Il est né dans une mine d’or, à Aurum (Nevada), dans une cabane adossée à la montagne. Trois murs en bois, le quatrième en roc. C’était encore l’époque, comme dans les westerns et Lucky Luke de la ruée vers l’or. Comme dans les westerns et Lucky Luke, la mine d’or ne tient pas ses promesses et elle est désertée par les pionniers. Papa et maman se replient dans le Middle West et deviennent de paisibles fermiers, comme dans Lucky Luke.
A la ferme, l’enfant aide son père. Plus tard, il demandera systématiquement à ses élèves s’ils ont été élevés à la ville ou à la campagne. Cela ne forge pas la même vision du monde. Ses enfants auront leurs potagers, parfois avec des formes bizarres, pas forcément carrées ou rectangulaires. Toute sa vie, il cultivera, et, souvent, son jardin l’intéressera plus encore que ses patients. Le plus curieux est sa collection de cactus démarrée dès son internat en psychiatrie et sans cesse enrichie jusqu’à sa mort. Le cactus pique.
C’est d’un veau qu’il apprit le maniement de la résistance au changement. Son père cherchait à faire entrer un veau dans l’étable en le tirant par le licol. Plus il tirait, plus l’animal faisait pile. Le petit Milton assistait amusé aux efforts désespérés de son père, ce qui exaspérait celui-ci. A la fin, le père excédé dit à Milton : « Vas-y, fais-le entrer dans l’étable, on va voir qui va rire. » Le petit Milton y va et tire de toutes ses forces sur la queue du veau, comme s’il voulait à tout prix l’éloigner de l’étable. La bête se précipite dans l’étable. Il en conclut : quand vous devez résister à deux forces contraires, vous choisirez toujours de résister à la plus faible.
Hiver dans le Middle West, 4 heures du matin. Le petit Milton s’est levé très tôt parce que, quand il s’était couché, il avait commencé à neiger. Il a hâte de voir le spectacle. De sa fenêtre, émerveillé, il contemple la neige épaisse et immaculée qui a complètement enseveli la grand-rue toute rectiligne et il a une idée. Vers 6 heures, les ouvriers se lèvent pour aller au travail qui est à l’autre bout de celle-ci. Il sort et descend toute la rue en zigzags. Il repart à sa fenêtre : ses traces de pas sont là, bien enfoncées dans la neige, dessinant de grandes ondulations à droite et à gauche. Il attend les premiers ouvriers. Tous vont suivre ses pas et ainsi rallonger de deux à trois fois leur parcours, plutôt que d’aller tout droit comme ils le faisaient d’habitude. Quand vous avez donné le stimulus initial, tout le monde vous suit. Par facilité, même si c’est bien plus compliqué. Ils ne s’en rendent pas compte. Ils le font automatiquement.
De multiples handicaps
Le petit Milton était dyslexique, daltonien et sourd au rythme.
Pour surmonter sa dyslexie, pour reconnaître les mots, il se plonge tellement dans les dictionnaires qu’il y gagne le surnom de « Monsieur Dictionnaire ». Des fois, il a des flashes qui lui font voir les mots. Plus tard, il dira que ces flashes étaient des hallucinations hypnotiques. De la dyslexie, il tirera son goût pour faire revenir les patients à leurs premiers apprentissages, ceux de la lecture et de l’écriture, comme base solide de la thérapie. Cela, les patients ne peuvent pas nier qu’ils l’ont appris et que maintenant, ils le font sans avoir besoin d’y penser.
Dans les scripts de ses séances d’hypnose établis par Rossi, on voit, ici et là, très nettement sa dyslexie. Devant certaines formulations bizarres d’Erickson, Rossi discernait de subtiles habiletés de communication, alors que, tout simplement, c’était le handicap d’Erickson qui s’exprimait. Celui-ci avait appris à l’utiliser dans l’intérêt de ses patients. Qui mieux qu’un handicapé de la communication pouvait en devenir un génie ?
Daltonien, Erickson a un goût prononcé pour la couleur pourpre. Sur la fin, il agrémentait ses chemises « purple » d’une cravate indienne, ce qui a fait croire aux babas cool californiens qu’il était l’un d’entre eux. Son « purple » est devenu la bannière éricksonienne : les disciples du maître, les Instituts Erickson et les maisons d’édition qui ont publié ses œuvres s’habillent ou habillent leurs livres en « purple » !
Il était incapable de reconnaître une mélodie et la musique était un supplice pour lui. De cette surdité au rythme, Erickson tire une observation visuelle accrue du rythme respiratoire des patients : ce rythme-là, on peut le voir, et Erickson observe minutieusement tous les indices corporels. La poitrine se gonfle, s’affaisse, se gonfle, s’affaisse… Or, si le thérapeute synchronise sa respiration sur celle du patient, il s’établit entre eux une communication d’un mode spécial. A un niveau non verbal, il y a un accord. Le patient n’en est pas conscient. La communication devient hypnotique.