Léa, 15 ans, vient consulter suite au décès brutal de son père : il a été fauché par une voiture alors qu’il traversait la route hors des bandes cloutées. Un coup de tonnerre dans le ciel bleu, quoi... Je connais très bien ce papa qui venait consulter pour ses deux enfants. J’en garde le souvenir de son sourire plein de bonté et du regard bleu clair si aimant pour ses enfants. Je lui ai envoyé des fleurs quand j’ai appris son départ. Léa avait au début une attitude compulsive de compensation tel que l’achat de vêtements inutiles. Plusieurs mois se sont écoulés avant qu’elle ne fasse la démarche de me consulter car sa souffrance la submerge ainsi que sa mère. Quant au petit frère, il se sent le nouveau chef de famille et ne s’autorise à aucune faille pour l’instant.
Tous les trois ont suivi un groupe de travail sur le deuil avec une association. Mais Léa a le sentiment, au bout de quelque temps, de ne plus progresser. Elle revient alors vers moi et m’indique son souhait de vouloir avancer avec moi, me précisant qu’elle me fait confiance. Voici le résumé des trois consultations avec Léa. Sa maman ne souhaite pas être présente aux consultations car c’est trop dur pour elle.
PREMIÈRE CONSULTATION : LE GOUFFRE SANS FOND
- Thérapeute : « Chère Léa, nous nous connaissons depuis de longues années, n’est-ce pas ? Je suis là pour t’aider à traverser ce chemin si douloureux pour toi, ta mère et ton frère. Tu sais, nous avons tous au fin fond de nous d’immenses ressources insoupçonnées qui nous permettent de traverser les épreuves de la vie, ce notamment avec l’outil fantastique qu’est l’hypnose. Mon rôle est celui de t’accompagner et t’aider à les retrouver, te les approprier pour aller mieux. C’est clair que je ne marcherai pas à ta place, mais serai cette passeuse... et tu avanceras jusqu’où tu veux et tu peux aller, mais je te connais et te sais si courageuse ! Tu sais, ce sera une formidable aventure où nous cheminerons au gré du vent pour arriver à bon port. Comment te sens-tu aujourd’hui devant la perte de ton papa ?
- Léa : Je me sens dans un gouffre sans fond et si profond que je n’en vois pas le fond (physiquement elle se ratatine sur elle-même, les larmes aux yeux).
- Th. : Veux-tu me décrire précisément ce gouffre ? Sa taille ? Sa profondeur ? Sa couleur ? Tout ce que tu peux me dire sur lui ?
- Léa : Il est si profond, si noir, si immense que je n’en vois pas les limites, bordé de tous les côtés de parois si abruptes, lisses et je suis au fond (pleurs...).
- Th. : Ferme les yeux et concentre-toi sur ta respiration... calme... regarde bien autour de toi s’il n’y a pas un endroit où t’accrocher ?
- Léa (après un long silence) : Oui, sur un côté il y a une pierre où je peux m’accrocher, mais je retombe.
- Th. : Mais tu n’as qu’à recommencer, car je te sais capable et courageuse, tu ne vas pas abdiquer à la première chute ?
- Léa : Après plusieurs chutes, ça y est, j’y arrive et j’ai trouvé d’autres pierres pour monter, mais mes mains sont pleines de sang !
- Th. : Où es-tu à présent ?
- Léa : En haut de la falaise sur le bord.
- Th. : J’étais sûre que tu y arriverais, car comme je te l’ai dit, on a tant de ressources en nous et tu as tant de force en toi. Qu’est-ce que ça te fait là, cette première victoire dans ton corps ?
- Léa : Je ne pensais pas être capable, je suis fière de moi, mon coeur bat fort, je suis bien plantée dans mes pieds.
- Th. : Maintenant que tu as repris des forces, que tu es en haut, comment comptes-tu traverser ce gouffre sans fond ? En construisant par exemple un pont ? Une digue ? Ou autre chose ? Ferme les yeux, la réponse est au fond de toi et tu la connais.
- Léa : Je veux mettre un chemin de pierres d’un bord à l’autre.
