Psychiatre exerçant dans un EPSM, je suis confrontée régulièrement à des personnes qui vivent des états dissociatifs trouvant leur origine dans des événements antérieurs.
Dans mon expérience, 70 à 80 % des patients hospitalisés en psychiatrie sont porteurs de dissociations qui sont parfois en cascades (pouvant se situer à différents âges ou/et avec des dissociations étagées, couches par couches, qui rendent la résolution complexe).
Souhaitant partir de cas concrets pour communiquer sur une technique qui permet une résolution intéressante, je débouche sur une discussion dont je n’avais pas à l’origine envisagé la portée.
A vous de juger.
Cas n°1
Madame X. vient me voir, envoyée par la psychologue du service : elle a été victime, très jeune et durant plusieurs années, d’inceste perpétré par son père. Après un travail d’approche assez long avec la psycho, elle se sent prête à un abord du trauma utilisant la technique des mouvements oculaires.
Il s’agit d’une patiente très calme, semblant bien gérer, utilisant la méditation.
Je lui explique l’aspect un peu technique du travail. Je commence par installer un lieu sûr dynamique (HTSMA). Nous commençons ensuite à déprogrammer le trauma, mais la patiente ne parvient pas à se mettre à distance; cela l’absorbe complètement, lui ramenant des sensations physiques insupportables. Nous terminons la séance en revenant au lieu sûr installé au début de la séance, sans avoir réussi à avancer.
Lorsqu’elle revient, elle dit toute la difficulté de la consultation précédente et nous décidons de travailler dans un premier temps à renforcer toutes les relations sécurisantes qu’elle a connues dans sa vie.
Elle lit également le livre de Reynaldo Perrone et Martine Nannini, Violence et abus sexuels dans la famille, qui lui permet de se faire une idée plus précise des mécanismes d’emprise.
Les personnes abusées jeunes et durant un temps long développent une incapacité à dire non: elles ne disent pas oui mais ne peuvent refuser, elles s’interrogent très souvent sur leur absence de réaction et s’en sentent coupables (« Pourquoi est-ce que je n’ai rien dit ? »).
Ce livre décrit très bien comment se construit le piège de l’abuseur, et comment la victime se trouve engluée dans sa toile. Elles peuvent ainsi, en comprenant le processus de l’emprise, rendre la responsabilité de l’abus à celui qui l’a commis et lâcher progressivement leur culpabilité. Les témoignages contenus dans ce livre les aident aussi à se sentir moins isolées face au trauma. Elles décryptent plus facilement les tentatives de mise en œuvre de ce type de communication, lorsqu’elles y sont soumises.
Nous travaillons à améliorer (par le sabotage thérapeutique, les alternatives illusoires, l’humour, etc.) les relations un peu difficiles qu’elle entretient avec certaines personnes de son entourage, notamment sa mère qui tente de l’envahir, et sa fille aînée avec qui les disputes sont nombreuses.
A la séance suivante, elle arrive en me disant que certaines scènes lui reviennent, que la petite fille en elle se plaint de ne pas être entendue et de devoir porter seule le trauma. Elle est prête à travailler dessus.
Je lui propose d’utiliser la technique de Rossi dont elle a déjà bénéficié. Elle met dans une de ses mains tout ce qu’elle est en tant que « femme adulte », toutes ses ressources et compétences, toute sa capacité à gérer et « di-gérer ». Des consignes de bienveillance et de protection lui sont données, avec la possibilité d’évacuer l’excès de tensions et d’émotions par son gros orteil droit ou son gros orteil gauche (alternative illusoire dont elle me dira qu’elle l’a bien servie). Elle met dans l’autre main, lorsqu’elle est prête, la petite fille – mais seulement les choses positives et elle peut laisser le reste.
A un moment, je lui propose de faire du « taping » (mouvement alternatif de tapotement sur les genoux qui permet de reconnecter, ici, deux parties séparées au moment du trauma) sur ses genoux, pour aider à la fusion des deux parties. Elle accepte. Je lui demande alors de prendre la petite dans ses bras, de la remercier de tout ce qu’elle a porté pour leur permettre de survivre au traumatisme, et de l’assurer que dorénavant elles géreront ensemble.
La séance se termine, ma patiente est souriante et émue, moi aussi. Comment ne pas être touché par ce processus de réappropriation de soi…
Elle part en me disant qu’elle sent le processus au travail, et que les choses vont continuer à changer. Elle ne présente aucune angoisse.
