Mouvante au fil des siècles et selon les territoires considérés, la libido du peau-rouge s’avère suffisamment caractéristique pour que nous puissions l’appréhender au singulier. Ici, valeurs traditionnelles et contrôle social se conjuguent à une incontestable permissivité charnelle.
Cette dernière frise à certains égards notre fameux concept de tolérance occidentale, et encourt par-là même le péril d’un certain travestissement. Gardons-nous de l’angélisme et n’omettons pas de considérer l’envers du tipi : entre colons blancs et Indiens d’Amérique, Abel et Caïn se confondent. Déprédations mutuelles, tractations commerciales et intérêts bien compris…
Plus d’une fois, l’agresseur européen fut soudoyé pour exterminer une tribu adverse, nettoyer un territoire convoité. Ici comme ailleurs, la déviance sexuelle occasionnait bien des rigueurs : dans certaines communautés, la femme adultère avait le bout du nez coupé.
Chez les Sioux, les Yucatan et au sein de nombreuses autres tribus, un certain nombre d’hommes vivaient comme des femmes ; les berdaches, travestis homosexuels, jouissaient d’un statut religieux de premier ordre. Aussi les grands guerriers les prenaient-ils souvent comme épouse secondaire (ce fut par exemple le cas du chef Crow Iron Bull, avec une certaine Miakate Jim).
Partout, la jalousie était considérée comme une indignité, et les hommes évitaient de se quereller pour des femmes. Ils convoitaient tout spécialement les jeunes veuves et les femmes mûres, plus aptes à gérer correctement le foyer ; le travail des peaux et la préparation de la nourriture nécessitaient un certain savoir-faire, qui ne s’improvisait pas. Avant d’être mariée vers 16 ans contre quelques chevaux, la jeune Indienne pouvait entretenir de multiples aventures à l’extérieur du campement ; là, dans le secret de la végétation, elle consommait son plaisir avec quelque guerrier imberbe, qui en demanderait une autre en mariage quelques mois plus tard. Le contrôle social restait souple, assuré tout au plus par quelque aïeule édentée dont les soupçons n’atteignaient pas le quart des forfaitures de la demoiselle.
Cette grisante liberté des grands espaces se conjuguait cependant à de rigoureux impératifs de pudeur, démontrant par là même que la collectivité conservait en définitive la mainmise sur le quotidien charnel de ses membres : baisers et caresses étaient bannis en public, tout comme les rapports sexuels en certaines périodes liturgiques (notamment chez les Wendats). Parvenus à la puberté, les frères et sœurs Iroquois ne devaient plus jouer ensemble et ne s’adressaient plus la parole. La débauche elle-même, y compris lorsqu’elle paraissait flagrante, répondait en vérité à une scrupuleuse codification culturelle : ainsi n’était-il pas rare de constater certains élans pour le moins équivoques entre beaux-frères et belles-sœurs.
Cette apparente licence découlait en vérité d’une institution culturelle majeure : celle qui imposait le lévirat et le sororat au cas où l’un des époux viendrait à disparaître. Dans cette perspective, les fougueux parents anticipaient leur apprivoisement mutuel. Au fond, tout le génie de la culture sexuelle indienne réside en cette improbable – et pourtant si juste – symbiose entre liberté et pudeur.
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