Tout cela suppose la fin d’une dualité entre la pensée et le fonctionnement physique . Il faut considérer une parole échangée comme une interaction pas différente d’une réaction hormonale ou motrice à la présence de quelqu’un (Cyrulnik, 1991). Il y a peu de recherches dans ce domaine parce que la culture occidentale s’est construite sur l’idée d’autonomie de la pensée, que la pensée n’est pas une relation psychophysique. A l’inverse, la pensée orientale, et notamment la médecine traditionnelle chinoise, n’a pas connu cette autonomie de la pensée, la dualité sujet objet, à l’origine cependant de la science telle que nous la connaissons. De même la pensée occidentale, sous l’influence du monothéisme, considère qu’il y a a priori une unité de la personne là où la pensée orientale considère des « sois » multiples.
Il se trouve que les modèles actuels de la conscience suggèrent une pluralité d’états de conscience possibles selon la cohérence de réseaux neuronaux en concurrence, ces réseaux étant en état d’oscillation cyclique en recherche de synchronie (Koch, 2006, Dennett, 2008). En anthropologie des sciences, la théorie de la traduction considère que les interactions qui produisent la conscience mettent en jeu sur le même plan, de façon indissociable, des acteurs humains et des acteurs non humains, du langage et des actes (Akrich, Callon et Latour, 2006). Ces acteurs interviennent en tant que réseaux associatifs s’articulant les uns aux autres et non en tant que causes, d’où leur nom d’acteurs réseaux. La conscience est la conséquence d’un état d’équilibre sociocognitif de ces acteurs, sociocognitif parce qu’il mélange le social (ou le culturel) et le cognitif (Courtial, 2008a, 2008b). C’est un acteur réseau tel que ce que nous percevons de nous-même est la conséquence d’une relation . On s’explique alors qu’une peur comme une boule puisse être considérée comme un acteur en elle-même, qu’il soit possible de s’adresser à cet acteur comme une personne et que la conscience de soi, ce qui est attribuable au milieu et ce qui est attribuable à soi-même, se répartisse autrement.
On peut comprendre ainsi l’hypnose introduisant une relation qui supprime la conscience de soi comme acteur : inconscience par exemple, à l’occasion d’une « hypnose spectacle » d’avoir été « programmé » par suggestion post-hypnotique à délacer ses chaussures au réveil. D’un autre côté, l’idée de fonctionnement biocognitif de l’être humain est apparue à la suite des travaux de Varela (1989) puis de Martinez (2001). Martinez suggère l’existence d’un stockage fractal d’une bioinformation, c’est-à-dire que c’est la structure de l’information qui est stockée à différents niveaux cognitivo-biologico-culturels . Il en résulte une logique de co-émergence instantanée, non linéaire, d’un phénomène biocognitif lorsque que c’est la même forme qui est activée à différents niveaux (aspect fractal). Le système corps esprit serait organisé comme un réseau fractal mêlant information et matière (à la différence de l’analyse des systèmes qui présuppose des éléments matériels fixes en interaction causale et non fractale par de l’information) obéissant à un algorithme de renforcement de cycles d’où co-émergent des éléments ou acteurs provisoires (Courtial, 2009, 2010, Courtial, Bailon-Moreno et Dumont, 2007, Courtial et Bailon-Moreno, 2007, Garnier, 2008, Herbet, 2008).
On a découvert récemment l’existence de neurones miroirs (Rizzolatti, 2007). La découverte des neurones miroirs suggère un principe de contagion des états non seulement mentaux mais biocognitifs. Un neurone miroir s’active de la même manière pour un comportement observé et le même comportement adopté. A cela s’ajoute chez certaines personnes le phénomène de synesthésie visuo-tactile selon lequel voir quelqu’un touché par un tiers entraîne la sensation d’être touché (Banissy et Ward, 2007). On fait l’hypothèse aujourd’hui que la même chose fonctionne au niveau du langage et pas seulement de la vue, voire au niveau des autres sens. Une parole entendue aurait des effets identiques à la même parole prononcée. Un toucher par quelqu’un sur nous aurait des effets identiques au même geste effectué par nous-même.