Lors de la séance suivante, sa présentation a changé : elle est plus ouverte, plus assurée. Elle est attentive aux modifications de son comportement: davantage de positionnement, affronte plus le conflit. Elle me dit avoir contacté une partie « d’avant l’abus ».
Elle est plus consciente de ce qu’elle a subi et cela lui fait moins peur. Elle se revoit très jeune (environ 2 ans), allongée sur un couvre-lit dont les dessins la hantent.
Nous poursuivons ce travail de « pont » durant quatre séances, avec comme résultat une disparition des moments de « flottements » et de « trous noirs ». (Dans la nomenclature classique, elle serait qualifiée d’« état limite »).
Durant ce temps, une difficulté sexuelle surgit avec son ami à cause d’un geste qu’elle refuse une première fois et qu’il répète, entraînant une réaction de prostration.
Elle en est bouleversée. Elle craint pour l’intégrité de son couple. Nous faisons une séance d’HTSMA : elle rassemble tout le ressenti émotionnel en lien avec cet incident (écho sans doute du vécu traumatique) et le dépose dans sa main. La technique des mouvements oculaires, couplée avec l’externalisation, permet un apaisement et un retour vers un état stable. Sa relation de couple se poursuit sans heurts.
Un deuil soudain la frappe alors, qui devient notre axe de travail prioritaire. Sa tendance à se dissocier et à s’isoler s’est réactivée avec ce drame (elle a perdu son fils de 16 ans). Elle fait le lien avec son vécu traumatique infantile. Nous faisons une séance pour « dire au revoir ». Elle parvient à se reconnecter à son chagrin et à accepter de le partager avec ses proches (sa mère ne l’avait pas crue lors du dévoilement de l’abus et lui en avait fait porter la responsabilité quelques années plus tard lorsqu’elle avait surpris son mari et sa fille au lit).
Elle sait qu’elle a besoin de temps pour faire son deuil. La bonne relation qu’elle avait réussi à établir récemment avec son fils lui donne de la force: ils s’étaient retrouvés.
Dans mon expérience, 70 à 80 % des patients hospitalisés en psychiatrie sont porteurs de dissociations qui sont parfois en cascades (pouvant se situer à différents âges ou/et avec des dissociations étagées, couches par couches, qui rendent la résolution complexe).
Souhaitant partir de cas concrets pour communiquer sur une technique qui permet une résolution intéressante, je débouche sur une discussion dont je n’avais pas à l’origine envisagé la portée.
A vous de juger.
Cas n°1
Madame X. vient me voir, envoyée par la psychologue du service : elle a été victime, très jeune et durant plusieurs années, d’inceste perpétré par son père. Après un travail d’approche assez long avec la psycho, elle se sent prête à un abord du trauma utilisant la technique des mouvements oculaires.
Il s’agit d’une patiente très calme, semblant bien gérer, utilisant la méditation.
Je lui explique l’aspect un peu technique du travail. Je commence par installer un lieu sûr dynamique (HTSMA). Nous commençons ensuite à déprogrammer le trauma, mais la patiente ne parvient pas à se mettre à distance; cela l’absorbe complètement, lui ramenant des sensations physiques insupportables. Nous terminons la séance en revenant au lieu sûr installé au début de la séance, sans avoir réussi à avancer.
Lorsqu’elle revient, elle dit toute la difficulté de la consultation précédente et nous décidons de travailler dans un premier temps à renforcer toutes les relations sécurisantes qu’elle a connues dans sa vie.
Elle lit également le livre de Reynaldo Perrone et Martine Nannini, Violence et abus sexuels dans la famille, qui lui permet de se faire une idée plus précise des mécanismes d’emprise.
Les personnes abusées jeunes et durant un temps long développent une incapacité à dire non: elles ne disent pas oui mais ne peuvent refuser, elles s’interrogent très souvent sur leur absence de réaction et s’en sentent coupables (« Pourquoi est-ce que je n’ai rien dit ? »).
Ce livre décrit très bien comment se construit le piège de l’abuseur, et comment la victime se trouve engluée dans sa toile. Elles peuvent ainsi, en comprenant le processus de l’emprise, rendre la responsabilité de l’abus à celui qui l’a commis et lâcher progressivement leur culpabilité. Les témoignages contenus dans ce livre les aident aussi à se sentir moins isolées face au trauma. Elles décryptent plus facilement les tentatives de mise en œuvre de ce type de communication, lorsqu’elles y sont soumises.
