Peurs traumatiques, peurs anticipatoires. Hors-Série Peurs et Phobies n°15 de la Revue Hypnose & Thérapies Brèves

Cet article vous propose d’aborder la spécificité des peurs anticipatoires par rapport au psychotraumatisme.



© Maya Vincent
Ce sujet m’a demandé des années de travail. Il peut s’articuler autour de quelques idées simples. La peur est une de nos émotions princeps. Elle accompagne la prise de conscience d’un danger, d’une menace dans une situation réelle. Si elle est ajustée, elle va nous permettre de répondre de manière adaptée à la situation, que ce soit par le combat, l’évitement ou le figement. Si la peur s’accompagne d’un stress qui déborde notre mise en action, alors l’intensité de cette peur va nous envahir. Nous allons faire l’expérience de nous noyer dans cette peur et perdre le contrôle sur la situation. Nous parlerons alors de frayeur, d’effroi, d’horreur, de terreur, d’épouvante. Et là, nous entrons dans le psychotraumatisme. La répétition de situations qui créent des peurs intenses, surtout si elles sont imprévisibles, fait aussi le lit du monde traumatique.
Cette perte de contrôle peut activer les trois morts auxquelles est confronté l’humain : la mort physique, la mort sociale (l’exclusion) et la mort psychique (la folie). L’humain sait que la folie et l’exclusion peuvent amener des souffrances et des angoisses pires que celles de la mort. Dans les peurs anticipatoires, s’ajoute la question de la transmission : je ne veux pas que mes enfants vivent la même chose que moi. Pour faire simple, je vais illustrer la différence entre expérience psychotraumatique et peurs anticipatoires par une vignette clinique.

Vignette clinique

Il y a quelques années, j’avais reçu un convoyeur de fonds qui avait été victime quelques mois auparavant d’une attaque à main armée. Un des agresseurs lui avait braqué un revolver sur la tempe pendant plusieurs minutes où il s’est vu mourir. Depuis, il ne sortait plus de chez lui. Il restait le plus clair de son temps dans son lit. Il était très dissocié, dans la confusion, l’expression du regard vide. Il me disait qu’il avait des flashs ou il était ramené à la scène du braquage. Les bruits inhabituels dans son environnement avaient le même effet. Dans une connaissance de l’hypnose, nous pourrions dire que les déclencheurs l’amènent dans une expérience de régression en âge sur la scène traumatique. Après trois séances de réassociation, il allait beaucoup mieux. Il retrouvait plaisir à vivre. C’est alors que, sortant un peu plus de chez lui, les scènes de braquage sont revenues à son esprit. Après quelque temps de réflexion, car je ne comprenais pas ce qui se passait, je lui ai posé la question suivante : « Quand la scène du braquage revient à votre esprit, elle vous prend et vous ramène dans le passé ou cette scène est là devant vous ? » Sa réponse a été immédiate : « Non, je la vois devant moi. Et il ajoute : c’est étrange, c’est comme si c’était un voile qui se déchire. »

Par sa réponse, j’ai compris qu’il ne s’agissait plus du trauma mais de peurs anticipatoires. Et là je me suis dit : évidemment, s’il continue à s’améliorer va se poser la question de son retour au travail. De plus dans les décours du braquage, il avait eu le sentiment, à tort ou à raison, de n’être que « de la chair à canon » pour sa direction. Il se retrouvait dans la peur d’être contraint à retourner à son travail au risque de revivre une situation semblable. Nous avons bien sûr travaillé dans cette direction, ce qui l’a amené à réorienter sa vie professionnelle. Nous pourrions dire que le psychotraumatisme attaque le lien humain d’une manière telle que le présent est infiltré par les expériences négatives passées. La peur anticipatoire porte sur l’autonomie. Il s’agit de la peur de revivre dans le futur des événements semblables aux expériences passées traumatiques. Cette peur ne va plus porter sur le contact direct avec l’expérience réelle, mais sur la représentation de cette expérience sous forme d’images, de pensées, de comportements. Cette peur sur les représentations va être à la base des troubles phobiques, obsessionnels, voire se constituer en pathologies névrotiques avec conduites de réassurance.

Cette peur de revivre dans le futur des événements semblables aux expériences passées traumatiques repose sur la peur de revivre les mêmes effets dans la même inhibition à faire face. Cette action inhibée concentre la rupture du lien humain et cette expérience de ne plus être rien. Dans l’autonomie, c’est aussi l’action désirée et interdite : celle qui remet la personne comme personne humaine actrice et autrice de sa vie. Cela rejoint les idées de Pierre Janet comme quoi l’inhibition de l’action fait le lit de la névrose. Nous pourrions y ajouter qu’il ne s’agit pas de n’importe quelle action. Il s’agit de celle qui, par sa réalisation, révèle un « j’existe comme être humain parmi les humains dans le mouvement de la vie ».

