble pas à première vue qu’il y ait une similitude entre ces deux situations.
Une réponse nous est fournie par l’étude des peuples primitifs. Lucien Lévy-Bruhl3 décrit ce qu’il appelle « l’extension de la personnalité ». Chez de nombreuses tribus d’Afrique ou d’Amérique du Sud, les objets du quotidien, les objets fabriqués font partie intégrante de la personnalité. Cette confusion est valable aussi pour les traces de pas, les plantes que l’on a cultivées, et tout ce qui a été en contact avec la personne : les vêtements, les bijoux. Il n’existe pas non plus d’individualité : l’individu est fondu dans son groupe auquel il est assimilé. Pour de nombreuses tribus primitives, la perception ne fait pas de franche distinction entre un humain, un animal, un végétal ou un minéral (rocher). « État émotionnel étrange pour nous, qui ne pouvons guère y entrer, mais naturel pour le « primitif »4, à cause de l’essence commune qu’il se représente, ou plutôt qu’il sent dans tous les êtres avec qui il se trouve en relation. » Pour curieuse qu’elle nous paraisse, cette disposition semble correspondre à la sensorialité première dont parle François Roustang. Une sensorialité basée sur l’indéterminé, avant les cloisonnements rendus nécessaires par la raison et par la culture ambiante.
Cet éclairage donné par l’étude anthropologique des peuples primitifs, nous fait entrevoir d’une autre façon, la construction d’un comportement phobique.
L’équilibre semble réalisé entre les nombreux composants « d’essence commune ». L’équilibre est rompu si un élément devient « étranger » et ne participe plus à « la vie universelle ». La personne ne voit plus cet élément comme étant d’essence commune. Alors le malaise s’installe.