Nous travaillons à améliorer (par le sabotage thérapeutique, les alternatives illusoires, l’humour, etc.) les relations un peu difficiles qu’elle entretient avec certaines personnes de son entourage, notamment sa mère qui tente de l’envahir, et sa fille aînée avec qui les disputes sont nombreuses.
A la séance suivante, elle arrive en me disant que certaines scènes lui reviennent, que la petite fille en elle se plaint de ne pas être entendue et de devoir porter seule le trauma. Elle est prête à travailler dessus.
Je lui propose d’utiliser la technique de Rossi dont elle a déjà bénéficié. Elle met dans une de ses mains tout ce qu’elle est en tant que « femme adulte », toutes ses ressources et compétences, toute sa capacité à gérer et « di-gérer ». Des consignes de bienveillance et de protection lui sont données, avec la possibilité d’évacuer l’excès de tensions et d’émotions par son gros orteil droit ou son gros orteil gauche (alternative illusoire dont elle me dira qu’elle l’a bien servie). Elle met dans l’autre main, lorsqu’elle est prête, la petite fille – mais seulement les choses positives et elle peut laisser le reste.
A un moment, je lui propose de faire du « taping » (mouvement alternatif de tapotement sur les genoux qui permet de reconnecter, ici, deux parties séparées au moment du trauma) sur ses genoux, pour aider à la fusion des deux parties. Elle accepte. Je lui demande alors de prendre la petite dans ses bras, de la remercier de tout ce qu’elle a porté pour leur permettre de survivre au traumatisme, et de l’assurer que dorénavant elles géreront ensemble.
La séance se termine, ma patiente est souriante et émue, moi aussi. Comment ne pas être touché par ce processus de réappropriation de soi…
Elle part en me disant qu’elle sent le processus au travail, et que les choses vont continuer à changer. Elle ne présente aucune angoisse.
Lors de la séance suivante, sa présentation a changé : elle est plus ouverte, plus assurée. Elle est attentive aux modifications de son comportement: davantage de positionnement, affronte plus le conflit. Elle me dit avoir contacté une partie « d’avant l’abus ».
Elle est plus consciente de ce qu’elle a subi et cela lui fait moins peur. Elle se revoit très jeune (environ 2 ans), allongée sur un couvre-lit dont les dessins la hantent.
Nous poursuivons ce travail de « pont » durant quatre séances, avec comme résultat une disparition des moments de « flottements » et de « trous noirs ». (Dans la nomenclature classique, elle serait qualifiée d’« état limite »).
Durant ce temps, une difficulté sexuelle surgit avec son ami à cause d’un geste qu’elle refuse une première fois et qu’il répète, entraînant une réaction de prostration.
Elle en est bouleversée. Elle craint pour l’intégrité de son couple. Nous faisons une séance d’HTSMA : elle rassemble tout le ressenti émotionnel en lien avec cet incident (écho sans doute du vécu traumatique) et le dépose dans sa main. La technique des mouvements oculaires, couplée avec l’externalisation, permet un apaisement et un retour vers un état stable. Sa relation de couple se poursuit sans heurts.
Un deuil soudain la frappe alors, qui devient notre axe de travail prioritaire. Sa tendance à se dissocier et à s’isoler s’est réactivée avec ce drame (elle a perdu son fils de 16 ans). Elle fait le lien avec son vécu traumatique infantile. Nous faisons une séance pour « dire au revoir ». Elle parvient à se reconnecter à son chagrin et à accepter de le partager avec ses proches (sa mère ne l’avait pas crue lors du dévoilement de l’abus et lui en avait fait porter la responsabilité quelques années plus tard lorsqu’elle avait surpris son mari et sa fille au lit).
Elle sait qu’elle a besoin de temps pour faire son deuil. La bonne relation qu’elle avait réussi à établir récemment avec son fils lui donne de la force: ils s’étaient retrouvés.
Cas n°2
Madame Y. est hospitalisée car elle se dit déprimée. Elle présente depuis qu’elle est enfant des « pulsions » suicidaires qui l’amènent à essayer de se tuer alors, dit-elle, qu’elle ne souhaite pas mourir. Ces derniers temps, elle a de plus en plus de mal à y échapper, et cela lui pourrit la vie. Lorsqu’elle va bien, ces « pulsions » ne se présentent pas: elle est joyeuse et vit normalement.
