Une semaine à tout faire
Lundi matin, je fais une psychanalyse. Il est là, étendu sur le divan, et il associe, librement. Je suis derrière et je note, automatiquement. A la fin de la séance, nous sommes heureux tous les deux, lui parce que, ayant vaillamment combattu son Surmoi, il est arrivé à parler de son père autoritaire, moi parce qu’il m’a offert une transe amnésique. Nous nous apprécions et c’est bon pour commencer la semaine en douceur.
Lundi après-midi, on joue aux boules avec une dame. Elle a appris grâce à moi. Elle voulait devenir plus adulte, alors on a sorti les boules.
Sur le tableau Velleda, des tas de petites boules et de sous-boules correspondant aux Etats de son Moi, Parent, Adulte, Enfant, Enfant Adapté Rebelle, Parent dans l’Adulte ; et des tas d’autres boules correspondant aux Etats du Moi de ses partenaires dans la vie ; et des tas de flèches entre tout ça dans tous les sens : de séance en séance, elle analyse ses transactions ; de plus en plus de boules, de flèches et de sous-boules, et de séance en séance, nous nous enfonçons dans la confusion.
Mardi matin, j’ai l’air d’un gendre idéal avec chemise et costume Smalto, rehaussés du sourire énergique qui manifeste mon assertivité : je vais faire des TCC.
A 9 heures, c’est le deuxième C de TCC, « Comportementale ». La dame a peur de l’avion et nous parlons du crash du Rio-Paris. Il a fallu deux ans pour retrouver l’épave de l’Airbus au fond de l’Atlantique et personne n’a encore compris pourquoi il avait décroché.
Il a mis trois minutes et demie pour tomber parce qu’il était très haut. A l’école, les élèves pilotes apprennent des solutions d’urgence aux problèmes de portance en vol, mais on s’est rendu compte qu’elles les aggravaient plus qu’elles ne les résolvaient.
Dès lors, il y a plus de risque de crash avec un commandant qui a bien appris ses cours qu’avec un cancre. Le cancre sera plus intuitif. Il y en avait une pleine page dans Le Figaro que j’ai pu lire dans l’avion qui m’emmenait aux Antilles après avoir calmé la crise d’angoisse de ma voisine au décollage.
A 11 heures arrive le prof. Cet ancien déprimé ne veut pas rechuter. Il m’a demandé de le reprogrammer. Alors, je le reprogramme. D’abord, vérifier qu’il a bien son cahier jaune et qu’il a fait ses devoirs : ça va, tout est en ordre. Ensuite les questions, serrées. Il apprend vite, il approche de la découverte du postulat silencieux.
On y est : sa croyance d’être nul remonte au divorce des parents. Non, on n’y est pas : sa croyance d’être nul vient de la préférence de ses parents pour sa petite sœur. Bon, on s’arrête là, on prend l’histoire de la petite sœur, sinon qu’est-ce qu’on va trouver encore ? Il faut bien que la thérapie soit brève.
Alors aussitôt, modification du postulat silencieux, prise de notes sur le cahier jaune et renvoi à la maison avec travaux pratiques.
A l’heure du déjeuner, le Smalto rejoint la penderie et j’enfile le vieux tee-shirt avec Che Guevara dessus pour faire de la Gestalt l’après-midi.
Quand j’arrive, ils sont trois : un alcoolique, une lombalgique et une dame riche, strictement normale, mais qui veut du mieux-être. Je demande au premier de visualiser la descente de l’alcool dans son organisme jusqu’aux cellules périphériques, à la seconde d’augmenter sa douleur et à la troisième de nous parler de son hypertension artérielle.
Ensuite, je les confronte fermement : « A quoi cela te sert-il de continuer à boire, d’avoir mal au dos, d’être hypertendue ? » Cris et larmes garantis à la vingtième minute. Généralement, il leur faut une bonne demi-heure pour se calmer et trouver leurs solutions. La Gestalt thérapie est facile quand le cabinet est insonorisé.
