En dehors du fait que l’expérience hypnotique permet l’accès, par absorption, à des éléments inconscients qui vont apparaître ou être mobilisés lors de la séance (cela constituera un des matériaux de base à utiliser par le thérapeute), les voies qui vont permettre de travailler seront à choisir en fonction de chaque histoire. Car même si on retrouve des « grandes familles » d’éjaculateurs rapides primaires (jeunes à forte libido, plus âgés qui ont pris conscience tardivement d’une difficulté ayant finalement toujours existé… ceux aussi dans le déni… etc.), les « ingrédients » subjectifs qui l’accompagnent restent les mêmes : une difficulté à maîtriser le corps, une fixation sensorielle sur la zone du bassin avec un oubli total des autres zones du corps dans leurs fonctions érotiques, une excitation envahissante et très difficilement contrôlable, une grande difficulté à sentir et évaluer l’approche du seuil éjaculatoire, une difficulté à vivre la cohérence corps/esprit et donc une vive impression de dissociation, un sentiment d’envahissement par la pulsion sexuelle, une impression que le temps lui échappe avec en prime une anxiété réactionnelle, un sentiment « d’impuissance » entraînant des évitements de la relation voire de la rencontre amoureuse. S’ajoute à ce tableau souvent un sentiment de nullité narcissiquement dévastateur !
7 voies
1ère voie d’accès : réconcilier le patient avec son corps global puis son corps sexuel.
Lui demander d’accéder mentalement à son corps, à partir du repérage des différentes sensations dans l’état hypnotique en partant des parties du corps non sexuelles puis sexuelles périphériques (pubis, muscles fessiers, muscles de la ceinture abdominale, périnée…), puis sexuelles plus directement, est déjà un premier pas.
Ce travail de prise de conscience peut se faire grâce à la relaxation mais aussi aux exercices plus dynamiques, alternance avec induction de sensations contrastées chaleur/fraîcheur, tension/détente, lourd/léger, en utilisant des matières bois/coton... ces approches se faisant soit sous forme d’évocations inductives visuelles et/ou sensorielles, soit sous forme de création par le patient lui-même, les deux possibilités techniques pouvant se croiser grâce à la qualité de relation de confiance.
Une histoire autour du corps peut alors s’inventer à deux, mais surtout une prise de distance vis-à-vis du symptôme s’effectue. Une nouvelle cartographie sensible s’établit…
Dans ce cadre corporel, la respiration est une piste particulièrement utile dans le traitement de l’éjaculation rapide. Interroger le patient sur ce qu’il pense de la façon dont il a conscience de respirer dans l’acte sexuel sera tout à fait riche d’enseignement. L’observation de sa respiration pendant la séance et l’utilisation du « pacing respiratoire » utilisé classiquement en hypnose sera dans un premier temps très utile. Dans un deuxième temps, l’apprentissage des différents niveaux de respiration, haute, moyenne ou basse, avec insistance sur la respiration abdominale, est tout a fait intéressante sur plusieurs plans : elle renvoie à la respiration tranquille du bébé dans la sécurité (nous ne sommes pas loin de la régression en âge ou, sur un plan plus psychanalytique, du processus primaire !).
Elle induit dans une puissante relaxation globale corporelle et profonde mentalement, mais surtout elle permet un accès plus facile à cette zone du corps qui est mal vécue à cause du symptôme et restaure une relation plus sereine et moins conflictuelle à travers le travail du rythme apaisant du souffle. Ce travail sur le rythme respiratoire sera aussi utile plus tard lorsque seront abordées plus directement en imagination les expériences sexuelles en particulier dans le lien avec le mouvement.
La technique de la passerelle, qui induit l’aller et le retour entre représentation et sensation, sera alors utilisée. L’expérience de l’expiration dirigée dans les membres avec expulsion des tensions, puis le long du dos, puis dans la zone génitale et sexuelle (vous soufflez dans votre ventre et l’air ressort entre vos jambes…) va permettre une intégration progressive de tout le corps dans la sensorialité puis dans la sensualité qui est souvent mise à distance par crainte de l’envahissement de l’excitation, « vous respirez aussi avec votre peau, tout votre corps respire »…
A partir de ces approches renvoyant à la dimension archaïque, le thérapeute doit être attentif à tout ce qui va émerger et ce qu’il pourra éventuellement repérer pour la suite du travail. Ce que dira le patient sera donc primordial.
2e voie d’accès : réconcilier le patient avec son excitation sexuelle.
Nous savons que, bien que la courbe de l’excitation sexuelle ait été décrite par les sexologues, en particulier Masters et Johnson, les chemins qui y mènent sont aussi très subjectifs. Deux possibilités donc : travailler au plus près de la rationalité physiologique ou s’appuyer sur la subjectivité du patient, c’est-à-dire ses représentations et ce qu’il peut en dire.