- Th. : Très bonne idée, regarde bien autour de toi à nouveau où trouver des pierres de préférence solides. Quand tu les as trouvées et construit ton chemin, fais-moi un signe de ta main droite ou gauche.
- Léa : Oui, je suis en train d’empiler mes pierres mais elles s’effondrent au fur et à mesure !
- Th. : Cherche bien et trouve des pierres plus costauds pour que ça tienne définitivement pour traverser. Quand tu les as trouvées, remets-toi à l’ouvrage. Tu sais, j’ai vécu en Afrique et je connais l’histoire du tisserand Mamadou que colportaient les griots : assis par terre sous le baobab de la place du village, son établi en bois devant lui, avec ses orteils et ses mains, il redéfaisait sa toile tous les soirs jusqu’à ce qu’il fasse au final une magnifique toile ! Tous les villageois qui, au début le raillaient, s’extasièrent devant la beauté et la perfection de son oeuvre après tant de labeur, y compris les singes et les hyènes qui rôdaient autour du village et qui ricanaient au début en retroussant leurs babines.
- Léa (après un long moment) : Ça y est, c’est fait.
- Th. (je vois ses yeux et son corps en tension, les mouvements oculaires sous les paupières closes bouger, les mains moites pendant ce temps-là... puis son corps se relâcher, la respiration plus calme...) : J’étais sûre que tu y arriverais car tu as tant de force et de foi en toi. Comment te sens-tu ici et maintenant dans ton corps ?
- Léa : Je me sens OK avec moi, soulagée et fière.
- Th. : Ferme les yeux et veux-tu mettre tes deux mains sur ton coeur et rester avec cette émotion-là, le temps que tu veux et savourer cette joie d’être passée au-dessus du gouffre et d’être de l’autre côté de la falaise définitivement ? Puis tu ouvriras tes yeux quand tu veux en prenant une grande respiration ample pour revenir ici.
- Léa : Merci !
- Th. : Quand penses-tu vouloir revenir me voir pour poursuivre notre voyage ?
- Léa : Dans quinze jours.
- Th. : Bisous Léa, à dans quinze jours. »
DEUXIÈME CONSULTATION : LE TILLEUL ET LE CHÊNE
- Th. : « Nous allons poursuivre notre chemin. Veux-tu t’asseoir confortablement. Maintenant que tu as franchi ce gouffre… définitivement et construit une digue si solide, et donc tu es de l’autre côté de la berge, que vois-tu ?
- Léa : Un champ vert avec de l’herbe, des arbres plantés.
- Th. : Peux-tu me les décrire plus précisément ?
- Léa : Il y a un petit tilleul et au loin un grand chêne immense avec un tronc solide...majestueux et… qui contient une seule pomme bien rouge. M’enfin un chêne n’a pas de pomme !
- Th. : Oh ! tu sais en hypnose tout est possible, aussi ce que tu vois est forcément juste, n’en doute pas ! Et que fait cette belle pomme rouge là ? A ton avis que représentent pour toi le tilleul, le chêne et la pomme ?
- Léa (long silence... pleurs...) : Le tilleul c’est moi, le chêne, c’est mon papa et… et mon papa me dit de la croquer ! Mais je n’y arrive pas car moi le tilleul je suis trop loin du chêne.
- Th. : Que peux-tu faire pour te rapprocher du chêne ?Peut-être que tu peux étendre tes branches le plus loin possible pour toucher le chêne ou as-tu d’autres idées ?
- Léa : J’ai beau essayer d’allonger mes branches, je n’y arrive pas car le chêne est trop loin et mes branches fragiles.
- Th. : Il y a bien une solution pourtant : regarde attentivement autour de toi pour rejoindre ton chêne.
- Léa : Ah, oui ! il y a là-bas une grosse corde par terre, mais je ne peux l’attraper et elle est trop lourde pour moi.
- Th. : Si toi tu ne peux l’attraper, tu peux peut-être demander de l’aide à dame nature ? Cherche bien qui peut t’aider ?
- Léa : Non, je ne vois rien… Ah si ! je vois deux aigles qui tournoient et qui se rapprochent et prennent la corde avec leur bec puissant et qui l’accrochent entre le tilleul et le chêne !
