La théorie du chaos, ou théorie du papillon, est née dans les années 1970. C’est en lisant le livre de James Gleick, « La Théorie du chaos », que j’apprends que les systèmes complexes passent par des phases chaotiques à chaque fois qu’ils n’ont plus la capacité de s’adapter simplement aux évolutions naturelles. Chaque être humain est un système complexe vérifiant la formule : un plus un est différent de deux. La différence vient de l’interaction entre les deux éléments qui crée une dimension nouvelle, la dimension complexe.
Si cette idée de phases chaotiques permettant à un système de créer de nouvelles solutions m’attirait, ce n’est que vers 1997 que j’ai fait le lien avec les derniers patients pour qui je prescrivais encore des antidépresseurs. Certains de ces patients consultant « en urgence », paniqués par une perturbation brutale qu’ils ne comprenaient pas.
Habituellement, les troubles sont récents, sévères, l’angoisse est majeure, les symptômes sont très instables et très variables d’un moment à l’autre, très imprévisibles. Pour d’autres, cette perturbation survient dans le cadre de la thérapie. En reliant ces phases critiques avec la théorie du chaos, j’ai pu vérifier que ce processus prélude à un réaménagement majeur dans le mode du fonctionnement du patient. Ce sont des changements de type 2.
Comme dans l’histoire du lacet qui casse, un tout petit événement peut déclencher une crise chaotique. Intensité et durée sont très variables : de faible, voire presque inapparente à impressionnante pour l’intensité, de quelques minutes à quelques jours ou semaines pour la durée. Pendant la phase chaotique, le système est très sensible au moindre changement. Une poussée dans un sens ou dans l’autre va calmer ou amplifier la situation. Pensez aux crises de couple, aux réactions avec un adolescent.
L’essentiel est d’accompagner cette crise pour qu’elle aille jusqu’au bout dans un contexte sécurisé et protégé. Le cadre médical construit un tel cadre qui permet d’attendre la résolution. Lorsque celle-ci survient, calme et bien-être reviennent immédiatement. Dans cette phase d’attente, l’hypnose est fondamentale pour contrôler l’angoisse et la technique classique du lieu sur corporel fait des merveilles. Le coloriage de mandalas permet aussi de trouver un apaisement temporaire dans les moments les plus difficiles.
Géraldine a 35 ans, mariée depuis dix ans. Tout va bien sauf qu’elle ne peut pas avoir d’enfant en raison d’une peur majeure qui apparaît dès qu’il est question de bébé ou dès qu’elle en voit un. Nous avons fait plusieurs séances qui n’ont eu aucun effet bénéfique. Un an après ma dernière rencontre avec elle, elle demande à me voir en urgence.
Elle est métamorphosée, la mine défaite, en larmes, ne contrôlant plus ses sensations ni ses émotions, décrivant sa vie comme un échec total. Son médecin veut l’hospitaliser. Les troubles sont apparus brutalement il y a une semaine. Elle a raté un train et s’est effondrée en larmes sur le quai de la gare. Identifiant une phase chaotique, je lui décris le processus en cours, je lui demande d’observer tout ce qui se passe pendant quatre jours et lui « prescris » de colorier des mandalas.
J’ai demandé à voir son mari à la deuxième consultation afin d’éviter une réaction en chaîne de panique de sa part. Elle va mieux, colorie beaucoup et, plus surprenant, son mari m’apprend que depuis quelques jours, elle parle de grossesse et de maternité avec sa mère et ses amies. Géraldine confirme mais ne sait pas pourquoi la peur qu’elle ressentait auparavant s’est envolée.
Jaune : Rossi et l’unité esprit-corps
Si nous avons vécu près de quatre siècles, depuis Descartes, avec la dissociation du corps et de l’esprit, nous vivons aujourd’hui les temps de la réassociation vers une vision globale de l’humain. Si chacun sait que toute perturbation physique est doublée d’une perturbation mentale et réciproquement, la science contemporaine est en train de le redécouvrir et d’accumuler des preuves. Depuis plus de trente ans, Ernest Rossi intègre ces données expérimentales dans sa pratique hypnotique.
Nous savons maintenant que nos neurones sont remplacés tout au long de notre vie par un processus appelé neurogenèse. Ce processus est stimulé par les exercices physiques et mentaux (sports et mots croisés...), les expériences nouvelles (voyage, visite, thérapie, formation...), et par les états de focalisation intense de la conscience type transe.
Autrement dit, tout ce que nous faisons dans nos thérapies hypnotiques et thérapies brèves ! Des expériences mentales qui modifient la matière cérébrale, mais aussi en activant certaines parties du génome (dans chaque cellule) pour produire de nouvelles protéines, elles-mêmes impliquées dans les processus de guérison tissulaire.
Le mental peut modifier le corps ! Vers la guérison mais aussi vers la maladie. La dissociation esprit/corps ne tient plus et pourrait conduire à des remaniements spectaculaires dans les catégorisations des pathologies ainsi que dans les traitements.
Parallèlement à cette assise scientifique en plein essor, Rossi a sélectionné et amplifié des principes hypnotiques fondamentaux depuis les premiers écrits sur l’hypnose et largement utilisés par Erickson : les processus idéo-dynamiques.
Pour favoriser ces processus, le patient met ses mains en équilibre, relie une main à ce qui le préoccupe, l’autre à ses ressources. En générant une tension mentale, parfois pénible, focalisée sur le problème, il se produit une activation cérébrale consciente et inconsciente qui se traduit par des mouvements involontaires dans les mains.
L’ensemble génère une dissociation hypnotique majeure qui active les ressources mentales et corporelles du sujet. Le thérapeute, en miroir, accompagne, focalise et soutient le processus en limitant au maximum toute suggestion.
Depuis que j’ai rencontré Ernest Rossi en 2003, ce modèle a transformé ma pratique avec les patients dépressifs sur plusieurs points. Il confirme les observations d’aridité mentale du patient chronique : perte de nouveauté, d’exercices et de transe créative génèrent un affaiblissement du potentiel vital. D’où l’intérêt du plus petit objectif possible.
Nous observons les mêmes choses chez les patients douloureux chroniques, comme si dépression mentale et douleur chronique étaient les deux faces d’une même réalité. La plupart des patients douloureux chroniques reçoivent des traitements similaires aux patients dépressifs, et dans ma pratique, la stratégie que j’applique dans les deux situations est quasiment la même.
Sur le plan pratique, la technique de Rossi est un nouvel outil particulièrement puissant dans les dépressions chroniques pour mettre en route un processus de changement créatif ou pour l’amplifier. Le minimalisme des suggestions associé au soutien permanent du thérapeute offre au patient l’espace thérapeutique intérieur le plus large possible.
Avec ce modèle, nous avons une nouvelle couleur à notre palette et nous pouvons penser les difficultés observées d’une manière nouvelle. Et Erickson disait toujours que les problèmes viennent de limitations de l’esprit conscient. Si nous nous orientons différemment dans la réalité, celle-ci se transforme. Si nous acquérons une vision globale, notre capacité d’action s’en trouve très augmentée.