Lorsque nous travaillons avec l’hypnose, nous apprenons à écouter nos sensations, nos impressions, nous utilisons nos propres métaphores des problèmes de nos patients, nous posons des hypothèses sur les processus en jeu afin d’élaborer une stratégie thérapeutique.
Au delà de tout ce que les jeunes filles peuvent nous dire sur les « cause » de leur état, au delà de ce qui peut être relayer par les médias, l’anorexie semble pouvoir être définie comme une impossibilité pour ces jeunes filles d’accéder à un statut de jeune femme :
Etre autonome des parents, être dans la possibilité de faire des rencontres amicales et amoureuses, d’avoir une sexualité épanouie (et non purement « instrumentale », sans aucun ressenti agréable) etc.…
Nous considérons que cela est le seul critère de succès de la thérapie avec ces jeunes filles.
Cependant, l’accession à ce statut de jeune femme ne peut se faire que par plusieurs étapes qu’il convient de respecter, car cela nécessite l’acquisition d’un certains nombres de compétences que ces jeunes filles n’ont pas forcément au début de la thérapie.
Le non respect de ces étapes risque de réduire à néant tout progrès.
Il ne suffit pas de prendre un appartement pour être autonome (certaines jeunes anorexiques habitent hors du domicile parental mes viennent tout le temps chez les parents).
Il ne suffit pas d’avoir un ami, voir de coucher avec lui pour être une femme. Certaines anorexiques ont officiellement une vie sexuelle, mais elle peut être vécue de façon très négative.
Si toutes nos jeunes patientes anorexiques sont dans l’impossibilité d’accéder de façon satisfaisante à leur statut de femme, les deux profils que nous avions déjà vu émerger prennent ici toute leur importance.
La relative stéréotypie des situations auxquelles nous avons été confrontés nous ont inspirés deux définitions métaphoriques de l’anorexie chez les jeunes filles : LES PETITS ANGES ET LES SAINTES.
Toutes les deux sont de façon systématique « impliquées » dans des enjeux relationnels du couple parental. Nous faisons l’hypothèse que l’une et l’autre et ce, dés leur enfance viennent « stabiliser » (homéostasie) un désaccord parental. Le maintient de cette de cette homéostasie est presque parfait jusqu'à l’adolescence ou de fait, avec les revendication d’autonomie, prémices au départ futur de la jeune fille, apparaît un déséquilibre relationnel avec un risque pour le couple parental de se retrouver à devoir gérer par lui-même ses conflits. Les « petits anges » et « les saintes se retrouvent dans une situation de double lien très puissant qui pourrait se résumer de la façon suivante : « Je grandit et j’abandonne mes parents à leur sort (trahison) ou je reste dans mon rôle auprès d’eux au prix d’un arrêt du processus de l’adolescence (loyauté).
Bien évidemment, cette hypothèse ne représente qu’un aspect du problème mais elle semble avec le recul trouver une certaine pertinence au vu de l’issue des stratégies que nous avons pu mettre en place avec ces jeunes filles.
Les petits anges
Ces jeunes filles donnent à voir une maigreur souvent affichée sans aucune féminité, leur donnant un aspect « pré pubère ».
Leur démarche est caractéristique, à petits pas, le bassin est figé, rigide et la gestuelle est pauvre.
Elles sont en retrait dans la relation au thérapeute voir parfois mutiques.
Elles sont quasiment anesthésiées, elles ont peu de ressentis physiques.
Si dans le détail, leurs histoires sont apparemment différentes, toutes sans exception ont très tôt étés « le petit rayon de soleil de la maison » ; petites filles sages, bonnes élèves (ce qu’elles sont souvent au moment de la première consultation). Elles sont très impliquées dans la mésentente du couple parental (qui est systématiquement présente à l’observation du couple parental même si leur discourt peut être tout autre). En alliance très forte avec leur mère, le père est présenté soit comme quelqu’un de très passif, sans personnalité, ou au contraire très autoritaire voir décrit comme un tyran domestique. (Si le petit ange peut donner à voir un conflit fort avec sa mère, pour peu que l’on s’autorise à se détacher du discours officiel, l’alliance mère/fille reste très forte.
Les saintes
Les jeunes filles présentent un amaigrissement qui peut être important mais « sélectif ». La silhouette reste résolument féminine ainsi que la gestuelle.
Elles sont plutôt confortables dans la relation au thérapeute, la proximité est possible sans retrait ni crainte.
Elles sont vêtues avec une recherche esthétique évidente, (contrairement aux « petits anges »), mais il est aussi courant de les voir porter des tenues de camouflages que nous avons déjà évoquées.
