Cette régularité (une séance hebdomadaire) semble être un des rares points de stabilité de sa vie, avec ses visites à l’assistante sociale. Très vite je sens que Sara me fait confiance, qu’il lui importe de venir et de s’engager dans sa thérapie.
Chaque séance se déroule un peu de la même façon : elle parle de ses relations aux autres (sa mère, ses sœurs, un homme qu’elle côtoie, les gens avec qui elle travaille), j’oriente sur des prises de conscience : sa position vis à vis des autres, les positions des autres vis à vis d’elle.
Puis nous faisons un travail en hypnose. La métaphore que j’utiliserai tout au long du travail avec elle est celle d’un voile, comme une immense cape légère, transparente et solide dont elle s’envelopperait pour se protéger, construire une espace d’intimité, ne pas être trop proche.
L’appui de l’hypnose lui permet d’apprendre à mettre de la distance vis-à-vis des autres, se protéger de l’agressivité. Ainsi elle peut s’inventer un refuge imaginaire auquel elle apprend peu à peu à avoir recours dans les situations de sa vie quotidienne.
Durant toute cette première année elle est assidue. Elle trouve un contrat, un travail régulier, salarié, comme caissière dans un supermarché. Je pense que la thérapie est « efficace », qu’elle va lui permettre de tenir une vie sociale et relationnelle, et sortir de la marginalité. Du coup, forte de cet acquis, je me laisse un peu dériver, je perds de vue la régularité du recours à l’hypnose pour revenir à un travail très axé sur la parole, l’explicatif…
Viennent les grandes vacances. A la rentrée, au bout de trois séances, elle abandonne, sans prévenir et sans pouvoir payer sa dernière consultation.
Elle me rappelle fin juin de l’année suivante en annonçant d’abord qu’elle me doit une séance : nous prenons rendez-vous, elle paye sa dette et déballe toute sa colère et ses ressentiments envers sa famille et son patron. A la suite d’une très forte dispute avec ce dernier, elle est sous la menace d’un licenciement.
Je suis moi-même un peu désemparée en prenant acte de ce que j’entends comme une régression dans sa vie. Entre ce mois de juillet et celui de septembre, la thérapie est de nouveau interrompue par les vacances d’été. A la rentrée, elle disparaît encore sans prévenir, disparition que je perçois – à tort - comme une manifestation d’agression et de colère à mon égard.
Cependant deux ans plus tard, en juin également, Sara revient, paye la dernière séance, et souhaite reprendre un travail thérapeutique. Durant toute l’année scolaire, je fais la tentative de lui proposer un rythme régulier d’une séance tous les 15 jours.
L’espace de la thérapie lui permet de parler de ce qu’elle vit, ce qui est nécessaire pour se délivrer de certaines émotions envahissantes et comprendre de son environnement. Les temps d’hypnose dont sont ponctuées les séances lui permettent de se recentrer sur ses sensations propres et de construire une forme de protection imaginaire contre un environnement qu’elle ressent comme hostile.
Cependant, l’assiduité est difficile, de même que l’engagement dans une démarche suivie, quelle qu’elle soit. A plusieurs reprises, Sara s’éloigne, annule des rendez-vous, revient…
En parallèle, durant cette période, elle a un travail régulier mais précaire, dans l’hôtellerie, jusqu’à ce que l’établissement qui l’emploie lui propose un contrat à durée indéterminée. En outre, l’assistante sociale qui s’occupe d’elle doit être mutée.
L’engagement dans un travail salarié et le départ de l’assistante sociale provoquent une forte inquiétude, voire des sentiments de panique… Avec les grandes vacances, se reproduit le même scénario : elle-même devance mon départ et interrompt sans prévenir avant la dernière séance. Comme si elle « choisissait » elle-même de quitter pour ne pas se retrouver face à la réalité de l’absence.
Cette séparation de l’été, si elle est une fois de plus fatale au processus thérapeutique, l’est-elle pour la relation thérapeutique ? Je reste convaincue qu’il n’en est rien et que j’occupe une place dans la mémoire de Sara, faisant fonction de repère stable.
Effectivement, deux ans plus tard, en juin, Sara demande à nouveau à me rencontrer, à reprendre un travail. Il sera très bref, quelques séances avant les vacances d’été. Incapable de s’engager dans la durée, elle est cependant assurée de me trouver à la même place et de retrouver, dans l’état hypnotique, un certain apaisement. Pour lâcher encore, puis revenir…
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