Dans la longue tradition de la psychothérapie, un fossé abyssal s’est depuis longtemps créé entre la recherche et la pratique. Aujourd’hui le champ de la recherche sur le processus en psychothérapie devient prolifique et intéressant pour les cliniciens (Duncan, Miller et Sparks, 2004 ; Duncan, Miller, Wampold et al., 2010 ; Hubble, Duncan et Miller, 1999 ; Greenberg et Pinsof, 1986 ; Gurman et Kniskern, 1978 ; Kuenzli, 2006 ; Horvath et Simons, 1991 ; Hutchinson et Wilson, 1994 ; Pinsof et Wynne, 2000 ; Pope et Tabachnick, 1994 ; Toukmananian et Rennie, 1992 ; Rosenzweig, 1933, 1936, 1937, 1938 ; Shoham et Salomon, 1990 ; Worthen et McNeill, 1996). Ces publications nous permettent de rassembler des connaissances fondamentales et prometteuses concernant le champ de nos pratiques. Nous proposons au lecteur une liste de six postulats issus du domaine scientifique. Nous souhaitons dans ce présent article en découvrir les possibles implications pratiques. Les recherches sur l’alliance mettent « nos » théories sur la banquette arrière de la voiture, en nous remettant, nous, cliniciens, ainsi que nos clients, aux commandes du volant, ce qui est une fort bonne nouvelle. Nouvelle qui tombait sous le sens commun : ce sont les cliniciens qui font de la psychothérapie et non des modèles ni des interventions qui font le succès de la clinique.
Postulat I. La psychothérapie est-elle efficace ?
Le premier postulat nous procure la voie royale pour argumenter la suite du présent article. La psychothérapie est ainsi utile, efficace ; elle fait une différence. Le traitement par psychothérapie est deux fois plus efficace qu’un traitement placebo, et quatre fois plus utile qu’une absence de traitement (Miller et al. 2006 ; Lambert et Bergin, 1994 ; Assay et Lambert, 1999). Bergin (1971), Bergin et Lambert (1978), Smith et Glass (1980) mettent en exergue l’efficacité des traitements psychothérapeutiques. Des milliers de patients présentant des symptomatologies multiples ont été pris en compte. Aucune place n’est laissée au doute.
Suite à ce postulat, une attitude socratique nous semble utile, puisqu’il soulève une ribambelle de questions corolaires :
- En quoi réside l’efficacité du traitement ?
- Quels sont les facteurs qui favorisent son succès ?
- Comment assurer la qualité d’une psychothérapie ?
- A quoi faudrait-il faire attention en tant que clinicien ?
- Que peut faire le clinicien dans sa consultation pour améliorer la qualité de ses pratiques (simplement, modestement) ?
- Comment évaluer la qualité d’un traitement en psychothérapie ? Quand et à quelle fréquence serait-il approprié, recommandé de le faire ?
« Si nous devions appliquer envers nos collègues la distinction si importante avec nos patients entre ce qu’ils font et ce qu’ils disent qu’ils font, nous trouverions que l’accord est plus grand en pratique qu’en théorie. On est souvent d’accord sur le fait que nos techniques ne peuvent ni être uniformes, ni rigides, mais devraient varier en fonction de l’âge, des problèmes, des potentialités de nos clients et de l’unique personnalité du thérapeute… Un psychothérapeute ne peut rien offrir d’autre que lui-même. » (Rosenzweig, 1936, p.29)
Frank et Frank (1991) offrent une analyse perspicace du facteur commun. Selon eux, la psychothérapie devrait être analysée comme une « entité » ; les facteurs qui en font son efficacité sont communs à tous les modèles. Bien avant eux, dans les années 1930 déjà, les articles de Rosenzweig furent remarquablement avant-gardistes. C’est avec génie et bravoure qu’il y a près de soixante-dix ans, cet auteur avait prédit le « dodo verdict » de la psychothérapie, ainsi que l’a appelé Luborsky (1995) : à savoir que, puisque toutes les approches semblent équivalentes, il devrait y avoir des facteurs panthéoriques qui dépassent ou anticipent les différences entres les approches. Luborsky, pour définir le verdict du dodo (par la référence à Lewis Carroll dans Alice au pays des merveilles), qui conclut que « chacun a gagné et tous vont avoir des prix ».
Postulat II. Premier prédicteur de succès en psychothérapie : la qualité de l’alliance
Voici près de trente ans que les recherches montrent de façon constante qu’une alliance positive est le prédicteur de succès le plus fiable en psychothérapie. Ces centaines d’études sur l’efficacité de l’alliance ont été résumées par une série de méta-analyses commandées et publiées par l’Association Américaine des Psychologues (American Psychological Association, division 29, celle de la psychothérapie) (Norcross, 2001, 2002). Les recherches sur la force de l’alliance se basent sur plus d’un millier d’études (Orlinsky, Ronnestad et Willutski, 2004). Une information comme celle-ci fait l’effet d’une allumette sur une trace de poudre. En tout cas, rares sont aujourd’hui les cliniciens qui ignorent ces recherches. L’alliance peut être évaluée, et seul le client est en mesure de décider de sa qualité. Certes, les deux parties en peuvent évaluer la qualité, mais avec des enjeux et des effets différents. Eu égard au succès du traitement, l’opinion du client est prépondérante. L’alliance est à peu près sept fois plus importante que le modèle ou la technique employée par le clinicien. Si l’on en croit les recherches, lorsqu’une difficulté apparaît en clinique, le thérapeute aurait tout intérêt à réparer d’abord l’alliance plutôt que de changer d’intervention ou de questionner la nature ou la forme de telle ou telle autre interprétation. En appliquant ce postulat à la lettre, nous suggérons, lorsqu’on rencontre une impasse clinique ou un risque de rupture d’alliance, de tourner son attention directement et respectueusement vers son client et de lui demander son avis. Une telle démarche a pour but d’améliorer la qualité de l’alliance et de réparer ainsi ce qui peut l’être.
Ces recherches suggèrent l’établissement d’un travail dialogique et collaboratif avec nos clients, dans le but d’améliorer et de contrôler la qualité de l’alliance créée.
Changer la manière dont on approche et enseigne la psychothérapie sont des conséquences dérangeantes mais certainement prometteuses découlant de ces massives découvertes issues du champ de la recherche. Comprenons-nous bien : nous défendons avec verve l’importance d’une position théorique cohérente, élaborée et structurée. Cette théorie devrait être construite en progression, en alliance et en rapport avec ce qui se passe dans la salle de thérapie. L’important est de questionner l’objet méthodologique et de le rendre sensible à l’objet que l’on veut découvrir. Dans le récent champ de la psychothérapie centrée sur le processus (Duncan, Miller et Sparks, 2004), la méthodologie est plus sensible à l’évolution constante d’une alliance.
« La qualité de la participation en psychothérapie est le déterminant le plus important pour prédire le succès… La contribution du thérapeute pour arriver au succès est obtenue par un engagement empathique, positif, collaboratif et congruent avec soi… Ces relations entre processus et buts de la thérapie, basées littéralement sur des centaines de recherches empiriques, peuvent être considérées comme des faits établis depuis plus de quarante ans de recherches. » (Orlinsky, Grawe et Parks, 1994)