Elle prend de plus en plus la voiture, ce n'est qu'un véhicule. Comme elle sourit de plus en plus aux interruptions intempestives de son mari pour un oui ou pour un non. Petits dégustations au quotidien. Ce qu'elle illustre par une citation, d'un philosophe chinois. Tchouang Tseu enfant se promène avec un ami. Il passe sur un pont. « Oh! regarde la joie des poissons dans l'étang. » « Comment tu peux connaître la joie des poissons ? Tu n'en es pas un. » « A ma joie sur le pont ! »
Où il est question de se réparer et de ne pas contrarier la nature. Elle vient avec les « Lettres au Greco » de Nikos Kazantzakis, pour qui le voyage est l'objet d'une quête intérieure. « A un moment, il raconte que dans sa jeunesse il avait trouvé un papillon en train de sortir de son cocon, il avait tiré, cherché à l'extirper et lui avait cassé une aile. Il s'était alors tellement reproché d'avoir voulu aller contre la nature. » Le cocon est une gousse de la nature pour inciter le papillon à le percer et à déployer ses ailes. A cette condition seulement, le papillon peut voler.
Et hier, « la petite fille arrive sur une immense étendue et arrive vers la lumière. J'avais retenu prisonnière cette petite fille. C'est moi qui l'ait réparée pour qu'elle soit libre. » Alors, passage de chenille à papillon...
Dernière séance. Où il est question d'explorer, de découvrir, de se découvrir. Où il est question de conduire sa vie sur la grand-route...
Léa est toute légère. Elle a ouvert un livre et y voit « trois créatures de Dieu : la chenille, le poisson-volant et le ver à soie qui fabrique le soi. Ça a été très fort. »
« Cette petite fille a réussi un tour de force extraordinaire, elle a pris dans l'armoire la chrysalide et elle l'a bercée au lieu de la balancer par-dessus le mur. Elle la prend et la porte pour que la chrysalide devienne papillon d'or et vole vers l'Orient. Je m'envole vers l'Orient vers le soleil et je n'en sais pas plus. » Elle rit avec mon mari du rapport à leur fille : « C'est important de respecter le silence. J’ai décidé de donner à Inès sa liberté inconditionnelle. » Les bretelles n'ont pas d'importance, elle peut les lâcher, son mari les lui lâche d'ailleurs. Elle a entrepris d'écrire un "livre à Inès" pour « dire sa légèreté, poser les bagages, vider le grenier, construire et ouvrir avec tous les sens » comme elle envisage d'en faire un à son mari.
Retours arrière pour une conclusion et des ouvertures. Grandir, se risquer, cadrages pour un passage.
Alors se demander ici ou ne pas se demander s'il s'est agi de grandir, de conduire. Se laisser porter dans cet accompagnement, avec ou sans hypnose, sans précipitation, par les besoins et les directions que se donne le patient au cours de son voyage, de son retour sur la grand-route. C'est comme si les embouteillages, les déviations, les canalisations, les goulots d'étranglement s'évanouissaient pour une grand-route où il est des paysages et des passages où personne n'est allé. Petites routes et grand-routes, indépendance et interdépendance, à son rythme, au rythme d’une danse, retrouver son chez-soi et continuer à grandir. La patiente est riche d’apports dans son introspection permanente et amène subrepticement, à son rythme, tous les ingrédients pour amener cette métaphore de la naissance du papillon, de la chrysalide au papillon. Image forte qu’elle rattache à ce « corps desséché », cette partie de soi qu’elle peut chérir comme une étape de sa vie, ce fil de soi(e) qui la conduit à la légèreté comme à l’élégance « d’être une grande ». La conduite en automobile n’était que le simple véhicule de son malaise, symptôme brandi, cachant d’autres besoins, d’autres respirations, d’autres destinations.