Plus j’avance dans les années de pratique, moins je vois à quoi la psychologie pourrait servir en thérapie et plus je crois qu’elle constitue un sérieux handicap pour le thérapeute, donc une perte de chance pour le patient. Classer une situation vivante dans une catégorie théorique bloque tout mouvement, toute évolution (Villien ). Donc, la psychologie empêche la guérison.
Laissons de côté son absence totale de base épistémologique sérieuse, sujet déjà traité ailleurs. A partir du moment où, avec les mêmes outils de communication, ceux de l’hypnose, nous sommes capables de traiter aussi bien une douleur physique que morale, je ne vois plus bien ni la place ni l’intérêt de la psychologie.
Le terme « psychothérapie » est devenu obsolète. Le mot « thérapie » suffit. Il est suffisamment vague pour nous permettre de rester modestes, donc efficaces. Quand on demandait à Erickson si ce qu’il faisait était une authentique activité de soins, il répondait : « Oui, mais ni le patient ni le thérapeute ne sont absolument obligés de le savoir. » Il me semble qu’à sa suite, nous devrions revendiquer de ne pas toujours savoir ce que nous faisons. Nous devrions revendiquer d’être des spécialistes de l’effet placebo.
De plus, analyser la problématique psychologique d’un patient suivant les termes d’une théorie est facile. Même l’imbécile trouve ainsi toujours quelque chose de complexe et d’impossible à traiter, et derrière sa découverte, il peut encore trouver quelque chose d’encore plus complexe et d’impossible à traiter. Il lui suffit de remonter dans le temps et de se fier à sa grille. Ce faisant, il n’est pas dérangé, il se trouve intelligent, il est content de lui quand il rentre chez lui le soir. S’il travaille en libéral, il garde la même trentaine de patients toute sa vie, il est parfois un peu déprimé. Il a réussi à éviter l’échange vivant et vrai entre êtres humains. Voilà tout l’intérêt de la psychologie théorique pour le praticien : il n’est pas mince.
LA PSYCHANALYSE
Actuellement, la psychanalyse se révèle pour ce qu’elle est dans l’histoire de la pensée : une parenthèse. Cette parenthèse est en train de se refermer parce que l’idéalisme philosophique sur lequel elle repose est moribond. On peut dater cette parenthèse : 1880 – 1980. Le XXI° siècle ne sera pas psychanalytique. De 1880 à 1980, nous avons été envahis par cette énorme construction intellectuelle, aux bases épistémologiques improbables.
Comment expliquer pareil succès pendant tout un siècle ? La psychanalyse était un mythe. Un mythe est une fable à laquelle toute une époque adhère parce qu’elle en a, d’une certaine manière, besoin : elle s’y retrouve. Le mythe a une fonction de régulation sociale. Comme d’autres idéologies du siècle dernier, la psychanalyse a aidé nos prédécesseurs à « tenir » au travers d’immenses bouleversements, comme l’humanité n’en avait jamais connu jusque là.
On ne se bat pas contre les mythes. C’est peine perdue. Ils s’effondrent tout seul quand ils sont devenus inutiles, quand l’époque n’en a plus besoin. Ils se fanent. C’est ce qui se passe de nos jours. Il n’y a plus de place aujourd’hui pour un théoricien de génie, l’un de ces « leaders charismatiques » dont le siècle passé s’était fait une spécialité, en psychologie ou ailleurs, en politique par exemple. Voilà pourquoi il est inutile d’écrire des « livres noirs de la psychanalyse ». Laissons les choses se faire, elles se feront. Une sorte de pragmatisme, parfois désabusé, s’est installé. Je crois que celui-ci prélude à un renouveau de la réflexion philosophique réaliste.
En effet, le praticien, comme le patient, privé de ces idéologies qui mettaient un écran entre lui et la réalité, est désormais affronté nu aux grandes questions de l’homme de tous les temps : la vie, la mort, le mal, le bonheur, le sens de la vie et de la souffrance. Avec son téléphone portable et le terrorisme islamiste, l’homme contemporain est bien plus proche dans ses questions de l’homme des cavernes, affronté nu aux dangers de la brousse, que de l’homme du siècle dernier, habillé de ses idéologies. Il a besoin de rencontres humaines vraies et vivifiantes.
LES PATIENTS
Venons-en à l’intérêt de la psychologie pour les patients. J’ai tenté de démontrer ailleurs qu’ils sont, eux, les véritables auteurs des théories psychologiques et que les dits génies de psychologie du XX° siècle n’ont fait que leur prendre leurs idées. Je cite, en raccourci :
« Nos patients sont malades de logique. Ils raisonnent à perte de vue sur leurs sentiments, leurs pensées, leurs troubles et ses causes. Ils sont des théoriciens de la pathologie, bien plus doués là-dedans que les professionnels. Ils sont plus doués pour la théorie que les professionnels parce que, tout simplement, ils souffrent et que quand on souffre, on se demande pourquoi. Ils sont spontanément psychanalystes, gestaltistes ou systémiciens. L’un croit qu’il est malade du manque d’amour de sa mère qui lui préférait son père. L’autre est persuadé qu’il n’est « pas assez dans son corps et ses émotions ». Le troisième est sûr que s’il allait mieux, sa famille exploserait.
« Les grands pionniers de la psychothérapie traditionnelle ont, en fait, « piqué » leurs idées aux patients. Ils s’en sont emparés pour écrire de gros volumes et asseoir leurs carrières dessus. Les théories officielles, si elles sont si nombreuses, le sont justement parce qu’elles reflètent la variété des théories qu’ont spontanément les sujets sur eux-mêmes . »
Le thérapeute efficace sera donc cynique et bienveillant. Il adopte les théories des patients sans y croire et les utilise pour mettre le bazar dans le système.