Zone de confort. En avoir ou pas (2e partie). Thierry Zalic



Situant comme centrale l’attention du thérapeute sur son propre confort, Thierry Zalic développe ici 10 autres points méthodologiques qui complètent les 6 premiers exposés dans notre précédent numéro. Et nous montre aussi comment il est parvenu à développer un style thérapeutique inspiré du détachement oriental tout en s’avérant très personnel.

7. Rien n’est jamais plus fort que vous / pensées auto-limitantes

Parfois vous me dites : « C’est plus fort que moi d’être triste, ou d’avoir peur ». Rien n’est plus fort que vous. La maladie, la tristesse ou la peur ressentie, c’est toujours vous. Ce qui est plus fort que vous n’est qu’une partie de vous. Une autre peut émerger. Il ne s’agit pas de penser qu’il n’y a pas d’inconscient, mais simplement d’arrêter de croire qu’il vous domine. Vous êtes responsable de ce qui en émerge. Songez à la carpe japonaise qui a une particularité étonnante : élevée dans un bocal de petite taille, elle ne mesure que quelques centimètres à l’âge adulte. Dans un bocal plus grand, elle peut atteindre 15 à 50 centimètres. Dans un environnement naturel, le plus propice à son épanouissement, elle atteindra plus d’un mètre. En renonçant à vos anciennes pensées limitantes, « C’est à cause de…», ou « Je ne peux pas », je vous sors du bocal. Vous sortez du bocal.

8. Le « ou pas », premier pas de côté, proposition binaire

Le « ou pas » est le premier pas d’une ouverture vers la liberté. Une fois acquis, chaque « ou pas » prononcé déclenche l’équivalent d’une bouffée d’oxygène dans votre poitrine. Quand vous ajoutez « ou pas » à la fin des phrases, vous êtes dans une proposition d’ouverture permanente. « Je peux être bien, ou pas. Être heureux, ou pas. Je peux être avec toi, ou pas… Je peux souffrir, ou pas. Être gêné, ou pas… Je peux t’aimer, ou pas. Ceci peut être, ou pas. » Le « ou pas » crée un premier détachement. C’est une façon de ne pas dépendre de l’autre, ou de la situation, ou du contexte, de donner de la fluidité sans s’enfermer.

9. Le « ou pas, ou oui », premier pas dans l’espace, proposition ternaire / l’auto intersubjectivité de Stern

Le « ou pas » a commencé à vous libérer. Je vous ai défini la notion du « ou pas », « Je peux être triste, ou ne pas l’être ». Allons plus loin dans l’oscillation. Vous étiez bloqué, vous voilà oscillant. C’est un jeu. Aux deux premiers termes, « Je peux être triste, ou ne pas l’être », vous pouvez en ajouter un troisième : « Je peux être triste, ou ne pas l’être, ou l’être », qui accroît encore votre liberté. Rien ne vous empêche de prendre le choix volontaire de l’être, même si c’est improbable. Si tel était le cas, ce ne sera pourtant plus la même tristesse puisqu’elle ne vous sera pas imposée par un autre. L’aliénation volontaire n’est plus l’aliénation. Dans le : « Je peux t’aimer, ou ne pas t’aimer, ou t’aimer », vous êtes dans un accroissement de liberté.

10. Renoncement aux dichotomies / Notion d’inclusion des contraires


Continuons notre aventure. Dans ce nouveau monde, rien n’est ni mal ni bien. Le mal est contenu dans le bien, ou inversement, le blanc dans le noir, ou inversement comme dans les symboles yin et yang, on trouve un point de yin dans le yang et inversement. A un moment de sa vie, on y reviendra, le pire en nous peut être nécessaire car il possède aussi ses atouts. La sauvagerie, un jour honnie, peut un autre jour devenir salvatrice.

