Ces observations nous invitent à réenvisager les buts de la préparation psychologique à la performance et à nous poser, ainsi qu’aux athlètes la question suivante : « En quoi les expériences internes désagréables sont-elles un problème dans le contexte de la compétition ? » Cette question est une invitation à d’abord réfléchir sur la relation de l’athlète à son expérience et peut-être à ne plus envisager cette expérience comme un ennemi à combattre.
Or, cette façon différente d’être en relation avec une expérience désagréable n’est pas inconnue pour les sportifs de haut niveau, car ils ont tous (plus ou moins) appris à composer avec un autre « ennemi » : la douleur. Tout sportif de haut niveau fait ou a déjà fait l’expérience de la douleur physique qu’elle soit consécutive à une blessure ou à l’intensité de l’effort.
Nous utilisons la métaphore de la douleur pour inviter l’athlète à porter un regard différent sur l’expérience qu’il peut faire de la compétition.
Qu’est-ce que cela change d’envisager les pensées, émotions ou sensations physiques désagréables comme une douleur au même titre que les autres douleurs qui peuvent accompagner la performance sportive ?
Cette façon différente d’être en relation avec son expérience a été au cœur d’un travail réalisé avec 8 athlètes dans le cadre d’une intervention collective. Pour cette intervention, nous avons utilisé des concepts et outils issus de la thérapie brève orientée vers les solutions et de l’hypnose éricksonnienne. Nous nous sommes également inspiré du cadre théorique et pratique proposé par la thérapie d'ACceptation et d'engagemenT (ACT).
Selon Philippe Vuille , « L'ACT cherche à favoriser l'acceptation des événements privés (pensées, images, sensations) désagréables dans les situations où leur évitement conduit au renoncement à des actions correspondant aux valeurs choisies par le sujet ou à la persistance dans des actions contraires à ses valeurs. Le but poursuivi par l'ACT est donc une flexibilité comportementale accrue. »
Philippe Vuille décrit notamment le processus de « défusion » « qui consiste à détacher, à dénouer les mots et pensées des événements auxquels ils se réfèrent. L’objectif est d’aider le client à créer de la distance entre ce qui est et ce que l’esprit dit que c’est ».
Concrètement, un travail en 4 étapes a été proposé à chaque athlète.
Dans un premier temps, nous avons montré, à travers différents exemples pratiques ou en faisant appel à leur propre expérience, comment les stratégies de contrôle des pensées, émotions et sensations physiques peuvent produire l’effet opposé à l’effet recherché. Nous avons alors utilisé la métaphore de la douleur en demandant aux athlètes d’envisager les pensées, émotions et sensations physiques qu’ils peuvent vivre comme une forme particulière de douleur.
Dans un second temps, nous avons exploré quels enseignements ils pouvaient tirer de la comparaison des stratégies qu’ils utilisent pour gérer ces différentes formes de douleurs (physiques vs mentales). Plusieurs questions ont ainsi permis d’alimenter la réflexion.
Est-il possible d’avoir mal ET d’être performant ?
Est-il possible de jouer AVEC la douleur plutôt que CONTRE la douleur ?
Est-il possible de ne pas AJOUTER de la douleur à la douleur ?
Est-il possible de renoncer au combat CONTRE la douleur ?
Dans un troisième temps, les athlètes ont été invités à réfléchir à des manières différentes d’être en relation avec leurs expériences « désagréables » :
Reconnaître la douleur : admettre, l’existence ou la présence de la douleur
Autoriser la douleur : permettre à la douleur d’exister
Observer la douleur : décrire la douleur comme si l’on était un spectateur de soi-même
Accueillir la douleur : donner une place à la douleur, la recevoir, l’héberger
Inviter la douleur : demander à la douleur de se manifester
Profiter de la douleur : utiliser la douleur pour donner plus de sens à ses objectifs sportifs.
Dans un quatrième temps, les athlètes ont été invités à réfléchir à comment garder à l’esprit les objectifs qu’ils poursuivent « ici et maintenant » (à l’entraînement ou en compétition), et à adopter des comportements en cohérence avec ces objectifs indépendamment de leur expérience, positive ou négative.
Concrètement, les athlètes ont été invités (1) à identifier les situations qui représentent un challenge psychologique pour eux et (2) à y associer un comportement précis qu’ils veulent s’efforcer d’adopter. Le comportement que chaque athlète souhaiterait adopter est discuté collectivement en gardant à l’esprit les réussites antérieures de l’athlète. Des situations d’entraînement ont été construites avec l’entraîneur pour permettre aux athlètes de répéter les stratégies envisagées lors des sessions collectives.
Pour beaucoup d’athlètes, cette façon différente d’envisager l’expérience qu’ils peuvent faire de la compétition leur ouvre de nouvelles possibilités. Plutôt que de combattre leurs pensées, émotions et sensations physiques, ils sont en mesure de penser et de mettre en place d’autres comportements davantage en cohérence avec leurs objectifs sportifs.
Références
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