« Le travail n’est pas que du travail, c'est aussi des gens qui vivent. » L’une des plus importantes composantes du travail demeure l’être humain, un être qui ne cesse pas d’être humain lorsqu’il quitte pour quelques heures sa vie privée et intègre son emploi, et tout cuirassé qu’il soit dans son costume/tailleur, il traîne avec lui le poids de sa condition.
Les artefacts qui constituent la culture des entreprises sont nombreux et semblent se multiplier, contribuant à rendre chaque fois plus floue la limite entre professionnel et personnel. La volonté d’intégrer le plus possible l’humain, de le faire se sentir bien pour lui donner envie de donner plus, a conduit à la mise en place d’événements conviviaux au sein même des édifices de labeur : les divers pots, fêtes de Noël et autres réunions informelles (baby showers, départs en retraites, etc.) plantent chaque fois le décor du rapprochement, de la sympathie… de la séduction, adjuvant éthylique fourni si besoin !
Et quand la direction pousse le « vice » jusqu’à organiser des séjours, séminaires, voyages entre collègues, les chambres d’hôtels font souvent naître des fantasmes qui réconcilient le sexe et le travail.
Mais l’exigence qui va de pair avec ces cadeaux que certains qualifient d’empoisonnés également participe à la sexualisation : comment refuser une réunion tardive appelée à s’éterniser lorsqu’on nous offre un cadre de travail agréable ? Et quoi de plus sensuel que de partager sa nuit avec quelques collègues ? Car cette barrière symbolique du jour et de la nuit est franchie !
En inculquant peut-être démagogiquement la culture du plaisir à ses salariés, l’entreprise ne fait donc que conforter une tendance contemporaine hédoniste qui tend à nous laisser répondre favorablement à nos instincts de plaisir.
La technologie aussi porte sa culpabilité. L’informatique et Internet sont aujourd’hui de grandes baies vitrées ouvertes sur le monde extérieur rendu ainsi plus accessible à tout moment. Les fonds d’écran et écrans de veille érotiques, voire pornographiques, se répandent, choquant certains, amusant d’autres. L’accès à des sites de charme également a connu une vague que les entreprises ont jugulée grâce au contrôle des connexions…
Mais comment peut-on encore croire à ce contrôle lorsqu’équipés de « smartphones », nous sommes capables en tout lieu et à tout moment de consulter de manière privée, dans un lieu public, toutes sortes de sites ?
La nature humaine se rattrape elle-même ! Les femmes interrogées dans le cadre de mes recherches sur cet article, si elles considèrent souvent que le sexe n’est pas une nécessité sur le lieu de travail, s’accordent à penser que l’endroit reste propice aux rencontres, à l’amour et au sexe, comme cette avocate qui a entretenu un rapport de séduction durant quelques mois avec son patron sans jamais passer à l’acte…
La société ne sait si intégrer ces nouveaux comportements en acceptant enfin notre caractère sexué/sexuel ou si les rejeter en légiférant toujours plus. De fait, l’évolution que nous connaissons aujourd’hui semble confirmer que l’« amour, le travail et la connaissance [étant] les sources de notre vie, ils doivent la gouverner ».
SEXE AU TRAVAIL
Le sexe au travail peut donc s’exercer à trois niveaux : au niveau symbolique d’abord, comme nous venons de le voir ; au niveau des fantasmes que chacun est libre d’entretenir ; au niveau physique enfin. Les fantasmes en entreprises ne manquent pas !
Il est difficile de déterminer s’ils ne servent qu’à égayer des journées difficiles, à nous sortir d’un quotidien que nous fuyons ou s’ils procèdent de désirs réels…
Mais les « légendes urbaines professionnelles » regorgent de ces histoires. Les relations de subordination hommes/femmes ont traditionnellement constitué les racines de fantasmes typiquement masculins dans lesquels la secrétaire entretient des relations avec son patron, l’ouvrière avec son contremaître.
Repris par les femmes, ces fantasmes sont ceux que hommes et femmes imaginent aujourd’hui dès que l’on aborde le thème de la sexualisation du lieu de travail. En se modernisant, ces fantasmes ont pris bien des formes : on peut citer la promotion canapé, l’obtention d’un poste en se montrant facile face à un recruteur…
Ces jeux de rôles intégrés comme des possibles de l’entreprise n’ont cependant qu’un impact relatif sur la sexualité des employés car ils ne se réalisent au fond que rarement, et contribuent plutôt à alimenter toujours les jeux de séduction au bureau même si les normes en place nous poussent à chaque fois à les recaler dans notre esprit, tant nous avons intégré que ce jeu est avant tout celui de l’interdit.
Le sexe au travail est pourtant une réalité également qui peut parfois alimenter la rumeur. Je me rappelle ce patron dont toute l’entreprise disait qu’il devait se masturber sept fois par jour et qui se soulageait dans les toilettes. Cette rumeur était en fait bien réelle et le principal intéressé ne s’en cachait pas !
Je ne peux qu’extrapoler sur la teneur des fantasmes qui le poussait à passer à l’acte sur son lieu de travail – une forme d’exhibitionnisme ? Une excitation démesurée face à ses collaboratrices ? Un besoin physiologique réel ? Un tel passage à l’acte reste une demi-mesure n’impliquant qu’une personne directement, et plaçant les autres dans le rôle de voyeurs passifs, obligés de subir à distance la sexualité d’un autre, mais la relation sexuelle entre deux personnes existe également.
Et quand la résultante est la grossesse non désirée d’une employée, c'est toute l’entreprise qui sursaute d’abord, puis vibre au rythme de l’excitation engendrée chez chacun de savoir que quelqu’un a osé franchir la barrière : interroger ses coéquipiers au milieu d’une réunion de travail afin de saisir tous les tenants et aboutissants d’une telle rumeur contribue aussi à cette sexualisation fantasmée qui trouve alors à se structurer sur des faits, du concret qui nous dit qu’une femme a cédé aux avances d’un homme, et se retrouve prise pour une victime.
Il est indéniable cependant que le statut des femmes a énormément évolué. Après avoir pris position dans le monde capitaliste, la femme en a monté les échelons, développant chaque fois plus son indépendance – financière notamment – en même temps que son émancipation tant à l’égard de ces hommes qui auraient aimé la garder en cage que des modèles mentaux qui la voulaient soumise à l’autorité d’autrui, et dépourvue de libre-arbitre.