Je ne vais pas vous faire un cours sur l’hypnose, encore moins une formation sur ces techniques. Je vais plutôt tenter de vous exposer comment ces techniques fonctionnent et comment elles peuvent avoir un impact non seulement sur l’éprouvé douloureux, mais aussi sur le fonctionnement corporel.
Tout d’abord, une maladie, quelle qu’elle soit ne correspond pas dans sa réalité à une logique linéaire telle qu’une cause entraine un effet. Par exemple, quelque chose d’aussi simple qu’une blessure liée à un accident de la route verra son devenir pouvoir être profondément modifié selon que le blessé se sent une victime en droit de crier justice ou bien s’il est responsable. Selon le cas, les processus neuro humoraux immunitaires mis en jeu dans la guérison se trouveront profondément différents.
Quelques grands principes des Thérapie à entrée Psy
La maladie est systémique : toutes nos représentations linéaires sont fausses. Tout implique tout et réciproquement. De ce fait, même si quelquefois une logique linéaire permet de trouver des solutions, bien souvent, l’expérience montre qu’une intervention non logique porte des fruits. Comment expliquer sinon l’efficacité des cures thermales ou quelquefois d’une bonne intervention roborative ; l’effet quelquefois sidérant d’un deuil, l’existence maintenant indubitable de la réalité organique de l’effet placebo ?
Chaque logique thérapeutique a une voie d’entrée privilégiée dans le système déréglé qui produit une pathologie : Psy pour moi, corporel pour l’allopathie, etc.
Souvent, l’entrée se fera par l’abord de la plainte, et c’est souvent le cas en matière de douleur lorsque la construction pathologique est confuse ou échappe à une logique simple.
La plainte est systémique : ce n’est qu’un élément apparent d’un ensemble beaucoup plus complexe.
Elle est prise dans le réseau de croyances de la personne, c.-à-d. au sens que la personne lui donne.
Elle est liée à l'émotion et par là même à tout un système neuro humoral.
Le système nerveux est un organe de représentation: le réel nous est à tout jamais interdit ; le travail de type psy repose donc uniquement sur des représentations, ce qui pourrait au premier abord pouvoir le disqualifier puisque, d’une certaine façon, ce serait lâcher la proie pour l’ombre.
L’expérience montre qu’il n’en n’est rien et que, qu'elle soit proche ou lointaine, la modification de la représentation, source commune de toutes les thérapies psy, reste efficace.
Nous retrouvons cette modification aussi bien dans les contes fantastico-mythologiques proposés par les shamans amazoniens que dans nos pratiques.
Par quels chemins possibles pouvons-nous modifier la représentation que le patient se fait de son problème dans le but d’accéder à une modification de son comportement et, si possible, d’aider à une restauration de l’état corporel ?
Encore une fois, nous allons retrouver un tronc commun de nombreuses thérapies.
Changer la croyance, le cadre de pensée du client
Causalité
La causalité ne doit pas être un traumatisme pour le thérapeute, bien qu’elle puisse l’être pour notre patient. Si pour lui la douleur s’origine dans un traumatisme générant une névrose traumatique, il faudra instituer une thérapie spécifique de cet aspect incluant par exemple une désensibilisation par les mouvements oculaires ou bien d’autres techniques.
Au cours de communications antérieures il m’a été quelques fois reproché que je ne devais faire référence qu’à de fausses douleurs ou à des douleurs imaginaires. J’ai compris que, par vraies douleurs, mes contradicteurs entendaient des douleurs à cause organique, plus particulièrement des douleurs liées à une maladie susceptible d’entraîner la mort. Pour m’occuper de cancéreux, de douleurs fantômes à la suite de blessures des troncs nerveux, voir même, de douleurs post-hémiplégie, j’affirme que l’organicité de la cause ne préjuge en rien de l’efficacité de l’aide que l’on peut apporter à ces patients, la seule limite que je poserais étant l’existence de réexcitation douloureuse, d’origine mécanique telle qu’on peut en voir dans les problèmes articulaires : il est plus intéressant de considérer alors qu’il s’agit d’une douleur aiguë réitérante survenant sur un fond de douleur chronique et de traiter chaque aspect de façon spécifique.
Croyances
Rechercher le sens que la douleur ou la cause alléguée a pour le patient est un temps très important. Vous ne pourrez certainement pas faire cela tout de suite car, le plus souvent, vous n’aurez alors droit qu’à une version officielle. Celle qui nous intéresse, c’est la version privée : c’est elle qui est structurante du comportement du patient et de la façon qu’il a de se comporter par rapport à sa douleur. Est-il une victime ou un coupable ? Sa souffrance a-t-elle un sens mystique, voire rédempteur pour telle ou telle personne ? Est-elle le prix à payer pour conserver son pouvoir de thérapeute ? Se sent il puni pour une faute réelle ou bien expie-t-il une faute qu’il ne connaît même pas, à moins que ce ne soit la faute d’un ancêtre ? Est-il la victime d’attaques de sorcellerie ? A moins que ce ne soit les effets d’un cataclysme vécu dans une vie antérieure ? Quelle que soit la version proposée, considérez-la avec respect. Il s’agit d’une représentation qui est beaucoup plus qu’une hypothèse pour le patient, elle est marquée pour lui du sceau de la vérité. Comme les valeurs morales personnelles, comme les croyances religieuses, ne les attaquez pas, respectez les. Par contre , il n’est jamais interdit , à l’occasion d’une anecdote , d’une métaphore , de proposer un recadrage qui fera que le sens de l’expérience douloureuse va se modifier et permettra ainsi un autre comportement à douleur égale.
