Un esprit entendit cet homme pleurer et eut pitié de lui. Il se transforma alors de manière à ce que l'homme puisse le voir et lui parla ainsi: “Homme, pourquoi pleures-tu ?” L'homme répondit : “Ma femme m'a quitté.” L'esprit dit alors : “Pourquoi est-ce que ta femme t'a quitté ?” L'homme leva les bras dans un soupir : “Je me suis disputé avec elle mais aujourd’hui ma colère est tombée et je suis désespéré.”
L'esprit lui annonça alors : “J'ai vu ta femme. Elle marche vers le soleil levant.” Alors l'homme se leva et se mit en chemin pour rejoindre sa femme mais il ne pouvait la rattraper. Tout le monde sait qu'une femme en colère marche vite. Finalement, l’esprit vint à son aide et lui dit : “Je vais aller au devant d'elle et je vais voir si je peux un peu ralentir sa course.”
L'esprit regarda autour de lui. Le long du chemin poussaient des broussailles.
D'un geste de la main sur les buissons, il fait éclore des fleurs, puis les fit s'épanouir et fit mûrir des fruits. Mais la femme ne pouvait toujours rien voir d'autre que sa colère, elle avait le regard fixé droit devant elle. Alors, une par une, toutes les baies que portait la montagne, même les délicieuses framboises, sortirent des fleurs en se parant de leurs belles couleurs. Mais la femme ne pouvait rien voir d'autre que sa colère, tandis que son pas rapide frappait le sol.
L'esprit fit alors appel aux arbres. Des pêches, des poires, des pommes et des cerises sauvages surgissaient tout autour de la femme. La forêt tout entière éclatait en fleurs et mûrissait en fruits. Mais la colère de la femme formait un écran opaque qui occultait tous ses regards. Elle avait les yeux fixés droit devant elle.
Finalement l'esprit se dit : “Je vais créer une espèce de fruits entièrement nouvelle. Une espèce qui pousse vraiment à fleur de sol. La femme devra se baisser un instant pendant lequel elle oubliera sa colère.” Il fit alors un mouvement de la main et un épais tapis vert commença à pousser sur le chemin. Ensuite, il se couvrit de toutes petites fleurs blanches et chaque fleur s'ouvrit et mûrit à mesure jusqu'à devenir une baie de la couleur et de la forme d'un cœur humain. En marchant dessus, la femme écrasa quelques-unes de ces nouvelles baies et une délicieuse odeur arriva jusqu'à ses narines.
Alors, elle s'arrêta pour examiner d'où provenait cette odeur si suave et si nouvelle. Elle baissa les yeux et vit ces fruits rouges et mûrs. Elle en ramassa un, le goûta et la saveur était aussi douce que l'amour lui-même et commença à remplir un bol fabriqué avec une feuille. “C'est le meilleur fruit de la terre”, se dit-elle. Les fraises poussaient de plus en plus nombreuses, la ramenant vers l'ouest.
Quand son bol fut rempli, elle se releva et vit son mari qui arrivait sur le chemin. La colère n'était plus dans son cœur et tout ce qui restait là, c'était l'amour qu'elle avait toujours connu. Elle se dépêcha d'aller à sa rencontre et lui tendit le bol de baies parfumées. “Regarde les délicieux fruits que j'ai ramassés pour toi, ce sont les meilleurs qui poussent par ici.” Ils les mangèrent ensemble, ensemble aussi ils retournèrent à leur maison et ils vécurent en paix, dans le bonheur et l'amour.
Voilà comment les toutes premières fraises du monde apportèrent la paix entre l'homme et la femme, et voilà aussi pourquoi, depuis ce jour, ces fruits sont appelés les baies d'amour... »
Les couples qui viennent nous consulter sont le plus souvent en crise : crise dans la relation, crise dans la sexualité, ou les deux, l’une masquant ou entraînant l’autre. Notre premier travail en tant que thérapeute de couple va être de recréer un espace de parole possible où les mots vont pouvoir prendre un autre sens et où le corps va retrouver une place souvent annulée. Que l’approche soit purement systémique orientée vers le changement ou mixte (systémique à orientation psychanalytique orientée sur le sens), l’hypnose dans les thérapies de couple est un outil à la fois peu utilisé, très peu théorisé et pourtant passionnant.