Sa technique pour ne pas passer à l’acte est de se dire que, de toute façon, elle ne réussira pas sa tentative. Elle a perdu ses parents très jeune, et sa grand-mère, qui s’occupait beaucoup d’elle, s’est suicidée alors qu’elle avait 4 ans et demi.
Elle a déjà été traitée par hypnose et pense que cela lui avait bien convenu. Durant le premier entretien, chaque fois que de l’émotion se présente, j’utilise quelques mouvements oculaires pour la faire diminuer.
Je lui propose pour le second entretien d’utiliser la technique de Rossi pour fusionner la « petite » de 4 ans et demi et l’adulte qu’elle est aujourd’hui et qui est capable de gérer sa vie et ses émotions. Cette technique utilise les mains du sujet comme réceptacle. Elle permet une dissociation rapide. Elle met, par le biais des mains, une grande partie du cerveau au travail, augmentant les chances de résolution. Elle allie le mouvement au travail psychique : « Les mains peuvent monter ou descendre au fur et à mesure qu’elles se remplissent » (encore une alternative illusoire).
Je prends les mêmes précautions oratoires : « Toujours de manière bienveillante et protégée, ce qui est utile pour réaliser ce travail, ne prendre que les bonnes choses et laisser le reste, laisser le trop-plein d’émotion ou de tension s’échapper par le gros orteil droit ou le gros orteil gauche. »
Quelques larmes s’écoulent des yeux fermés de Madame Y. Je lui propose de faire du « taping » pour aider la reconnexion, de prendre la « petite » dans ses bras, de la remercier pour avoir porté ce qui était difficile et de l’assurer que l’adulte qu’elle est va, maintenant, la protéger et gérer les choses avec elle.
La patiente sort apaisée de l’entretien, le lendemain elle me dit avoir passé une très bonne journée et souhaiter que cela se poursuive.
Madame Y. est hospitalisée car elle se dit déprimée. Elle présente depuis qu’elle est enfant des « pulsions » suicidaires qui l’amènent à essayer de se tuer alors, dit-elle, qu’elle ne souhaite pas mourir. Ces derniers temps, elle a de plus en plus de mal à y échapper, et cela lui pourrit la vie. Lorsqu’elle va bien, ces « pulsions » ne se présentent pas: elle est joyeuse et vit normalement.
Sa technique pour ne pas passer à l’acte est de se dire que, de toute façon, elle ne réussira pas sa tentative. Elle a perdu ses parents très jeune, et sa grand-mère, qui s’occupait beaucoup d’elle, s’est suicidée alors qu’elle avait 4 ans et demi.
Elle a déjà été traitée par hypnose et pense que cela lui avait bien convenu. Durant le premier entretien, chaque fois que de l’émotion se présente, j’utilise quelques mouvements oculaires pour la faire diminuer.
Je lui propose pour le second entretien d’utiliser la technique de Rossi pour fusionner la « petite » de 4 ans et demi et l’adulte qu’elle est aujourd’hui et qui est capable de gérer sa vie et ses émotions. Cette technique utilise les mains du sujet comme réceptacle. Elle permet une dissociation rapide. Elle met, par le biais des mains, une grande partie du cerveau au travail, augmentant les chances de résolution. Elle allie le mouvement au travail psychique : « Les mains peuvent monter ou descendre au fur et à mesure qu’elles se remplissent » (encore une alternative illusoire).
Je prends les mêmes précautions oratoires : « Toujours de manière bienveillante et protégée, ce qui est utile pour réaliser ce travail, ne prendre que les bonnes choses et laisser le reste, laisser le trop-plein d’émotion ou de tension s’échapper par le gros orteil droit ou le gros orteil gauche. »
Quelques larmes s’écoulent des yeux fermés de Madame Y. Je lui propose de faire du « taping » pour aider la reconnexion, de prendre la « petite » dans ses bras, de la remercier pour avoir porté ce qui était difficile et de l’assurer que l’adulte qu’elle est va, maintenant, la protéger et gérer les choses avec elle.
La patiente sort apaisée de l’entretien, le lendemain elle me dit avoir passé une très bonne journée et souhaiter que cela se poursuive.