Un parcours professionnel éclectique et un désir profond de défendre et promouvoir une philosophie du « prendre soin », m’ont naturellement poussée à rechercher des outils permettant cette interaction dans la relation soignant - soigné.
C’est pourquoi, le toucher massage d’abord, et l’hypnose éricksonienne par la suite, ont fait écho, mettant en scène des instants de vie, où l’humain, mû par un amour universel, est guidé par la pureté des sentiments.
C’est à mon sens, ce qui doit prévaloir, pour établir une relation thérapeutique de confiance.
Je souhaite partager ici ces quelques moments de bonheur pendant lesquels j’ai pu mettre à profit ce « tout nouveau savoir ».
Rachel choisit la randonnée
Elle avait le choix : continuer de souffrir ou expérimenter un autre chemin.
C’est ainsi que je fis ma première expérience avec Rachel. Cette dame âgée de 89 ans a de lourds antécédents médicaux (A.V.C., troubles cognitifs, démence, artérite stade IV) et des ulcères aux jambes dus à son artérite.
Les pansements sont très douloureux malgré les antalgiques. Rachel crie dès qu’on la touche, et toute approche relève plus d’un combat que d’une relation thérapeutique de confiance. Cela est éprouvant pour elle, mais également pour les équipes de soins qui se trouvent démunies au regard de sa souffrance.
Rachel a une forte personnalité et sait encore nous dire vertement ce qu’elle pense.
Je décide alors d’utiliser ce trait de caractère à notre avantage. Je me dois de faire comprendre à Rachel que nous n’avons d’autres choix que de faire les soins. Malgré tout, Rachel peut décider de continuer dans cette voie et souffrir, ou choisir d’expérimenter un autre chemin qui lui permettrait d’avoir des soins confortables.
Peu habituée à ce qu’on lui parle ainsi, Rachel ne dit rien. Pourtant son regard m’indique qu’elle a compris ma proposition. Je lui explique alors, avec des mots simples, la marche à suivre, tout en lui assurant avec beaucoup d’audace, je le concède, qu’elle ne souffrirait pas. Par contre, si c’était le cas, elle ne devait pas crier, ni nous frapper, mais simplement lever la main pour arrêter les soins.
Je sais, par un questionnement orienté et l’aide de ma collègue qui la connaît bien, qu’elle faisait des randonnées en montagne. Je lui propose de partir en balade pendant la réfection des pansements.
Elle me sourit et je me demande encore aujourd’hui si c’était un acquiescement ou si elle me prenait pour une illuminée.
Avec ma collègue, nous décidons de pratiquer ce soin pendant la douche que nous effectuons sur un chariot douche, car la personne, ainsi allongée, est installée confortablement. De plus, en faisant couler l’eau sur les pansements, ceux-ci se décollent facilement.
Durant cette phase du soin que Rachel apprécie, j’en profite pour captiver son attention, en lui parlant doucement, en la rassurant, tout en restant accrochée à son regard. Nos gestes sont d’une extrême douceur. Ma collègue joue le jeu et me facilite grandement la tache.
Pendant qu’elle attend mon signal pour commencer les pansements, je prend Rachel dans mes bras et approche mon visage près de son oreille. Je lui parle très doucement, presque en murmurant, et lui demande de respirer profondément. Je l’invite à fermer les yeux et lui demande de se concentrer sur sa respiration. Je me mets à son écoute et c’est comme si nous ne faisions plus qu’un.
Je ne sais pas si Rachel comprend tout ce que je dis, mais je sens que sa respiration est régulière, apaisée, que son corps se détend. Je fais signe que les pansements peuvent débuter et je l’emmène en randonnée.
Une promenade sereine et tranquille, pendant laquelle nous admirons un paysage merveilleux, nous cueillons des fleurs odorantes aux couleurs éclatantes, nous apprécions un soleil nous réchauffant juste assez pour nous sentir bien, et nous marchons dans de la neige fraîchement tombée.
Je lui demande de garder toutes ces bonnes sensations en elle et de les ressentir chaque fois que cela sera utile, en respirant profondément. J’accompagne ainsi Rachel jusqu’à son retour sur le chariot douche, et les pansements sont terminés.
Rachel n’a pas crié, ne s’est pas débattue. Elle est très calme, presque endormie. Ma collègue est stupéfaite, moi aussi d’ailleurs, car il a fallu que je fasse abstraction de mes doutes, de mes peurs, tout en me laissant guider par mon intuition.
D’autres pansements suivront, et je m’en occupe quand je travaille. Le succès de cette prise en soins ne se renouvelle pas à chaque fois, mais jamais plus Rachel n’aura ce comportement agressif et agité d’avant cette séance.