- Th. : N’oublie pas de les remercier. Que te reste-t-il à faire à présent ?
- Léa : ……..
Pour lire la suite de l’article et commander la Revue Hypnose & Thérapies Brèves n°64
Commander la Revue Hypnose & Thérapies Brèves n°64
. Edito – Julien BETBÈZE
. Claire ROSSIN – Autohypnose et TOS chez l’enfant anxieux
L’auteure explique comment Noé, 7 ans, souffrant de troubles du sommeil, a pu s’approprier rapidement les outils proposés au cours de la thérapie (7 séances sur 5 mois) et les réinvestir au quotidien pour atteindre une autonomie dans la résolution de ses difficultés.
. Séverine LEJEUNE – Ces histoires qui nous façonnent
L’auteure, pédopsychiatre, nous propose de partager les lettres écrites aux parents, enfants et adolescents, lettres inspirées par les thérapies narratives et qui ont servi de support pour ses appels téléphoniques aux familles pendant le confinement.
. Stéphane OTTIN PECCHIO – Etats de conscience de l’hypnose musicale à l’hypnose artistique. Cet article analyse les états de conscience hypnotiques du point de vue du musicien ou de l’auditeur dans différentes situations : concert classique ou concert-thérapie, séance individuelle ou autohypnose.
.Guy MISSOUM – Success story et entraînement mental. L’auteur explique comment aider le patient à combattre le manque de confiance en soi avec différents moyens qui passent tous par une indispensable connaissance de soi.
. Espace Douleur Douceur - Gérard OSTERMANN – Edito
. Mireille SÉJOURNÉ – Troubles digestifs, hypnose et acupuncture. Gynécologue à la pratique enrichie d’une formation en acupuncture et en Médecine Traditionnelle Chinoise (MTC), l’auteure nous propose une approche qui combine hypnose et MTC appliquée aux troubles digestifs. Clair et simple, le script détaillé dans l’article et appelé ''Harmonie du Papillon'' peut être refait par le patient chez lui, régulièrement.
. Anne SURRAULT – Une parenthèse enchantée avec Gustave. Récit d’une séance de thérapie narrative : carte de l’externalisation. La patiente est venue consulter initialement suite à un conflit conjugal…
. Rachel REY – Anxiété infantile au bloc opératoire. Travaillant depuis quinze ans comme infirmière anesthésiste au bloc opératoire de l’Hôpital d’enfants à Nancy, l’auteure a notamment constaté que murmurer des histoires à l’oreille des enfants à l’induction se révélait extrêmement efficace, car pour entendre sa voix l’enfant doit cesser de pleurer et de se préoccuper de l’agitation ambiante.
Dossier : S’éloigner de la dépression
. Frédéric BERBEN – Prévention de l’épuisement professionnel Les approches intégrées de méditation, d’hypnose, de mouvements psycho-corporels permettent une liberté dans l’endroit où le thérapeute-formateur va poser le levier pour générer un changement. La pluralité des outils autorise davantage de points d’appui adaptés aux différences individuelles des professionnels.
Nelly CADRA – Métaphores et deuil Léa, 15 ans, vient consulter suite au décès brutal de son père. En ressort le récit de trois séances avec les métaphores utilisées par la pédiatre : le gouffre sans fond ; le tilleul et le chêne ; la souris, le lapin et les elfes.
Jean-Pierre BOYER – Quels petits mieux pour sortir de la dépression? Depuis vingt ans l’auteur lie hypnose et approche solutionniste. Il détaille ici la méthode avec pour exemple Geneviève, 35 ans, déprimée, agressive, insomniaque et sujette à des troubles des conduites alimentaires. La « Question Miracle » est bien entendu au centre de l’entretien.
Rubriques . Les champs du possible :
Adrian CHABOCHE – ‘« Docteur, j’ai enfin échoué !’ » .
Quiproquo, malentendu et incommunicabilité : Stefano COLOMBO et MUHUC – Epuisement professionnel… .
Les grands entretiens : Gérard FITOUSSI – Interview de Alain VALLÉE .
Culture Monde : Nicolas D’INCA – Les guérisseurs touaregs.
Crédit Photo: © Marc Gratas