11. Le détachement / L’intégration de la perte

Dans ce choix d’être toujours bien, de pouvoir être ou ne pas être ou être, atteignez- vous un état d’indifférence ? Oui, et non. Vous pouvez être d’autant plus présent que vous n’êtes plus encombré de rien. Vous pouvez rester bloqué sur une position, dans un stade de votre vie, et l’avoir dépassé en même temps. Je vais vous citer l’exemple d’un de mes patients : il écoute aujourd’hui, sur France Culture, à 12 h 30, une émission qui s’appelle La Grande Table. À ce moment-là, dit-il, il songe toujours que jadis, et encore maintenant pour lui, il écoutait Panorama, excellente émission qui a duré plus de trente ans sur ce même créneau horaire. Au lieu de se dire, comme il le faisait ainsi que beaucoup de personnes âgées, que c’était mieux avant et qu’il ne peut pas s’adapter, il peut aujourd’hui être dans l’émission actuelle, et dans la précédente, et dans celle-ci qui forcément n’est plus la même. Au lieu d’inventer un problème, il est dans son dépassement avant même qu’il ne se pose, ou pendant et après, tout à l’écoute de ce qui se passe aujourd’hui, et hier.
Pour parler savamment, il a une écoute polysémique, sur plusieurs niveaux et sens. De quelque chose qui pourrait le rétrécir, il sort grandi. Revenons à l’indifférence ou, plus joliment, au détachement. Dans le choix d’aimer ou de ne pas aimer, vous êtes dans la pièce qui pivote, ni pile ni face. La perte est intégrée quand vous vous sentez assez fort pour vivre sans l’autre, si besoin était. Quel superbe et nouveau détachement ! Vous pouvez être tout à votre plaisir puisque s’il n’est pas, ce n’est pas grave. Vous êtes dans le pile et le face, en tranquille mouvement. Rien n’est jamais grave si vous vous y adaptez. On est un peu dans le détachement bouddhiste qui permet de supporter la perte des biens et des êtres chers autant qu’il invite à cesser de croire que la réalité nous détermine.

12. Principe d’incertitude / Observer sans juger

Dans votre nouvel état de bien-être, ou de mieux-être, qui s’installe soudain comme s’il était ancien, vous allez savoir observer sans juger. Ça ne va pas de soi puisque, on l’a vu, on juge a priori avant même de penser. N’allez pas contre nature, c’est impossible. Vous la laissez aller, comme une vague de douleur qui monte, puis qui va redescendre. Aucune vague ne reste en suspens. Votre démarche sera toujours la même : vous jugez, puisque vous ne pouvez pas faire autrement, puis vous ne jugez plus (vous observez sans juger), puis vous jugez si cela vous apporte quelque chose de positif au niveau de votre ouverture à autrui. S’ouvrir à l’autre est avant tout s’ouvrir à soi. Prenons un exemple : vous attendez un coup de fil d’un ami. Il ne vient pas. Vous avez autant de chances d’émettre des hypothèses vraies ou fausses. « Il ne m’aime plus, il a eu un accident…» Restez au fait. Vous n’avez pas eu de coup de fil. La raison s’éclairera par la suite. Une patiente, à qui je proposai de m’envoyer des mails me demanda « Qu’allez-vous penser si j’en envoie ou non ? Serait- ce bien ou mal ? » Je lui répondis que je ne penserai rien, je constaterai seulement que je ne reçois pas de mails. C’est tout. Il est des moments pour savoir, et d’autres pour ne pas savoir.

13. Ne jamais céder (sans chercher à être le plus fort)

Je vous invite à ne jamais céder, sans pour autant vouloir être le plus fort. D’abolir la notion de conflit. Pour qu’un conflit existe, extérieur ou à l’intérieur de vous, il faut que deux parties s’opposent. Or nous savons qu’il n’y a pas de réalité. Si quelqu’un affirme une idée, même si elle nous paraît aberrante, cette proposition correspond à sa réalité selon son désir, son humeur, son histoire… Il a ses raisons. Vous acceptez, avec lui, qu’il soit dans sa réalité. Dans le même mouvement, vous suggérez que vous pouvez avoir une autre vision et que cela n’est pas un problème. Donc il n’y a pas de conflits. Vous êtes dans deux réalités. « Tu vois ceci, et moi cela. C’est parfait. » Sans tension, des voies vont s’ouvrir, des pistes. Vous allez réfléchir sur un problème comme s’il était extérieur. Teresa Robles, hypnothérapeute mexicaine, parlent des « chemins qui ont du cœur ».