Voici le script d’une séance avec Y., une patiente elle-même soignante. Elle avait déjà un long parcours de thérapie en lien avec une enfance insécure. Elle se présente à la fois dans une attitude volontaire et en même temps son corps est en tension. Je perçois qu’à la fois elle se montre motivée pour s’engager et qu’en même temps elle appréhende. Je vous propose, pour lire le script, de vous imaginer dans une pièce avec Y. (la patiente) et Th. (le thérapeute). Le questionnement de Th. a pour but de l’aider à entrer dans le monde de Y., à sécuriser la relation et à contextualiser de manière de plus en plus précise la scène qui contient la séquence en lien avec la peur. Nous utiliserons deux modélisations spécifiques à la thérapie du lien et des mondes relationnels, la nouvelle appellation de l’HTSMA : l’expérience sécure et la modélisation des peurs anticipatoires.

- Th. : « Bonjour Y., pouvez-vous nous dire ce qui vous a amenée à prendre rendez-vous avec moi aujourd’hui ?
- Y. : Bonjour, j’ai déjà fait une thérapie pour me libérer de mon passé. Aujourd’hui je vais mieux mais je continue à avoir peur en voiture. Mon amie m’a dit que vous pourriez m’aider.
- Th. : Quand vous me dites : “mon amie m’a dit que vous pourriez m’aider”, pouvez-vous me dire ce qui vous a amenée à faire confiance dans ce qu’elle vous a dit ?
- Y. : Parce qu’elle est venue vous voir. Je trouve qu’elle a plus confiance en elle. Alors, je me suis dit que vous pourriez m’aider... Ce questionnement préalable a pour but de rendre présent dans la séance la relation de confiance avec son amie et qu’elle puisse opérer comme une ressource pour le bon déroulement de la séance.
- Th. : Lorsque vous me dites : “je trouve qu’elle a plus confiance en elle”, est-ce que vous pouvez me dire quel lien vous faites avec : “je continue à avoir peur en voiture ?”.
- Y. : En fait, c’est quand je sais que je dois faire un long trajet et que quelqu’un d’autre doit conduire.
- Th. : Lorsque vous me dites : “quand je sais que je dois faire un long trajet et que quelqu’un d’autre doit conduire, alors j’ai peur en voiture ?”, c’est ça ?
- Y. :Voilà, c’est ça.
- Th. : Si je comprends bien, vous me dites : “je suis en voiture, il y a quelqu’un d’autre que moi qui conduit, et en même temps je sais que je dois faire un long trajet”. C’est bien ça ?
- Y. : Oui. Quand on va dans les Pyrénées ou en Espagne, ça fait 700 kilomètres.
- Th. : D’accord. Et à partir de combien de kilomètres, pour vous, c’est un long trajet ?
- Y. : Euh... Un silence s’installe. Y. réfléchit. J’attends tranquillement sa réponse comme le processus d’externalisation prend forme : je commence à visualiser dans l’espace entre nous la voiture qui roule, partie pour un long trajet, Y. devant, à côté du conducteur.
- Y. : En fait, j’ai peur de ce qui pourrait se passer pendant ce trajet.
- Th. : Ah ! très bien. Et lorsque vous me dites : “j’ai peur de ce qui pourrait se passer pendant ce trajet”, vous avez peur de ce qui pourrait se passer pendant ce trajet ou vous imaginez ce qui pourrait se passer pendant ce trajet et vous avez peur de ce que vous imaginez ?
- Y. : J’ai peur de ce que j’imagine.
- Th. : Ah ! d’accord. Maintenant, nous savons que sa peur porte sur ce qu’elle imagine et anticipe.
- Th. : Là où nous en sommes maintenant, est-ce que c’est acceptable pour vous que nous allions un peu plus loin ?
- Y. : Oui.
- Th. : Très bien, alors est-ce que vous pouvez nous dire ce que vous imaginez ?
Y. baisse la tête… puis la relève et me dit avec une voix tendue...
- Y. : En fait, j’ai peur de l’accident, j’ai peur de l’incontrôle des autres (mot qu’elle emploie), de ceux qui roulent comme des tarés. J’ai peur de l’agressivité, de comment ça pourrait se passer si, par exemple, un con - ducteur perd le contrôle.
- Th. : Donc si je comprends bien ce que vous êtes en train de nous dire, ce que vous imaginez, c’est l’incontrôle des autres, le conducteur qui pourrait perdre le contrôle ?
- Y. : Le contrôle pas forcément du véhicule, mais le contrôle de lui aussi ?
- Th. : Oui, c’est ça, il pourrait perdre le contrôle du véhicule ou le contrôle de lui-même.
- Y. : Oui, c’est ça. L’utilisation du « nous » a pour objet de nous amener à partager la même scène et à découvrir que sa peur est dans la perte de contrôle de la situation par le conducteur et par effet en retour de se retrouver en danger sans pouvoir agir.
- Th. : Et si je vous demande maintenant d’observer là, devant nous, dans la voiture qui roule, le conducteur perdre le contrôle du véhicule ou le contrôle de lui-même, qu’est-ce qu’il va falloir que le conducteur fasse et qui va vous faire dire... il perd le contrôle ?
- Y. : Comment je m’apercevrais qu’il perd le contrôle, c’est ça ?
- Th. :Voilà, à quoi ?
- Y. : Ben, une conduite inadaptée, il se met à crier ou il se met en danger et il me met en danger, puisque je suis dans la voiture avec lui.
- Th. : D’accord, une conduite inadaptée et il se met à crier... Se mettre à crier, c’est la première chose qui vous vient pour témoigner de cette conduite inadaptée ?
- Y. : Crier ou accélérer.
- Th. :Ah ! crier ou accélérer... et c’est quoi la première chose que vous observez, là, entre crier ou accélérer ?
- Y. : C’est plutôt l’accélération de la voiture.
- Th. : L’accélération, OK... et pour que la voiture accélère, il faut qu’il fasse quoi... le conducteur ?
- Y. : Qu’il soit en colère, qu’il soit énervé.
- Th. : D’accord...
Je garde un court silence pour nous permettre de nous focaliser encore un peu plus sur la scène, maintenant bien circonscrite, avant de demander...
- Th. : Comment ?
- Y. : Il appuie sur l’accélérateur (Y. fait le mouvement avec son pied).
- Th. : Il appuie sur l’accélérateur ou son pied appuie sur l’accélérateur ?
- Y. : Son pied. Je suis souvent en train de freiner moi aussi. Notre attention est maintenant centrée sur l’action qui est à la fois inhibée et désirée. Appuyer. Par effet mimétique, c’est elle qui est présente chez Y. Elle amène son corps à agir la contre-réaction de freiner dans l’impuissance. Nous allons pouvoir mettre en place et utiliser la modélisation des peurs anticipatoires.