Cette connaissance des croyances va vous permettre de dresser le catalogue des tentatives de solution qui ont échoué ; vous pourrez alors dire au patient : »au moins vous savez déjà ce qu’il est inutile de faire plus ; ce qui n’a pas marché ne marchera jamais , je crains bien que nous ne soyons amenés tous deux à nous mettre en recherche d’autres solutions , peut-être des solutions que vous ne connaissez pas encore , peut être des solutions que vous connaissez déjà sans savoir que ce sont des solutions efficaces . Je leur raconte alors l’histoire de cette mère qui injurie et frappe son enfant pour obtenir qu’il obéisse. Pourtant elle sait que la dernière fois qu’elle l’a pris par la gentillesse, il a si vite obéi et qu’après il a été si tendre ; mais elle l’a oublié et préfère recommencer ce qui n’a pas souvent marché, même avec elle quand elle était petite. Vous savez, les êtres humains sont souvent comme ça, ils oublient ce qui marche, ça serait si simple qu’ils puissent programmer leur inconscient pour pouvoir utiliser cette capacité. De cette façon, vous préparez le terrain pour vos interventions ultérieures, le germe est semé, la suggestion ainsi préparée sera plus facilement acceptée.
Changer la métaphore
Le travail de métaphorisation est une des pierres angulaires de la prise en charge de la douleur chronique.
Le questionnement a déjà mis en évidence les représentations du patient qui sont elles-mêmes des métaphores. Il n’y a pas besoin de beaucoup pousser pour qu’il puisse se représenter le muscle réellement tordu ou bien la tension musculaire comme celle des haubans qui tiennent un mât de bateau ou bien de ressentir cette gêne comme l’impression d’une barre de fer qui freine sa mobilité à l’intérieur de son bras.
A partir de cette construction métaphorique qui n’a pas besoin nécessairement d’une transe ratifiée, il suffira d’inciter le patient à se représenter en imagination cette métaphore, de lui proposer d’amplifier tout d’abord avant de lui proposer d’apprendre progressivement à diminuer(il semble qu’il soit plus facile pour le client d’accepter l’idée qu’il puisse augmenter la douleur, mais ce qu’il ne sait pas , c’est qu’en acceptant l’idée de l’augmenter , il accepte en même temps l’idée qu’il peut la modifier).
Vous pouvez alors négocier la proportion minimale de douleur qu’il peut réduire de manière perceptible pour lui. Par exemple un patient me racontait que, pour venir à bout cette barre de fer, il avait utilisé en imagination une scie à métaux. Au début, plus il sciait, plus il lui semblait que l’acier de cette barre devenait dur, il a fallu qu’il change de lame et à ce moment là il a pu commencer, morceau par morceau, à grignoter cette barre de fer. Un des écueils de cette métaphorisation en transe très légère est que très souvent les patients souhaitent un effet immédiat sur la douleur. L’utilisation de l’anesthésie à travers la métaphore du gant est un bon moyen de leur faire comprendre que le lâcher prise sur le symptôme peut être un bon moyen de le laisser se modifier.
« Contentez-vous du travail sur la représentation, le corps fera le reste ».
La métaphore peut être également corporelle : l’utilisation de l’anesthésie, de la lévitation d’une main où d’un bras peut être tout à fait utilisée pour créer une métaphore de changement. Si ces métaphores corporelles se construisent plus volontiers au cours d’une transe, il semble que la surprise manifestée par les patients lorsqu’ils découvrent les capacités de leur corps à avoir une motricité automatique, ou à réguler le tonus musculaire ou bien à déplacer physiquement le siège d’une douleur, suffise à concrétiser la réalité du changement.
D’ailleurs en règle générale ces métaphores corporelles sont utilisées pour ancrer les métaphores imaginatives, par exemple dans une implication : « et au fur et à mesure que votre main se soulève la douleur se déplace et devient plus légère ».
Il arrive également que j’utilise une fable métaphorique, j’invente alors une histoire congruente à celle du patient qui est souvent proche de ses fantaisies. Durant ce récit il va partir dans un monde imaginaire qui décalquera ses difficultés. Par exemple il peut partir faire une promenade sur un beau voilier. Durant cette promenade nous pouvons nous rendre compte qu’il y a besoin de régler les haubans ; de façon indirecte je suggère que le mât peut ressembler à la colonne vertébrale et de cette façon là nous réussissons à détendre relativement facilement les muscles de cette personne hyper tonique.
