Hypnose animale
L’hypnose animale existe, je l’ai rencontrée.
Si je fais cette affirmation c’est pour rappeler, s’il en était besoin, le caractère réellement naturel de l’hypnose alors que la plupart des observateurs la pensent induite par l’hypnotiseur. La réalité est que depuis des siècles, et dans chaque culture selon des modalités différentes, certains initiés ont utilisé les capacités naturelles du sujet à être hypnotisé pour asseoir leur pouvoir. Car en vérité, la plupart du temps c’est le sujet lui-même qui présente cette capacité naturelle sans le savoir. Les travaux sur l’hypnose naturelle dans le monde animal sont quasi inexistants ou seulement à titre d’observations, souvent anecdotiques, ce qui contribue encore à renforcer la croyance dans le pouvoir de l’hypnotiseur.
Cette capacité naturelle existe vraisemblablement chez tous les vertébrés, sinon la plupart. Il s’agit certainement d’une fonction archaïque de survie se mettant en jeu dans des circonstances particulières, pour protéger l’individu, lorsque l’immobilisation immédiate est nécessaire comme, par exemple, pour se dissimuler devant le prédateur. C’est ce qu’a décrit Albert Demaret, dans son Divan naturel. Dans des circonstances particulières, le sujet est alors capable d’immobilisation subite par abandon momentané de la volonté, de pseudo-paralysies (cf. la feinte de l’aile brisée chez les oiseaux) ou l’apparence d’une totale involonté pour « faire le mort », encore une fois afin de leurrer le prédateur. C’est certainement ce mécanisme qui entre en jeu dans les situations d’hypnose animale que nous connaissons. J’ai personnellement observé des phénomènes hypnotiques très surprenants dans trois lignées phylétiques : les gallinacés, les crustacés, les sauriens.
C’est un phénomène bien connu dans les basses-cours, que l’on hypnotise facilement une poule en bougeant rapidement la main devant ses yeux et en la retirant brutalement. L’animal reste alors figé, le regard lointain et immobile, comme tétanisé. Il peut cependant marcher d’une façon quasi automatique, toujours « le regard dans le vide ». J’ai également le souvenir de la présentation de trois homards vivants (la couleur de la carapace en attestait) présentés immobiles sur un plateau d’argent la queue relevée en arrière, après avoir été hypnotisés par frottement rapide à l’arrière du crâne. C’est une technique assez connue pour obtenir la « tétanisation » de ce type de crustacés. J’ai enfin observé avec une grande stupéfaction l’hypnose d’un petit crocodile dans l’arène d’un cirque, toujours en lui massant le rachis en arrière du crâne, à quelques mètres des enfants qui étaient assis pour la représentation. Une fois hypnotisé, le crocodile resta libre de ses mouvements mais immobile, pendant quelques minutes, la gueule ouverte, jusqu’à ce que les animaliers le maintiennent à nouveau.
Cette hypnose animale semble une propriété naturelle que nous pouvons mettre en jeu par nous-mêmes (autohypnose) ou par l’intermédiaire d’un initié (sorcier, magnétiseur ou thérapeute) connaissant cette propriété et les moyens de l’activer. C’est ainsi que le magnétiseur fera plutôt croire à son pouvoir et le thérapeute aux capacités du sujet à entrer par lui-même dans cet état afin de mobiliser ses forces intérieures.
