ANY est probablement la patiente qui m’a donné l’occasion d’apprendre à dépasser cette peur et ce vertige.
Dépressive majeure, lourdement médiquée et alcoolisée, elle consulte, se plaint, positionnée en victime des autres. Je lui propose X idées de changements et des tâches qu’elle n’effectue pas. Après quelques séances Any me dit : « Vous savez Docteur, je n’ai pas envie de changer, j’ai seulement envie d’être écoutée ». J’accepte en lui mettant une condition : venir tous les mardis à 14h. Any sait que mes RV ne sont pas donnés à un rythme régulier et prédéterminé : ils sont rythmés par les tâches. Elle me demande le pourquoi de cette exigence et je lui répond en bâillant que 14h est une heure postprandiale, que j’ai la digestion un peu lente mais que ma concentration à cette heure est bien suffisante pour écouter… Alors que chercher des solutions, créer des tâches, etc requiert plus d’énergie… J’ajoute que le mardi, cette heure là est libre dans mon agenda…
Le mardi suivant, cela fait 20 minutes qu’elle me parle, que je l’écoute tout en dessinant les plans de travaux que je projette de réaliser dans mon grenier. : elle me dit : « Ce que vous dessinez, ça me concerne ? » et je lui répond « Non, mais je vous écoute, continuez ». En sortant de cette consultation, Any a été voir son psychiatre, demander une cure de sevrage sérieuse, assortie de conditions qui accroissaient ses chances de réussite. Cela fait huit ans qu’elle est sortie de ses problèmes.…
Quand j’ai arrêté de la porter à bout de bras, elle a pu prendre la décision de se prendre en charge elle-même : elle a fait ce qu’il fallait, elle l’a bien et durablement fait. Elle a travaillé « à son compte »….
Vous et moi avons vécu et revécu ce genre d’expériences trop souvent pour qu’il s’agisse d’un hasard…
En 2003, j’ai interrompu mon activité de consultations pendant plus d’un an. A mon retour dans la pratique de la thérapie, j’ai eu l’impression que les résultats obtenus par les patients étaient meilleurs qu’avant. En tentant de comprendre ce qui se passait, j’ai fait l’hypothèse que c’est parce que j’en faisais encore moins….
Cette position de non savoir (je ne sais pas mieux que l’autre ce qui est bon pour lui, votre inconscient sait mieux que moi et que votre conscient ce qui est bon pour vous, etc) est aussi une position de non-pouvoir : ce qui n’est pas sans rappeler la « position basse ». Si je suis l’expert, comment le patient pourrait-il l’être ?