Bordin (1979), l’un des plus célèbres théoriciens de l’alliance, la définit comme « un partenariat entre client et thérapeute pour atteindre l’objectif du client ». Retenons les termes suivants : partenariat-entre-client-et-thérapeute-pour obtenir-l’objectif-du client. Un partenariat implique que la raison présentée par le client est a priori valide. Le thérapeute choisit de l’écouter dans une attitude collaborative (Goolishian et Anderson, 1992 ; Anderson, 1997). Simplement dit, il est fondamental de prendre en considération la raison pour laquelle un client consulte. C’est de cela que dépend le succès obtenu en psychothérapie. Pour beaucoup de professions orientées vers les services, la mesure de la satisfaction et de la pertinence des services est la base nécessaire, mais non suffisante, pour créer une relation d’aide. Tout récemment encore, Norcross (2010) souligne que : « Ayant analysé 89 études sur l’alliance et l’efficacité du traitement pour des adultes, il en ressort que la corrélation moyenne est de 21, une modeste mais solide association (Horvath et Bedi, 2002). » Il s’ensuit, ajoute Norcross, que la qualité de l’alliance est une puissante indicatrice de succès en psychothérapie, « incroyablement consistante », certainement bien plus que la différence entre les approches.
Comment centrer nos pratiques et nos enseignements sur l’essence de ce qui est le plus solide prédicteur de succès ? Il nous faut co-construire avec nos clients des alliances solides, nous inquiéter de ce qui, à leur avis, les inquiète, les écouter d’une manière qui leur permette de se sentir entendus, adapter nos approches, nos méthodes, nos buts à ce qu’ils attendent dans la mesure de nos possibilités, et finalement parler de ce dont ils veulent parler.
Au « top ten » des contre-performances classiques rapportées par les clients et par certains cliniciens figure la difficulté qu’ont beaucoup de thérapeutes à répondre à la demande de certains patients les questionnant sur leur formation, leur approche théorique ou leur manière de travailler. Ou même plus simplement sur la durée approximative d’un traitement, mettant simplement en avant les contingences financières d’une entreprise thérapeutique sans fin. Là aussi la patience, la capacité d’articuler, d’expliquer son travail semble favoriser la possibilité d’un « partenariat ». Notre profession demeure hélas à ce jour l’un des rares services qui, depuis des décennies, a souvent occulté aux yeux des clients leur nature, celles de ses interventions, de ses méthodes, de ses approches, et l’efficacité de ses pratiques. Nos clients sont parfaitement en droit de demander et de comprendre la manière dont nous pourrions leur être utiles avant de s’engager dans une quelconque démarche de traitement. Le thérapeute peut, par exemple, utiliser des métaphores qui permettent au client de comprendre en quoi une psychothérapie pourrait lui être utile. Pour parer à nos historiques manquements, nous suggérons de favoriser ces questions. C’est le rôle du clinicien, à notre avis, d’être clair sur ce qu’est la psychothérapie, à quoi elle sert, pourrait servir, a déjà servi, en quoi elle soulage et comment elle le fait. Toutes ces précisions permettent au client de se positionner plus clairement, d’effectuer un choix éclairé sur le type de travail et de psychothérapie qui pourrait lui convenir.
Les buts du client sont-ils les buts du thérapeute ?
Accepter les buts du client ne sous-entend pas suivre aveuglément la piste proposée. Cette dernière peut être l’objet d’un processus de déconstruction.
Tout but devrait correspondre à trois critères de bases :
1) Il doit être défini en termes clairs, non équivoques. Par exemple : « Si l’on pouvait, dans un mois, montrer une vidéo de vous qui prouverait à vos amis que vous avez changé, qu’est-ce qu’on y verrait de différent ? Qui le verrait ? Comment le verraient-ils ? Comment votre meilleur ami pourrait-il nous dire que vous avez changé ? En quoi nous dirait-il que vous avez vraiment changé ? Qui d’autre pourrait le dire ? Comment le remarquerait-il ? » Nous essayons d’obtenir avec nos clients des comportements (plus de sourires, plus (ou moins) de paroles, des actions spécifiques, i.e., des gestes, des comportements observables par des tiers) pour définir un but.
