Cas 1
Anamnèse, symptomatologie et intervention
Originaire du Maghreb, cet homme dans la quarantaine, arrivé en Suisse vingt ans auparavant, me consulte pour des « crampes de l’œsophage et envie de vomir », phénomènes qui se manifestent depuis son arrivée, surtout en présence de gens en face desquels il aimerait faire bonne figure. Dans ces moments de crampes, il s’efforçait alors de ne pas laisser monter l’air de son estomac, et avalait et avalait jusqu’à avoir les larmes aux yeux.
De l’anamnèse ressortit qu’il avait été torturé dans son pays d’origine comme militant en faveur de la démocratie. Sa demande d’asile en Suisse avait été acceptée, il avait trouvé du travail et épousé une Suissesse, par ailleurs fille de policier. Le motif de la consultation était l’augmentation de la fréquence de ces crampes et de la gêne occasionnée. De fait, alors qu’il était en train de m’expliquer sa situation, il fut pris d’une série de crampes contre lesquelles il luttait jusqu’aux larmes.
Plutôt que d’entrer dans l’histoire précise de sa torture, de sa migration forcée et de la nostalgie de son pays ou d’interpréter ses larmes, je pensai que le rétropéristaltisme et les larmes qui l’accompagnaient pouvaient être compris comme un signe d’hyperexcitation parasympathique, donc de phénomène dissociatif.
Je suspectai derrière cela une hyperexcitation mal gérable et peut-être des souvenirs traumatiques, et je commençai par un exercice de respiration pour calmer le patient et l’associer. Avec une induction hypnotique, je le guidai avec un « pacing and leading » attentif (synchronisation et guidance), jusqu’à un état de calme qui s’étendait aussi à son estomac. Après une vingtaine de minutes – et à son grand étonnement –, le patient put se dire soulagé et libéré. Je lui expliquai les conséquences possibles de la torture, de l’émigration forcée et des difficultés d’intégration dans un pays aussi différent du sien. Je lui enseignai comment pratiquer cet exercice de respiration, et lui prescrivis de le faire deux fois par jour pendant au moins 15 minutes.
Je lui suggérai également de s’autoriser une fois par jour, après l’exercice, à faire un « petit voyage » dans son pays, dans un lieu qu’il aimait, et de s’y asseoir un moment pour voir, entendre, sentir, goûter et éprouver dans son corps tout ce que lui avait procuré ce pays et dont il manquait ici. J’expliquai qu’il n’y avait pas de médicament contre la nostalgie, et que c’était l’unique chose qu’il pouvait faire pour lui-même.
Il revint quatre semaines plus tard, content et racontant qu’il savait maintenant contenir ses crampes. Il avait également pris la décision de divorcer et n’avait pas besoin de mon appui pour cela.
Réflexions
Je me suis retenue de chercher dans le passé traumatique les causes potentielles de ses crampes ou d’interpréter les « émotions » (larmes). Mais je considérai que – pour une raison inconnue – cette symptomatologie dissociative de longtemps était subitement devenue gênante : peut-être le divorce imminent ? Je me dis qu’en premier lieu, j’allais lui montrer comment calmer son système nerveux autonome (non volontaire) et lui expliquer ses difficultés et ses ressources face à la nostalgie (psychoéducation).
J’avais pensé que lors d’une deuxième séance, il aurait besoin de me parler de ses expériences traumatiques et m’étais préparée à faire un débriefing psychologique thérapeutique. Mais une fois les « crampes » maîtrisées et le lien rétabli avec les ressources de son origine, il sut se passer de moi.