Nous allons voir dans quelle mesure l’hypnose peut être utile et comment l’intégrer.
Mais avant tout, quelques préalables : son utilisation ne se fera pas au hasard car elle nécessite de solides appuis. Le thérapeute devra à la fois être expérimenté dans l’approche des couples et en hypnose individuelle. Il devra donc bien connaître les techniques et être au fait de ce qui se joue dans une relation duelle face à un thérapeute. C’est pourquoi le choix de l’utilisation de l’hypnose devra toujours être justifiée et prudente.
Ceci dit, le champ d’investigation grâce à l’hypnose est plus large face à un couple qu’en individuel, puisque nous considérons d’une part que le couple est une entité à part entière, et d’autre part que c’est dans l’entre-deux que se joue la relation. Nous sommes donc en face de deux individus et de l’entité couple elle-même dynamique.
Ces quelques conditions posées, penchons-nous sur les pères fondateurs qui ont abordé le couple par l’hypnose. Je ne citerai que les trois principaux.
Erickson et Jay Haley
Dans l’ouvrage « Changer les couples », les conversations sur le couple, le mariage entre Erickson et Jay Haley posent les bases de la prise en charge thérapeutique, toujours en miroir avec la pratique et des cas concrets. En effet, comme pour l’ensemble de son œuvre non théorisée (au sens où nous l’entendons dans le corpus de la pensée occidentale), Erickson ne nous livre que des pistes basées sur son expérience et, comme tous les précurseurs, il était audacieux mais de plus malicieux dans sa façon de pratiquer l’hypnose en couple. Il n’empêche qu’en se penchant sur les textes, nous pouvons en extraire de vraies pistes si ce n’est théoriques, mais au moins théorico-pratiques, qui tournent autour de deux questions : qu’est-ce qu’une union réussie ? et comment aider les couples à évoluer ?
A la première question, Milton Erickson répond en décrivant quatre sortes d’amour : la forme infantile « Je m’aime moi », qui dans un deuxième temps devient « Je m’aime en toi ». Puis il décrit l’amour adolescent « Je t’aime parce que tu me plais, ta beauté ou ton intelligence me plaisent… ». Enfin l’amour adulte s’exprime ainsi : « Je veux t’aimer et je souhaite ton bonheur. Plus tu es heureux, plus je le suis et je trouve mon bonheur dans le tien. » J’ajouterais « et dans le respect que tu as du mien ».
La maturité de l’amour serait donc l’aptitude à jouir de la jouissance de l’autre. Nous voyons donc que pour Erickson l’amour se construit par strates successives. Ce modèle peut d’ailleurs s’appliquer à la sexualité, allant du plaisir auto-érotique (qui existe aussi dans la relation) au partage érotique dans un désir vivant.
A la deuxième question : « Qu’est-ce qu’une thérapie de couple ? », la réponse d’Erickson a le mérite d’être pragmatique : la thérapie consiste d’abord à amener les gens à se conduire de façon adéquate dans la réalité.
Dans ce cadre quotidien, il faut vivre, manger, réagir aux événements et préparer le lendemain. Les travaux de Jürg Willi sur la collusion et les modèles psychopathologiques de couples ont montré les interférences inconscientes qui se jouent dans la relation. D’autres travaux, comme ceux des sociologues suisses Kellerhals, Widmer et Lévy ont examiné le fonctionnement des couples non pathologiques et dégagé cinq styles de conjugalité : bastion, cocon, compagnonnage, association et parallèle. Toutes ces grilles de lecture vont permettre de trouver des points de levage pour introduire l’hypnose dans la thérapie.
Le but d’Erickson et de Haley est de permettre aux couples de modifier leur position individuellement et dans le lien afin de sortir de l’impasse. Pour cela, ils utilisent sciemment dans leurs interventions des méthodes comme l’absurde, l’illogisme, la provocation ou la prescription de symptôme. Jay Haley va jusqu’à proposer l’« ordeal therapy », où la tâche à accomplir est plus éprouvante que le symptôme. Enfin, notons que l’approche d’Erickson est la fois globale sur le plan de la personne mais toujours dans une recherche du détail dans un engagement toujours personnalisé et sur mesure.