Recadrage par l'objectif
Le patient vient à la consultation avec l'idée que l'objectif d'aller mieux est quasiment impossible à atteindre sauf miracle. L'amener à découvrir que ce qu'il veut n'est au fond pas si éloigné que cela va beaucoup augmenter sa confiance et l'alliance avec ce thérapeute qui ne lui promet pas la lune.
Quelques questions simples sont extrêmement puissantes. « À quoi saurez-vous que les choses commenceront aller un peu mieux? »
« Quels changements feraient savoir à un tel ou une telle qui vous a renvoyé ici que les choses vont mieux? En quoi êtes-vous d'accord avec cette idée? »
Il devient très facile de recadrer le problème comme étant le spéculaire inversé de l'objectif : « Si je comprends bien, votre problème est de ne pas réussir à atteindre cela ; si nous pouvions travailler ensemble à atteindre cela ,ce serait un grand changement, n'est-ce pas? ».
Recadrage par l'empathie (position imaginaire du sujet)
Quelquefois, voire assez souvent, notre simple empathie bienveillante ne nous permet pas d'aller chercher le patient là où il est. Ce peut être parce que sa position sociale est trop proche de la nôtre, ou bien parce qu'il nous paraît trop normal. Nous aurons alors tendance à nous nous identifier, voire, pire, à projeter notre vision du monde sur lui ; et ce sera encore pire. Nous avons besoin de comprendre sa position pour pouvoir être dans la position d'empathie que conseille Carl Rodgers : voir le monde à travers ses yeux sans avoir besoin d'éprouver ses émotions. .
En ce qui concerne l'objectif, il est frappant que ce mot ne soit qu'exceptionnel dans l'oeuvre de Milton Erickson. En fait, il s'avère qu'il parle beaucoup plus souvent de besoins. En lisant de plus près, les besoins sont ce qu’il ressent à propos de ce que la personne nécessite comme ressources pour atteindre son objectif . Notons que ces besoins ne sont pas ceux qui apparaîtraient évidents à première vue, mais répondent en fait à une compréhension de la position de la personne.
Pour moi, la position est la place où le « patient » se trouve imaginairement en rapport un contexte, qui permet de saisir son émotion, sa détresse ou son désespoir, et qu'il va souvent nous livrer sous la forme de métaphores : « Je suis dans le fond du puits », « Je me sens comme une vieille voiture abandonnée dans le fond d'un ravin ».
Tout le monde n'ayant pas accès directement à cette pensée métaphorique, il faut souvent aider les patients en leur disant :
« Certaines personnes me diraient qu'elles se sentent dans le fond du puits, d'autres, dans la prison de leur corps, d'autres encore autre chose... ». D'autres n'auront même pas une vision humaine d'elle-même, mais apporteront des métaphores animales ou bien même d'objets : « Je me sens comme un chien abandonné dans une ville ».
Bien souvent, le premier objectif ,lorsqu'on est dans le fond du ravin, est d 'être remorqué et mis au garage ; dans le fond du trou, il sera d'avoir moins froid par exemple, ou bien d'y être plus au sec ; quand on est un être minuscule enfermé dans la cage de son corps, le plus utile sera peut-être d'augmenter le confort dans la cage, de la nettoyer, etc.
Après un geste signifiant que nous sortons de la métaphore, de la fiction, je demande alors : « Qu'est-ce que ça serait, dans votre vie actuelle, faire le ménage et augmenter le confort ? ». J'apprendrai alors que la personne a besoin de moments pour elle, qu'elle a besoin de stabiliser son couple pour ressentir plus souvent de la chaleur humaine, qu'elle a besoin d'apprendre à être plus autonome comme elle savait le faire quand, petite fille, elle gérait quasiment toute seule la maison alors que cette tâche était au-dessus de ses forces.
Nous comprenons alors combien cette métaphore de la position imaginaire du sujet nous permet d’appréhender ses besoins et combien la prise de conscience, pour lui-même, de ses besoins, lui permet d’inventer une signification nouvelle au problème immense et insurmontable qu'il croyait avoir, qui engendrait son sentiment d'impuissance et la honte de se sentir disqualifié par rapport à congénères.
recadrage par l'anticipation
Un deuxième modalité qui va nous, et surtout renseigner le patient lui-même, sur ses objectifs de vie va être apportée par les techniques d’anticipation ,que ce soit celle de la boule de cristal, l’utilisation des projections dans le futur, celle de la question du miracle. Ceci va plus nous renseigner sur les valeurs fondamentales que le sujet pense respecter dans sa vie futur que sur les éléments concrets de sa progression.
Nous pouvons utiliser les techniques du miracle ou de l'anticipation dans le futur ou de la boule de cristal : toutes ces représentations ne sont pas à prendre au pied de la lettre, voilà pourquoi Erickson utilisait souvent l'amnésie après ce type de proposition dans le but de le patient ne soit pas tenté de mesurer la distance qui le sépare du miracle.
En thérapie, la connaissance de ces éléments va avoir un effet recadrant. « Si je comprends bien, ce dont vous auriez besoin , c'est de réussir à faire telle ou telle chose dans le but d' atteindre et de dépasser telle ou telle étape de votre vie... Et le problème qui vous amène est l'obstacle principal qui vous en empêche... Êtes-vous d'accord avec ce point de vue et pour que nous travaillions cela ensemble ? ».