Elles ne sont pas anesthésiées, l’essentiel des ressentis désagréables se concentre sur les attributs de la sexualité avec un vécu de « saleté à l’intérieur ».
Il est frappant de constater à quel point, la encore, les processus à l’œuvre sont stéréotypés :
Les jeunes saintes sont officiellement parfaites en tout, sages et bonnes élèves du moins jusqu’à l’adolescence.
Le couple parental et la famille donnent à voir le même souci de la perfection. Il existe une mésentente dans le couple parental mais elle est activement dissimulée aux regards extérieurs, et si elle est visible, elle est systématiquement attribuée aux difficultés de la jeune « sainte ».
Celle-ci est toujours impliquée dans le conflit parental mais d’une façon très différente des « petits anges » : Il existe une alliance très forte, une connivence qui ne nous échappe pas à l’observation de la jeune fille et de ses parents, avec le père, alliance dont la mère est totalement exclue.
Les « saintes » rentrent dans le processus de l’anorexie après l’émergence de la puberté et elles sembles bloquer cette évolution naturelle après en avoir expérimenté certains aspects ( sortie avec des amies, flirts,sexualité) nous retrouvons alors des signes de menace sur l’homéostasie du couple parental.
LES STRATEGIES THERAPEUTIQUES : DE LA CHRYSALIDE AU PAPILLON
Il est impossible de décrire en détail toutes les stratégies thérapeutiques qui peuvent être mises en œuvre. Elles sont développées dans le livre « GUERIR DES TROUBLES DES CONDUITES ALIMENTAIRES ». Nous nous contenterons d’en décrire les grands principes.
Notre expérience des processus de l’anorexie nous a appris qu’il convient de regarder les objectifs de thérapie de façon globale en se « décentrant » du symptôme ; hormis dans les cas de dénutrition grave ou le pronostic vital peut être en jeu.
La reprise de poids, même si elle est pointée comme le premier objectif pour les parents plus que par les jeunes filles, ne peut être considéré comme une finalité de thérapie.
Nous considérons que le succès thérapeutique consiste à aider ces jeunes filles à sortir de leur statut de « petit ange » ou de « sainte » pour accéder à un vécu de jeune femme, et ce, de façon durable.
La stabilisation de l’amaigrissement, la reprise de poids, le départ (plus ou moins réussi) de chez les parents sans réelle autonomisation ne sont que des changements de type I.
L’accession au statut de jeune femme autonome s’accompagne toujours de profonds remaniements pour la jeune fille, pour le couple parental et la fratrie si elle existe. A ce titre la prise en compte de la dimention familiale dans la thérapie est utile.
Cependant, si nous nous concentrons dans un premier temps sur la thérapie individuelle avec ces jeunes filles, notre compétence à observer nous permet de nous fixer des objectifs simples pour éviter de rentrer dans la confusion :
Accéder à la maturité sexuelle et relationnelle nécessite l’acquisition de compétences psychologiques et physiologiques. L’hypnose se révèle être à ce titre, un outil remarquablement pertinent, pour peu que le thérapeute respecte un certain nombre d’étapes fondamentales qui permettent à une petite fille ou à une adolescente de devenir une femme. Les « petits anges » sont moins compétentes que les « saintes » en matière de féminité ; se désengager des enjeux du couple parental ne peut être travaillé d’emblée sous peine d’échec : combien de fois des thérapeutes ont d’emblée et de façon directe proposé à leur patiente de « couper le cordon avec une mère trop envahissante pour que les choses aillent mieux ?
La première étape du travail semble se situer au niveau du corps, dans une stratégie de réassociation. Il faut être persévérant et ne pas hésiter à proposer les mêmes interventions d’une séance à l’autre (le vécu y est de toute façon toujours différent pour la patiente).
La réassociation entraîne toujours une levée progressive des anesthésies, il n’est pas rare d’observer un retour des règles sans que le problème de l’aménorrhée n’ait jamais été abordé !
Ce travail de réassociation doit nécessairement s’accompagner, pour les saintes d’un apprentissage du « nettoyage de sont intérieur » (vécu de saleté).
Ce n’est que dans un deuxième temps que sera abordé, souvent de façon indirecte, le renouveau hormonal avec les modifications physiques et psychiques qu’il induit. Ce travail est bien évidement plus ardu pour les « petits anges » qui entrent dans la nouveauté que pour les « saintes » qui ont déjà partiellement expérimenter cet état. A ce stade, l’homéostasie du couple parental est mise à mal de façon inéluctable.