2) Le but doit être atteignable. Par exemple : « Vous me dites, Monsieur, que si la thérapie était efficace pour vous, vous seriez heureux ? Comment votre femme le remarquerait-elle ? Qu’est-ce qui serait différent ? Décrivez-moi, s’il vous plaît, une journée où vous seriez heureux, une journée inoubliable. Sur une échelle de 1 à 10, à combien seriez-vous aujourd’hui sur l’échelle de bonheur ? A combien seriez-vous quand vous n’aurez plus besoin de venir ? » Autre exemple : « Si la thérapie était efficace, ben… on arrêterait constamment de se quereller. » « Bien ! Que feriez-vous de différent ? Qui le remarquerait en premier ? Quelle activité feriez-vous alors au lieu de vous quereller ? Qui en serait le plus touché ? Qui en serait le moins surpris ? Qui en serait le plus surpris ? Comment penseriez-vous alors à votre conjoint(e) différemment ? » L’important est de remarquer et de permettre à vos patients de souligner avec quelle fréquence le but articulé par nos clients dans un premier temps se note par l’absence de comportements indésirables. C’est le travail du clinicien pour entrer dans l’espace du possible, de permettre aux patients d’articuler ce but en termes positifs, descriptibles, objectivables. On trouve comme but, au lieu d’une absence de comportements indésirables, la présence de comportements souhaitables. Plus loin, on pourrait souligner que la possibilité du comportement souhaitable intervient dans le champ de l’expérience, en tout cas au niveau rhétorique, puisque la personne, au lieu de s’imaginer des impossibilités, commence à articuler ce qu’il faudrait qu’il se passe pour qu’elle aille mieux. Elle arrive ainsi déjà à les aménager dans la représentation de ce qui pourrait se passer différemment.
3) Le but doit être mesurable. Par exemple : « Sur une échelle allant de 1 à 10, 10 étant que vous avez atteint votre but, où vous placeriez-vous aujourd’hui ? Où étiez-vous sur cette même échelle avant votre premier coup de fil ? Où vous placeriez-vous aujourd’hui sur cette même échelle ? Où pensez-vous que vous pourriez être dans trois semaines, dans un mois, dans six mois ? Si vous progressiez d’un demi-point sur cette échelle, qui le remarquerai(en)t en premier ? Comment le remarquerai(en)t-il(s) ? Si vous aviez-obtenu votre but, comment le sauriez-vous ? Qui le remarquerait en premier ? Comment le remarquerait-il ? »
Il est souhaitable de suggérer par des « questions sur échelle » la progression et le mouvement. Une question sur échelle est une question qui, comme on le voit dans le paragraphe précédent, permet de quantifier le progrès. Ces questions ont été inventées pour la gestion de la douleur afin de permettre de différencier l’état douleur/sans douleur et d’appréhender une progression. Lorsque nos clients se positionnent sur cette échelle, même très bas, ils ont nécessairement la perception d’une possibilité de changement et parfois l’impression qu’ils s’évaluent mieux que là où ils pourraient être. Les questions sur échelles permettent d’évaluer la progression du travail thérapeutique. Pour les enfants ou même les adultes, les échelles peuvent devenir des pourcentages, des escaliers, des disques dont on compte ou noircit la partie qui convient. L’utilisation de questions sur échelles peut et devrait rester flexible et modifiable selon l’intérêt du client, de la famille, du couple. Certaines personnes avouent avoir de la peine à quantifier leurs expériences. Il est important de proposer, de suggérer avec délicatesse ce processus complexe de questionnement, et en aucun cas de le contraindre.
Le clinicien doit apprendre à construire précocement lors du processus thérapeutique des buts clairs. En prenant pour boussole l’alliance, nous retrouverons souvent la direction à prendre. Cliniquement, cela signifie mesurer fréquemment avec ses patients les paramètres suivants :
1) Evaluons les buts de la séance de manière collaborative : « Est-ce que nous avons parlé de ce dont vous vouliez parler aujourd’hui ? »
2) Evaluons la qualité de l’alliance : « Si vous pouviez évaluer aujourd’hui le plus honnêtement possible, et librement, comment vous avez ressenti le travail avec le thérapeute sur une échelle allant de 1 à 10 (1 étant que vous vous ne vous êtes pas senti entendu, respecté, et 10 que vous vous êtes senti entendu, respecté), où vous situeriez-vous ? »
3) Evaluons ce qui a été accompli durant la séance en fonction du temps à disposition. « Sur une échelle allant de 1 à 10, 1 étant que vous n’avez pas du tout l’impression d’avoir accompli quelque chose aujourd’hui, et 10 étant que vous avez l’impression, qu’étant donné le temps disponible, vous avez vraiment bien travaillé aujourd’hui, où vous placeriez-vous aujourd’hui sur cette échelle ? »
Cette approche se démarque de la classique « analyse de la demande » qui sous-entend une dichotomie entre savoir et non-savoir, entre soignant et soigné. Dans l’écoute des buts du client comme dans celle des a priori considérés comme valides, il y a un saut épistémique énorme d’avec celle-ci. Les positions d’analyse de la demande sont souvent à l’opposé d’une démarche herméneutique qui cherche à comprendre la réalité de l’autre en s’imprégnant de sa perspective, et qui tente de se mettre dans les souliers de son client pour approcher son « horizon » (Heidegger) et construire un « cercle herméneutique ».
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