14. La fantaisie du pire / approche du couple


Votre choix d’être bien, votre nouveau choix, ce si possible impossible nouveau choix en train de s’incruster en vous, « bien », un seul mot, « bien », commence à guider vos pas. Tout se renverse. Le pire, toujours présent et probable, devient impossible. Suivons vos anciennes peurs comme un archéologue remonterait le temps. Vous ne vous entendez pas avec votre conjoint. C’est un exemple. Rien ne vous oblige à rester avec lui. Si vous restez, c’est que vous y trouvez un intérêt, affectif, financier, sécuritaire… Si vous restez, au lieu de partir, regardez-le d’un autre œil, avec ce qu’il vous apporte et non avec ce qu’il vous enlève, puisque vous pouvez partir. Si vous partiez, que se passerait-il ? Vous vivriez avec moins d’argent ? Vous seriez seul(e) ? Vos enfants seraient déchirés ? Quand vous êtes serein dans votre choix d’être bien, ou le mieux possible, rien n’est un problème. On peut vivre avec moins d’argent. Si vous êtes bien dans votre peau, ce qui est votre choix, vous attirerez de nouvelles personnes, si vous le désirez. Sans le chercher, cela arrivera simplement car tous vont vers des personnes ouvertes, bien dans leur esprit et leur corps, comme le tournesol tend vers le soleil. Ils auront besoin de vous.

THIERRY ZALIC
Psychologue clinicien, hypnothérapeute, écrivain. Trente ans de thérapies orientées non solutions, de type psychanalytique, avant d’être formé par Claude Virot (Hypnose et thérapies brèves, Centre Émergences, Rennes).
Membre de l’ESH (European Society of Hypnosis). Intégration d’autres approches, quantique, Zen, ayurvédique, PNIE. Exerce en institution, ITEP (hypnose, systémie ; ateliers CNV, Wellness, Maître du Zen) et en libéral à Alençon (Orne).


Edito du Dr Thierry SERVILLAT: FORMIDABLE ANTHROPOCÈNE.
Bien que controversée, l’idée que nous entrerions dans une nouvelle période géologique dont la caractéristique serait d’être principalement déterminée par l’action de l’homme – période de ce fait appelée Anthropocène – cette idée a l’avantage, en ce début d’année, d’ouvrir ceux de nos yeux qui n’étaient pas déjà ouverts à cette réalité. Pour certains spécialistes, la date de ce changement d’époque serait celle de l’invention de la machine à vapeur : 1784. Coïncidence amusante : ce fut aussi l’année du rapport royal sur le magnétisme animal qui, s’il aboutit à la condamnation de ce dernier, fonda surtout la médecine et la thérapie par l’imagination que nous pratiquons aujourd’hui avec nos patients !

Dissoudre la douleur ? Sophie COHEN
Bien choisir le solvant. Aux confins de l’hypnose et des thérapies méditatives, Sophie Cohen montre comment la douleur peut être dissoute si nous sommes attentifs à ajuster notre posture. Un texte dans la continuité du travail de la grande thérapeute solutionniste Insoo Kim Berg. Soluble ? Comme un comprimé effervescent ? Oui, presque. Et si c’était possible ? Pourquoi pas ? C’est une idée tentante, qu’en pensez-vous ? Soluble, d’accord et soluble dans quoi ? C’est justement cela qu’il convient d’identifier.

Improviser l'hypnose en addictologie
Par Pascal VESPROUMIS 
Avec Jean-Mathias PETRI (flûtiste, compositeur et improvisateur) et Maurice LE MOUNIER. Il y a encore 10 ans, il était fréquemment dit que l’hypnose n’apportait aucun bénéfice dans le traitement des pharmacodépendances. C’était sans compter avec l’inventivité de thérapeutes tels Pascal Vesproumis qui développe une démarche exploratoire avec l’aide d’artistes. Ici en l’occurrence un flûtiste improvisateur. En préambule : « Certes, le cannabis peut agir comme anxiolytique, anesthésiant de la pensée, et comme stabilisateur de l’humeur limitant les grands accès de colère et les mouvements dépressifs. Mais ce gel de la pensée devient une véritable hibernation de l’imagination et de la mémoire de fixation limitant ainsi les capacités de compréhension du patient.

Le saut hors du piège à mouches. Pr Gérard LAVOIE
VERS UN TOUT NOUVEL ASPECT DES CHOSES ! 

Comment sortir d’un problème ? A cette question banale, Gérard Lavoie, professeur en sciences de l’éducation au Québec, développe en la prolongeant la réflexion de Ludwig Wittgenstein sur la notion de « changement d’aspect ». Un texte très intégratif qui éclaire tant la pratique hypnotique que celle des thérapies brèves stratégiques, solutionnistes et narratives ! Pour faire le saut hors du cadre piégeant d’un problème, le philosophe Ludwig Wittgenstein propose la voie du changement d’aspect.

