Au début du séminaire, j’avais l’intention de poser un certain nombre de questions. Je ne les ai jamais posées. Pour certaines de ces questions, j’ai eu des réponses sans les poser. Les autres, je ne les ai pas posées, parce que je sentais que je recevais déjà plus d’informations que je ne pouvais en retenir. Ce n’est que peu à peu que j’ai découvert une structure au séminaire, et ce n’est qu’une fois en Europe que j’ai commencé à saisir ce que j’avais peut-être appris.
Une des premières impressions que j’ai acquises concernant Erickson, était qu’il insistait bien moins sur le fait de réussir toujours ses thérapies qu’on ne l’aurait attendu en lisant la littérature qui lui était consacrée. Il soulignait que ce que l’on pouvait gagner était parfois limité, et se limitait quelquefois à un changement dans le jugement que le patient portait sur lui-même et sur le comportement qui posait problème. Il n’était pas toujours possible d’améliorer immédiatement les symptômes.
C’était un soulagement de l’entendre dire que, pour certaines personnes, un thérapeute ne peut rien faire. Et c’était aussi réconfortant d’apprendre que, quelquefois, Erickson lui-même ne jugeait pas bon de rencontrer le patient sur son propre terrain.
Sans aucun doute, Erickson ne ressentait nullement le besoin de se poser en figure mythique. Il aimait plutôt à se présenter comme un artisan compétent qui avait le désir ardent de transmettre ses savoir-faire. Au lieu d’essayer d’impressionner son auditoire (ce qui se produisait de toute façon), il faisait un effort pour nous mettre sur des voies qui étaient importantes pour nous et si familières pour lui.
Son amour pour le travail bien fait transparaissait non seulement dans les collections d’objets d’art et de souvenirs dont il aimait à s’entourer, mais aussi dans le soin qu’il mettait à nous raconter l’histoire d’une thérapie ou à procéder à une induction.
Les manières d’Erickson me rappelaient celles d’un de mes maîtres en neurologie, artisan remarquable aussi dans sa partie, que j’avais connu pendant mes études. On lui réservait en général les diagnostics difficiles. Il observait avec beaucoup de soin les patients dès qu’ils entraient dans la salle d’examen. Manifestement, mais c’était peut-être seulement à notre intention, on aurait dit qu’il pratiquait l’examen neurologique standard de façon distraite et superficielle.
Mais il semblait être attiré vers le lieu de la pathologie, sans avoir à le découvrir par des recherches laborieuses et méthodiques comme les autres praticiens. Bien entendu, sa grande expérience clinique lui avait appris à reconnaître des signes subtils dont nous n’avions même pas entendu parler, dont la plupart n’étaient même pas dans les livres ; et pour certains de ces signes, peut-être n’était-il pas lui-même conscient de les connaître. De son approche, il résultait cette même simplicité trompeuse si typique de la façon de faire d’Erickson. Il arrivait au diagnostic tout naturellement avec cette même facilité admirable dont faisait preuve Erickson pour dénicher, dans la façon de se présenter d’un patient, des éléments décisifs.
Il pourrait être dangereux pour les étudiants de mal interpréter cette forme de simplicité. En remarquant que les règles bien établies du recueil des informations ne sont pas respectées, les étudiants pourraient en déduire qu’il est bon de se contenter de suivre son intuition. Dans ses histoires didactiques, Erickson ne semblait pas rechercher d’informations particulières ni faire pratiquement aucun travail diagnostic. Mais il avait très habilement développé des manières d’en apprendre beaucoup tout en posant peu de questions. Il réussissait à rassembler ses informations, sans en avoir l’air. Il faudrait mener une recherche plus poussée sur les procédés diagnostiques d’Erickson afin de rendre ses méthodes plus accessibles aux autres.