Un univers à découvrir
Sensualité, volupté, séduction, concupiscence, hédonisme… sont-ils de simples variations de langage destinées à multiplier les images qui frôlent l’érotisme avant de rejoindre le plaisir sexuel ? Ou ces mots qui évoquent le plaisir restent-ils empreints de la longue et très ambiguë histoire humaine avec la jouissance : cette expérience autant désirée que stigmatisée et charriant dans son ombre la menace jamais exclue du surgissement de la souffrance. La concupiscence n’a sans doute pas encore brisé ses chaînes avec la luxure et le langage courant confond volontiers sensualité et séduction, sensualité et volupté dans un mélange d’excitations où le plaisir des sens préfigure l’intensité de l’orgasme. Plus savantes, psychanalyse et sexologie useront volontiers des termes de vécu ou comportement hédonique.
Mais faut-il s’étonner du fait que les différents chemins du plaisir se soient ainsi brouillés dans une période où le corps est coaché sous tous ses angles dans le volontarisme de l’image et de la performance. La conception hédoniste de la sexologie n’est pas non plus indemne de cette tendance dans la mesure où la morale du jouir se donne des buts et des objectifs : favoriser ce qui contribue au plaisir tout en incluant la santé et les qualités humanisantes, ce qui est tout à fait cohérent dans une optique de médecine sexuelle. Si, comme on le suppose aujourd’hui, « il y aurait chez l’homme un comportement spécifique du plaisir, un comportement hédonique » (1) qui serait au service de la découverte des activités érotiques, il importe d’être attentif à tout ce qui aurait une fonction facilitante dans l’accès futur à l’expérience orgasmique.
Tout autre est l’univers de la sensualité. Le mot lui-même n’est pas issu du grec comme l’hédonisme (hédoné) mais provient du latin sensualis qui signifie : percevoir, sentir, comprendre à partir des sens, et cette activité sensible a fait évoluer le terme vers les connotations de plaisir que nous lui attribuons aujourd’hui. Aussi, pour être sensuel, n’aurions-nous pas à suivre la même évolution que le terme sensualité a connu ? Une toute autre histoire, une qualité d’être que je vais tenter de vous conter.
J’en frémis
C’est quasiment une tautologie de rappeler qu’à l’origine, l’homme n’a eu d’autres ressources que ses sens pour se situer, tenter de comprendre l’univers qui l’entourait. Les aiguiser contribuait à sa vigilance et à sa sécurité, et la perception de ce qu’il en éprouvait en inscrivait probablement une mémoire et une discrimination susceptible d’organiser les ébauches d’une première différentiation entre plaisir et déplaisir. Il est intéressant de remarquer que Carl Gustav Jung et Pierre Louÿs se rejoignent sur le terrain de l’interprétation de cette genèse. Le premier affirme que « tant au point de vue ontogénétique que phylogénétique, les fonctions affectives et intellectuelles se développent à partir de la sensation », et le second perçoit « la sensualité comme la condition mystérieuse et nécessaire du développement intellectuel » : il franchit le pas qui instaure la sensualité au cœur de l’intelligence de la vie.
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