Les deux sont possibles dans des temps différents mais surtout en lien avec ce qui sera repéré du fonctionnement psychique du patient et de sa relation à son corps et à l’autre. Pour certains, utiliser en hypnose des éléments plus comportementaux (mesure de l’excitation, prise de conscience de sa montée avec curseur, etc.) sera la seule prise possible. Pour d’autres, la question du sens de celle-ci, de la place de l’interdit par exemple, de la relation de l’excitation au désir et au plaisir, de la relation à la femme dans le clivage maman/putain, dans l’idéalisation de la femme et la spiritualisation (souvent défensive !) de la sexualité sera au premier plan.
Ce qui paraît important grâce à l’hypnose, c’est d’amener le patient à, petit à petit, « domestiquer » une excitation qui renvoie trop souvent à une animalité mal acceptée et mal vécue. D’ailleurs, une des conséquences dans le couple, c’est que la femme finit par se sentir non pas le « sujet » d’un désir mais « l’objet » d’une pulsion.
Travailler grâce à la régression en âge sur les premiers émois sensuels puis sexuels en insistant sur ceux qui ont été fondateurs, les premières relations avec leurs états émotionnels associés, proposer la « ré-invention constructive » de ces moments surtout s’ils ont été traumatisants, travailler la mémoire corporelle et leur trace dans la sexualité d’aujourd’hui et celle de demain dans une projection vers l’avenir… toutes ces pistes nous amènent naturellement à la dimension de la temporalité.
3e voie d’accès : quand le temps devient un espace…
Au-delà de l’idée reçue que « l’éjaculateur précoce est un rapide », nous savons que ce symptôme implique dans sa définition même une perception du temps mal vécue par la notion d’immédiateté plus ou moins liée à la conscience du seuil éjaculatoire qui est, rappelons-le, réflexe. Nous savons aussi que l’état d’hypnose induit une distorsion du temps. Il est important de travailler l’écart entre les premières réactions d’excitation et ce que le patient va percevoir comme un point de « non-retour ».
L’allongement (subjectif et objectif) de cet écart de temps va permettre à un « espace » nouveau de se créer, « un espace où la rencontre sexuelle va s’enrichir… où la relation à deux va s’épanouir… en laissant le temps s’écouler tranquillement… dans le plaisir… sans urgence… où les secondes peuvent naturellement devenir des minutes… les minutes des heures… un espace où il n’y a pas besoin de montre ni d’horloge… un espace nouveau où le temps est en suspension, où les aiguilles des pendules s’effacent… un espace où l’heure n’a finalement plus d’importance… »
L’injonction paradoxale du « surtout faites vite pour faire lentement » d’abord sur une expérience non sexuelle visualisée sous hypnose puis sexuelle peut aussi être utile.
La distorsion du temps peut aussi se travailler (si cela est cohérent avec l’histoire du patient et le vécu de sa difficulté) en lien avec d’autres techniques : - la respiration (avec ses différents rythmes liés à des représentations visuelles ou sensorielles et/ou sexuelles) ;
- la dissociation, par l’introduction de l’expérience du film lié à une expérience subjective sensuelle et/ou sexuelle que le patient va retrouver dans sa mémoire au ralenti ou au contraire en accéléré. L’utilisation des séquences ou des « épisodes » peut être aussi intéressante.
Toutes ces expériences peuvent rester au niveau du script dans le secret du patient et la liberté de parole sur le contenu doit toujours être respectée.
La montre
Un Occidental, à l’occasion d’un voyage d’affaires en Afrique, avait abouti dans un village où il avait commencé une longue discussion avec le marabout.
Ce dernier restait silencieux tandis que l’Occidental exposait avec force détails le tableau de ses inquiétudes passées et présentes. Le marabout lui dit :
— Ami, tu as une belle montre.
En effet, l’Occidental avait une belle montre. Celui-ci continua de parler de ses activités, des perspectives de développement de la région dans laquelle il se trouvait, de la difficulté de nouer des contacts durables avec les habitants. Le marabout lui dit :
— Ami, tu as une belle montre.
Intrigué, l’Occidental se demanda si le marabout ne souhaitait pas posséder la montre. Pourtant, semblant oublier cette question aussi vite qu’elle avait surgi en lui, il se mit à commenter le coucher de soleil et à le comparer avec ceux qu’il avait vus en Europe. Le marabout lui dit :
— Ami, tu as une belle montre.
— Elle est très belle, en effet, et elle coûte très cher. En souhaiterais-tu une identique ?
Le marabout sourit en faisant non de la tête.
— Ami, tu as une belle montre, mais tu n’as pas le temps. Moi, je n’ai pas de montre, mais j’ai le temps.
Écrit par Joelle MIGNOT
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