Monsieur R. est prêt à tout.
Il était prêt à tout expérimenter pour repartir chez lui dans de bonnes conditions.
J’ai pu également utiliser l’hypnose de manière plus formelle avec monsieur R., grand-père de l’infirmière référente de mon lieu de travail.
Monsieur R. 91 ans, insuffisant cardiaque et respiratoire, est arrivé suite à une hospitalisation pendant laquelle une amputation des orteils de son pied droit avait eu lieu. Sa santé s’était dégradée, et il avait besoin d’oxygène jour et nuit pour pallier son insuffisance respiratoire due à une sarcoïdose compliquée. Il souffrait beaucoup des pieds, car les cicatrices n’étaient pas refermées et s’étaient infectées.
Son projet était de se reposer, reprendre des forces et repartir chez lui.
Je me souviens qu’à son arrivée nous n’étions pas très optimistes quant à son devenir. Mais ce monsieur, bien que très âgé, avait une volonté de fer et un esprit très ouvert, ce qui a probablement été un gage de réussite pour la suite.
Nous avons tout de suite sympathisé. Sa petite-fille lui avait parlé de moi et de mes techniques. Il était prêt à tout expérimenter pour repartir chez lui dans de bonnes conditions.
Je lui propose dans un premier temps, d’utiliser l’hypnose pour atténuer les douleurs pendant les pansements, et lui demande de m’indiquer un endroit agréable pour lui permettre d’expérimenter une transe hypnotique.
Il choisit de faire une balade en tracteur dans sa propriété. Je pris le temps de faire le tour du propriétaire, d’aller toucher sa terre, d’examiner ses arbres, de sentir ses fleurs. A son retour, je lui demande si tout va bien et s’il a envie de m’en parler. Il me répond que c’était très bien, mais qu’en chemin il a retrouvé une cabane qui appartient à deux enfants de sa connaissance, partis suite à des problèmes familiaux. Monsieur R. espère le retour de ces deux jeunes pour qui il a une tendresse particulière, et me fait part de son intention de réparer et entretenir cette cabane, au cas où…
Les autres séances se font pendant la réfection des pansements. Après une induction classique et l’installation d’un signaling, je demande à monsieur R. de protéger son pied, qu’il entoure de bandages en faisant le geste de sa main. Quand il me signale que son pied est suffisamment protégé, je l’emmène dans la cabane chère à son cœur, qu’il répare, restaure, nettoie, pendant que nous faisons la même chose avec son pied.
Devant le succès de cette prise en soins, monsieur R. devient plus demandeur. Ne plus souffrir ne suffit pas. Il souhaite également mieux respirer, ne plus être essoufflé et cicatriser rapidement pour rentrer chez lui, car son épouse est seule.
Je prends le temps de lui expliquer que l’hypnose a ses limites, que je ne fais pas de miracles, qu’il doit être patient et que lui seul possède les clés de la réussite, mais que nous pouvons peut-être travailler sur la respiration, sans lui donner de faux espoirs.
Pendant ces séances d’hypnose, je me suis inspirée de Teresa Robles qui utilise la respiration comme outil de changement.
Lors de cette nouvelle séance, je lui demande de représenter l’air qu’il respire par une couleur. Il choisit le doré. Puis je lui fais respirer cet air pur comme de l’or, en toute sécurité, de façon bénéfique et automatique. Je lui suggère de laisser cet air pur envahir tout son corps, ses jambes, ses pieds, tous ses organes, toutes les cellules visibles et invisibles, de laisser circuler cet air en toute sécurité, de manière bénéfique et automatique, et de remarquer déjà les changements, même infimes, qui s’opèrent de manière bénéfique, sans effort, qui se poursuivent pendant la journée, pendant la nuit, pendant toute sa vie.
Que cet air pur et doré comme l’or agit comme un médicament miraculeux en réparant ce qu’il y a à réparer, en nettoyant ce qu’il y a à nettoyer, en cicatrisant ce qu’il y a à cicatriser… De laisser sa partie sage indiquer le bon chemin à l’air pur et doré car elle sait ce qui est bon et nécessaire pour aller mieux. Je lui demande également de remarquer la couleur de l’air rejeté. Comme il est plus sombre, plus terne, chargé de tout ce qui est inutile...
Nous avons travaillé ainsi presque tous les jours. Il est reparti chez lui deux mois après, capable de se passer d’oxygène de longs moments, avec son pied en voie de guérison. J’ai su par sa petite-fille qu’il ne l’a utilisé que très rarement par la suite et que ses bilans sanguins étaient satisfaisants.
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