« C’est comme une traction terrible entre la mâchoire, sous l’oreille et la clavicule. A chaque fois que je veux ouvrir la bouche, c’est pire. C’est en longueur, quelque chose de dur comme du métal, de fin, de froid. On dirait une ficelle ou plutôt un câble. En acier, comme les câbles de frein sur les vélos. Les deux bouts du câble sont profondément enfoncés dans les structures osseuses. »
- « Combien de brins ? »
- « Douze. »
- « Comment ce câble peut-il être modifié ? »
- « En le coupant. »
- « Avez-vous une pince coupante ? »
- « Dans la caisse à outils. Je peux la prendre. »
- « Je vous propose d’en couper une partie aujourd’hui. »
- « J’en coupe six. »
- « Très bien, allez-y... »
- « Où en êtes-vous ? »
- « J’en ai coupé trois. Je continue... Ça y est, j’en ai coupé six. »
- « Comment ressentez-vous les sensations dans le cou ? »
- « C’est bien mieux. »
Cet échange qui peut paraître surréaliste est au contraire ordinaire pour le praticien qui utilise la technique appelée réification avec les patients souffrant de douleurs chroniques. Même si nous verrons plus loin que l’usage en sera plus large, nous allons dans un premier temps nous situer dans le cadre des patients douloureux chroniques.
Réification
Approche théorique
Réifier vient du latin « Res », chose, et « Facere », faire. En philosophie, la réification est la transformation en chose. Pour nous, réifier est transformer une sensation en une chose. Un objet dont les caractéristiques deviennent de plus en plus précises au fur et à mesure de la focalisation de l’attention sur cet objet, focalisation générée par l’existence préalable de la sensation et les questions du thérapeute. Il s’agit bien de s’occuper d’une sensation qui fait partie de l’univers habituel du patient, qu’il connaît, dont il souffre mais dont il ne parvient pas à se débarrasser. La connotation « chronique » se réfère à la durée - plus de six mois - et surtout à une notion de résistance du symptôme, avec différentes tentatives de traitement et des échecs.
Approche pratique
Comme souvent, ce principe n’est qu’une amplification d’un processus naturel que chacun connaît. « J’ai l’impression d’avoir un clou dans l’épaule, une boule dans la gorge, une barre dans le ventre... » C’est une de nos manières habituelles de décrire une sensation en se référant à une chose connue et partageable. La douleur, son type, son intensité sont particulièrement subjectifs. Si je dis : « J’ai très mal dans le dos », il est difficile pour l’interlocuteur de décoder cet énoncé, de se l’approprier pour comprendre ce qui vient d’être dit. « C’est comme si j’avais une pointe, comme une aiguille de couture, enfoncée à l’intérieur de l’épaule. Elle s’enfonce encore plus à chaque mouvement » est une manière beaucoup plus « objectivable » pour partager cette difficulté. Et partager un problème n’est-il pas déjà le diviser et le réduire ?
Claude Virot, Institut Emergences de Rennes, Formations en Hypnose
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