C'est ainsi que « j’apprendrai » que cette femme consultant pour sa fibromyalgie souhaite conserver son courage, son sens de l'initiative, son opiniâtreté qu'elle avait mis jusque-là au service de sa vie professionnelle et qu'elle désire que , dans l'avenir, ces qualités restent fondamentales pour construire son espace de vie et son équilibre familial. Par la même occasion, elle se rend compte qu'elle mettait essentiellement ces valeurs au service de l'entreprise, ce qui l'éloignait de son objectif de vie et créait les difficultés de couple actuelles et le sentiment d'injustice dans lequel elle était ; ensuite, elle n’a pas eu de mal à penser que , dans l’avenir, elle prendra toutes ses décisions en tenant compte de cette nécessité de sauvegarder ces valeurs et son objectif de vie. La fibromyalgie qui l' avait amenée à consulter s'étaient en partie transformée en une difficulté à assumer une hiérarchie dans ses choix.
Recadrage dans et par l'hypnose
En hypnose, le travail de recadrage peut précéder la séance et être ,même, une induction.
A ce propos, le patient dit souvent qu'il a accepté cette idée nouvelle seulement après un temps de surprise et de réflexion. L'expérience montre combien les patients sont quasiment systématiquement en situation de communication hypnotique après un recadrage ,si l'on s'en tient à l'indice des réponses littérales ou bien des indices non verbaux.
Il m'apparaît en effet tout à fait possible qu'une séance d'hypnose, non précédée ou accompagnée par cet opérateur de contexte, puisse ne pas avoir d'effet thérapeutique, n'être vécue que comme un moment agréable. D'ailleurs ,nous remarquons bien que l'acceptation préalable d'un recadrage rend peu probable la résistance, alors qu'elle est maximale si la séance d’hypnose tente d'agir directement sur un symptôme qui n'est pas recadré.
Plus que la question de l'hypnose directe ou indirecte, il me semble que c'est la question de l'hypnose avec ou sans recadrage qui différencie profondément l'hypnose traditionnelle injonctive de l'hypnose dite nouvelle, en amenant le patient à la découverte de nouvelles compétences. C'est le recadrage qui va permettre que l'hypnose puisse se départir de la mission implicite d'avoir à diminuer la douleur pour que le patient accepte qu'il soit plus intéressant, au moins dans un premier temps, de diminuer la gêne causée par la douleur.
Recadrage par les échelles
Je ne résisterai pas au plaisir de vous décrire combien une technique aussi simple que l'usage d'échelles d'évaluation peut-être un puissant moyen de recadrage.
Le patient douloureux chronique et fibromyalgique demandent quasiment tous que nous réduisions l'intensité de leur douleur. Si nous lui demandons de coter sur une échelle graduée de 0 à 10 combien sa douleur le gêne, il nous dira peut-être 6 ou 7. Si nous lui demandons à combien il faudrait qu'il soit sur cette échelle pour que les choses commencent à aller mieux, il répondra 4 ou 5. Si nous lui demandons alors ce qui serait possible dans sa vie s'il était à 4 ou 5, il nous dira peut-être qu'il pourrait aller acheter le pain tout seul en fin de matinée. Reconnaissons qu'il va être infiniment plus facile d'aider une personne à mieux faire face à sa douleur pendant une heure par jour qu'à en diminuer l'intensité en permanence. Voilà le type de travail que nous a renseigné Jo Barber.
Conclusion
J'arrive maintenant à la fin de mon propos.
J'espère vous avoir transmis mon idée, notre idée que l'alliance thérapeutique et le recadrage sont des outils intimement liés, interdépendants qui vont permettre à celui qui prend la place de patient et à celui qui prend la place de thérapeute de construire d’abord un espace magique de jeu dans lequel les mots, l'imagination, les émotions deviennent des actes qui impliquent le corps .
Ceci va permettre à celui qui était dans la place de patient de construire une nouvelle vision, personnelle et attractive, de son avenir .
Quand à celui qui était à la place de thérapeute, il suffit qu’il en garde une trace positive suffisante pour se rendre à nouveau disponible à d'autres qui éprouveront le besoin de lui apporter leurs souffrances .
Ceux-ci ne savent pas encore qu'il ne sait que leur dire simplement , d'une manière ou d'une autre : « Veux tu jouer avec moi ? ».
Ce propos, ce sera aussi celui du prochain forum d'hypnose et de thérapie brève de langue française de Nantes pendant lequel nous essaierons de vous accompagner dans ce voyage, dans cette liberté , nouvelle peut-être pour certains d’entre vous, habituelle déjà pour beaucoup, permettant d'aller et venir autour de carrefours de recréation permettant de prendre une nouvelle direction sans qu'il soit jamais dangereux de faire marche arrière , puis d'en prendre une autre si c’est utile , tout autant que nous permet la grande bienveillance et l'immense volonté de coopération de ceux qui mettent tellement d'espoir en nous qui pouvons si peu.
Nous ne savons pas grand-chose de plus, sinon les traces de notre expérience empirique , que ce que fait une petite fille qui trace à la craie, sur le sol de la cour de récréation, l'espace du monde représenté par le tracé d’une marelle, offrant cette carte, ou, selon le désir de chacun, ce qui est déjà devenu un territoire, un monde à ceux ou celles qui voudront bien accepter d’y rentrer pour aller au paradis en évitant les pièges de l’enfer, selon la symbolique communément admise de ce jeu.