Un protocole hypnotique pour l'arrêt du tabac. Dominique MEGGLÉ
Décider ce qui est bon. Autre illustration de l’intérêt actuel de l’hypnose en addictologie, cette manière de faire de Dominique Megglé pour aider ses patients à arrêter de fumer. Manière qu’il appelle protocole, mais ne soyons pas dupes : un protocole multidirectionnel bien loin des arbres décisionnels de l’Evidence Based Medecine !
PETITE HISTOIRE D’UN PROTOCOLE. Il y a une dizaine d’années, il a commencé à se savoir dans la population que l’hypnose pouvait aider au sevrage tabagique.

Pour l’altruisme. Dr Thierry Servillat, Rédacteur de la Revue Hypnose & Thérapies Brèves
Bien souvent la notion d’altruisme nous fait penser à quelque chose de naïf, et donc de dangereux. A moins que cette bonté envers les autres, nous la considérions comme un devoir. Faire la « bonne action » qui justifierait notre existence, qui la ferait prolonger dans une sorte de marché avec la divinité, avec la Vie. Matthieu Ricard est loin de cette conception. Devenu moine bouddhiste immédiatement après avoir terminé sa thèse de biologie avec le Nobel François Jacob, il travaille depuis de nombreuses années avec des chercheurs qui souhaitent mieux comprendre les effets neurocérébraux de la méditation. Notamment de deux types particulièrement importants que sont la méditation sur l’amour altruiste et celle sur la compassion.

"Ça m’étonnerait !" Dr Stefano COLOMBO Quiprocquo, Malentendu et Incommunicabilité 32
Les Fêtes de fin d’année sont déjà bien lointaines. Et pourtant les murs de beaucoup d’appartements et de maisons résonnent encore de cette extraordinaire phrase : “ Ça m’étonnerait ! ”Elle a un timbre si marqué qu’elle est obligatoirement suivie du point exclamatif. Vous n’allez quand même pas imaginer une telle phrase, chaque fois prononcée avec une conviction sans égale, se terminer avec un misérable petit point. Non ! Il lui faut le point exclamatif. Et si je pouvais le mettre en majuscule, je n’hésiterais pas une seconde. Ça m’étonnerait que vos tapisseries, vos tapis, vos plafonds ne soient pas enrichis, inondés, envahis voire saturés par ce refrain : “ Ça m’étonnerait ! ”. Avez-vous l’impression de lire une affirmation qui ne vous concerne pas ? Eh bien, vous avez tort.

2014 verra-t-elle la fin d’un paradigme ? Antoine BIOY
La fin de l’année 2013 a été marquée par une recrudescence des évaluations « Evidence Based Medecine » en hypnose. Par exemple, Dickson-Spillmann et collaborateurs (2013) montrent qu’une séance unique d’hypnothérapie permet de maintenir un comportement d’abstinence chez 15% des fumeurs (évaluation à 6 mois). Un niveau de résultat assez habituel dans les méta-analyses depuis plusieurs années, et qui flirte avec la moyenne des méthodes alternatives et complémentaires, comme le montre une nouvelle étude portant sur près de 55000 patients (Hamm et al, 2013) : toutes méthodes MAC (« médecines alternatives et complémentaires ») confondues, on est aux alentours de 15% de réussite pour le sevrage tabagique.


Un maître de l’observation créative : Jean-Martin Charcot
Entretien de Catherine BOUCHARA par Thierry SERVILLAT.
Je connaissais déjà un peu le travail que Catherine Bouchara, psychiatre et hypnothérapeute parisienne, entreprenait sur Charcot car j’avais vu son film il y a deux ans lors de l’Université d’été organisée par Patrick Bellet à Vaison la Romaine. A l’occasion de la sortie de son livre, Catherine a bien voulu m’accorder un entretien. Thierry : Catherine, cela fait plusieurs années que, en plus de ton exercice libéral en cabinet, ainsi qu’à la Salpêtrière, tu travailles assidument pour parvenir à la réalisation de ce livre magnifique. Comment l’idée de travailler sur Charcot t’est-elle venue ?


Rédigé le 24/03/2014 modifié le 25/03/2014
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Dr Thierry SERVILLAT, Psychiatre, Ancien Président de la Confédération Francophone d'Hypnose et… En savoir plus sur cet auteur


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