Freud et Charcot
Lorsque Freud suivit l’enseignement de Charcot à la Salpétrière dès 1885, il était très admiratif de la pensée du maître et du pouvoir thérapeutique de l’hypnotisme. Ce n’est que quatre ans plus tard qu’il préférera la « cure par la parole » à l’hypnotisme, à la suite du suicide d’une patiente suivie par lui en hypnose, suicide qu’il attribua à un excès de suggestion. En cela il assimilait hypnose et suggestion, et tentera dès lors de se situer au plus loin de la suggestion, en préconisant l’absence d’inductions, quelles qu’elles soient, ce qui fut réalisé par la psychanalyse. Il oscillera cependant souvent dans ses opinions en se rappelant de l’intérêt des effets de l’hypnose et, à plusieurs reprises, il tempèrera son jugement, comme par exemple en 1912, dans ses « Conseils aux médecins sur le traitement psychanalytique », lorsqu’il affirmera : « Ne pas s’opposer à ce qu’un psychothérapeute combine une certaine dose d’analyse à quelque traitement par suggestion, dans le but d’obtenir plus rapidement un résultat thérapeutique patent. » 3 ; ou encore dans sa conférence au congrès de Budapest en 1918 : « Tout porte aussi à croire que, vu l’application massive de notre thérapeutique, nous serons obligés de mêler à l’or pur de l’analyse une quantité considérable du cuivre de la suggestion directe. » 4
Freud et les psychanalystes
Si l’opinion de Freud sur l’hypnose était certainement fondée en son temps et avec la conception que l’on avait alors de l’hypnose, l’opinion des écoles de la psychanalyse est aujourd’hui plus idéologique dans la mesure où la très grande majorité des analystes n’ont jamais pratiqué l’hypnose. Freud savait ce dont il parlait lorsqu’il distinguait hypnose et analyse, et sa méfiance vis-à-vis de l’hypnose en a fait la réelle « bête noire » des analystes. Pour la majorité d’entre eux, il faut se situer au plus loin de la suggestion, c’est-à-dire au plus loin de l’hypnose. Mais peu d’entre eux savent reconnaître l’état d’hypnose dans lequel peuvent être leurs patients. Il est ainsi étonnant de constater le très fréquent lien « quasi hypnotique » de certains analystes avec leurs clients, ce que Freud tentait de réduire !
Les praticiens du corps, dans le champ analytique, ont toujours reconnu l’intérêt de l’hypnose et la difficulté d’éliminer toute dimension suggestive de la relation thérapeutique, certainement en raison du caractère naturel de l’hypnose. Ce fut tout d’abord Sándor Ferenczi qui tenta de réintoduire des éléments hypno-suggestifs dans la cure : « Cette possibilité de réinstaurer la thérapie hypnotique ou d’autres méthodes suggestives serait peut-être alors le point terminal de cette évolution vers laquelle tend et doit tendre, à notre avis, la simplification de la technique analytique » 5, affirmation que Freud ne démentit pas à l’époque.
Michel Sapir qui théorisa vers 1968 la relaxation psychanalytique à inductions variables, reprenant l’idée de Ferenczi (6) d’une activation de la cure par les inductions corporelles, reconnaîtra le caractère toujours plus ou moins inducteur, ou même suggestif des psychothérapies, quelles que soient les précautions prises par le thérapeute. 7
Hypnose et suggestion
A partir de 1976, à Bordeaux, j’ai eu le grand plaisir de travailler avec Jean Godin qui était à la fois médecin psychiatre, psychologue et responsable de la psychologie médicale à l’université Bordeaux 2. Il avait lui-même travaillé avec le professeur Bergougnan qui l’avait initié à l’hypnose classique, que j’ai pratiquée avec lui. Au début des années 1970, il avait travaillé avec John Hartland en Angleterre, il se formera ensuite à l’évolution actuelle de l’hypnose auprès de Milton Erickson avant de fonder l’institut Milton Erickson de Paris. C’est avec lui que j’ai rencontré Rossi et surtout Jeffrey Zeig.
L’hypnose éricksonienne, telle que la connaissent aujourd’hui de nombreux praticiens, s’est tout d’abord intitulée hypnose sans transe, rappelant certainement en cela le désir d’Erickson d’éviter les effets massifs de la suggestion 10. N’est-ce pas la même démarche que Freud ? Ou du moins n’est-ce pas la voie que Freud cherchait dans l’hypnose avant qu’il n’abandonne cette direction pour le chemin analytique ? A lire et relire les ambivalences de Freud par rapport à l’hypnose au cours des décennies qui suivirent l’invention de la psychanalyse, je reste convaincu que l’hypnose éricksonienne est vraisemblablement la voie qui intéressait Freud dans l’hypnose et le possible aboutissement de sa démarche, s’il avait pu la mener plus loin.