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ERIC BARDOT Psychiatre, pédopsychiatre, psychothérapeute. Directeur de l’Institut Mimethys à Nantes. Concepteur de la thérapie du lien et des mondes relationnels (HTSMA). Vacataire au DU Hypnose à la Faculté de médecine de Nantes.


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Cet ouvrage de 228 pages permet de comprendre les contextes relationnels favorisant les peurs et les phobies. « Le thérapeute, souligne Julien Betbèze, rédacteur en chef, est invité à découvrir une clinique fine qui passe par la différenciation entre trauma et situation angoissante, entre angoisse d’anticipation sans trauma et angoisse d’anticipation post-traumatique. » Vera Likaj, coordinatrice de l’ouvrage, a pensé ce numéro dans une approche plurielle et collaborative : des outils différents, des sensibilités uniques dans des cliniques parfois bien singulières revisitant la peur avec des lunettes culturelles chaque fois nouvelles. 
« J’invite le lecteur, nous dit-elle, à parcourir les articles avec l’œil de l’anthropologue, curieux et discret, s’émerveillant des différences qui viennent nourrir toutes nos rencontres thérapeutiques. »

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Au sommaire : 
- Editorial : Peurs et phobies. L’hypnose comme levier de changement. Julien Betbèze
- Editorial : Et l’insouciance dans tout ça ? Vera Likaj
- Peurs traumatiques, peurs anticipatoires. Eric Bardot
- Peurs et risques psychosociaux au travail. Maxime Bellego
- Phobies. Et autres peurs ancrées. Jean-Marc Benhaiem
- Angoisse et hypnose en gériatrie. Jérôme Bocquet
- La peur de soi dans le processus de guérison. Pascale Chami
- La contrainte comme levier de changement ? Olivier Cottencin
- Croyances et anxiété. Yves Doutrelugne
- Faire corps avec la peur. La clinique de l’étrange. Nathalie Lampole
- Du lâche au héros. Revenir doucement à soi-même. Vera Likaj
- La peur de la peur. Retrouver des sensations qui nous guident. Emmanuel Malphettes
- Thérapie brève des phobies. Courtes réflexions. Dominique Megglé
- Peurs à l’école. Emmanuelle Piquet
- L’hypnose, un outil de gestion des phobies. Que nous apprend la recherche ? Audrey Vanhaudenhuyse et Marie-Elisabeth Faymonville
- Addictions et anxiété. David Vergriete


Tous les Hors-Séries de la Revue sont commandables sur le site www.hypnose-therapie-breve.org


Rédigé le 12/02/2022 modifié le 18/10/2024
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- Formateur en Hypnose Médicale, Ericksonienne et EMDR - IMO au CHTIP Collège Hypnose Thérapies… En savoir plus sur cet auteur


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