Au cours de ce voyage, il peut y arriver qu’il y ait des visiteurs indésirables dans le bateau sous la forme par exemple de fourmis s’il y a une douleur fourmillante ou bien de rongeurs s’il y a une douleur rongeante et nous serons amenés à faire toute une chasse à ces hôtes indésirables et à les jeter à l’eau. De façon surprenante la naïveté de ces histoires est très bien perçue en hypnose et diminue beaucoup la résistance des patients à se débarrasser à leur tour de leurs hôtes indésirables que sont les douleurs.
Donc quels sont les moyens techniques qui vont être le support de ces interventions ?
L'hypnose
L’hypnose, encore que ce mot apparaisse maladroit, mérite bien que l’on s’y intéresse un peu. Cet état particulier ne correspond pas aux effets du pouvoir d’un « hypnotiseur » sur un sujet, à l’égal de ce qui peut être observé en spectacle. En fait tout être humain sait se mettre en hypnose spontanément. C’est l’état dans lequel chacun d’entre nous se trouve s’il est fasciné par un film ou bien une conférence ou bien lorsqu’il conduit distraitement, l’esprit occupé par un sujet quelconque. Cette capacité de dépotentialiser une partie du champ habituellement conscient semble permettre une focalisation sur un spectacle par exemple mais également - et ceci qui nous intéresse en hypnose - sur son imaginaire ou sur telle ou telle sensation corporelle. Bref chacun sait se mettre en état d’hypnose pour utiliser à son profit sa capacité de focalisation.
Dès maintenant il apparaît très clairement que le monde de l’hypnose ne sera pas celui d’une action magique mais celui d’un grossissement, d’une amplification de ce qui est déjà à l’état d’ébauche ou potentiel.
Toutes les études qui ont été faites montrent qu’il n’y a pas de spécificité particulière de l’état d’hypnose qui n’est probablement qu’une formalisation culturellement déterminée d’un état de relation à soi-même ou à autrui. Ces indications permettent de comprendre qu’à de très nombreuses reprises dans la journée, chacun d’entre nous se met spontanément en hypnose mais comme cette transe n’est pas attestée par un observateur, elle n’est pas perçue à ce moment là comme un changement d’état.
Nous avons déjà vu qu’à de nombreux moments dans les entretiens, que ce soit lors du questionnaire ou bien même lorsque les patients s’occupent chez eux à augmenter leurs symptômes, ils sont amenés à construire spontanément des transes qui n’ont alors d’existence que dans le système de référence de l’observateur.
Effectivement, assez fréquemment, surtout avec des jeunes patients ayant une bonne capacité imaginative, je travaille sans ratifier aucune transe m’en tenant simplement à des procédures telles que la question miracle de SHAZER.
Par contre, s’il me semble qu’il n’y a pas beaucoup de ressources, si le patient n’a pas commencé à s’améliorer avant la première visite, s’il est difficile de trouver des exceptions et surtout de le convaincre que les exceptions existent, à ce moment-là, la ratification de la transe est déjà en elle-même une excellente métaphore de changement que le patient va pouvoir intégrer.
L’utilisation de la transe va être un bon moyen de créer des ressources. Il peut être intéressant d’aller d’une certaine façon « à la pêche », pour évaluer la capacité du patient à créer de l’anesthésie, de l’analgésie, de l’amnésie, de la dissociation, de la distorsion du temps, de vivre des modifications physiologiques, de déplacer sa douleur, de distraire son attention, surtout d’être capable d’anticiper vers un avenir sans douleur, ou avec une douleur réduite. La connaissance de ces éléments sera tout à fait utile pour construire les stratégies thérapeutiques. La ratification de la transe permettra aussi plus facilement de demander au patient de construire de l’auto-hypnose. Par ailleurs, il m’apparaît plus simple d’utiliser des transes ratifiées lorsqu’il est intéressant de créer un contexte d’amnésie ou bien des distorsions temporelles.
Quoi qu’il en soit, j’évite le plus souvent d’utiliser une procédure d’induction classique. A vrai dire, j’ai tendance à penser que si je n’étais pas capable de laisser le patient entrer en transe pendant l’entretien, ceci signifierait que je n’ai pas pu me « calibrer » avec lui, d’entrer dans son monde.
Il m’arrive quelquefois d’utiliser des inductions classiques dans le but d’échouer pour montrer de façon paradoxale à des patients avec des personnalités que nous pourrions qualifier d’hystériques ( ils sont en fait trop en hypnose), qu’ils ne sont pas faits pour utiliser cette technique, le message étant qu’ils contrôlent tellement les choses qu’ils ne peuvent pas faire l’hypnose, que pourtant ils demandent à corps et à cris.
Il m’arrive également d’apprendre aux patients à construire une auto-hypnose avec une technique de focalisation sensorielle simple qui leur permet de se mettre dans cet état sans avoir besoin d’être captés par leurs douleurs.