Mercredi, c’est le jour des enfants et de la thérapie familiale. Par ses conseils, Marie remet ses parents dans le droit chemin. A ma demande, Denis, jeune clochardisé, s’allonge par terre, fait le mort et sa mère lui dit qu’elle accepte qu’il soit mort. Mais il y a aussi Benjamin, sa famille et leurs rapports avec « pipi sournois », l’influence que celui-ci a sur eux et eux sur lui. Nous décidons de lancer un défi à « pipi sournois » : chaque soir en se couchant, le petit mettra un verre d’eau glacée bien en évidence sur sa table de nuit et « pipi sournois » saura alors qui est le plus fort. Là, nous virons à la thérapie narrative.
Je passe sur l’incendie, le viol et l’accident de moto. C’est jeudi, c’est EMDR, enfin un genre amélioré d’EMDR. Produire les mouvements alternatifs avec les doigts est imprécis. Les alternances de stimulations n’ont pas un rythme vraiment régulier. En plus, à la longue, cette technique provoque des douleurs aux épaules. Nous avons besoin d’un outil ergonomique qui garantisse la régularité de la stimulation cyclique. Voilà pourquoi j’utilise un pendule. Je peux aussi chercher de l’eau avec.
Et vendredi, c’est boulimie. Elles sont trois. La première doit manger un éclair au chocolat avant chaque consultation et m’apporter le ticket de caisse. Elle commence à me haïr. La seconde devait faire délibérément trois crises de boulimie dans la semaine précédente et vient au rapport : elle n’arrive plus à se goinfrer. Je ne la félicite pas et je lui demande de s’appliquer à réussir les crises à l’avenir. Au contraire, je n’arrête pas d’applaudir la dernière pour toutes les fois dans sa vie où elle n’a pas été boulimique.
Ce vendredi-là, sa thérapie bascule définitivement vers la solution : « Imaginons que cette nuit, il y ait un miracle. Le problème a disparu par enchantement, totalement, d’un coup. Simplement, vous ne le savez pas parce que cela s’est passé pendant que vous dormiez. A votre réveil et dans la journée qui suit, à quoi saurez-vous que le miracle a eu lieu ? »
Evidemment, dans la semaine, il y a eu bien d’autres psychanalyses, TCC, Gestalt, Analyse transactionnelle, EMDR, thérapies narratives, stratégiques brèves, solutionnistes et familiales. Il y a eu aussi beaucoup d’hypnose : des accompagnements dans des bons souvenirs pour des timides, des régressions en âge pour des états-limites, des lévitations pour faire revenir des règles, des catalepsies pour supprimer des céphalées de tension, des hallucinations de sensations agréables dans des membres fantômes, des distorsions du temps chez des cancéreux algiques.
Mensonges ?
En entendant ce panorama de ma semaine, une question vous vient probablement :
- Est-ce que vous n’êtes pas en train de nous raconter des histoires ?
La réponse est :
- Oui, je vous raconte des histoires. En hypnose, on aime bien raconter des histoires.
Alors dialoguons, parce que vous me répondez :
- Mais ces histoires sont-elles vraies ? Est-il possible d’avoir une pratique pareille ? Faites-vous vraiment tout cela dans une semaine de consultation ? Sont-ce des mensonges ?
- Oui, ce sont des mensonges parce que je n’ai pas toute cette créativité, mais je voudrais bien l’avoir. Et non, ce ne sont pas des mensonges mais j’expliquerai plus tard.
- Mais si vous voulez tenter cet éclectisme fou, ne risquez-vous pas de vous transformer en touche-à-tout superficiel, faisant un peu de tout mais rien de sérieux, de profond ni de correct, ce qui constitue une perte de chances pour le patient ? Ne vaut-il pas mieux connaître à fond une forme de thérapie et l’appliquer avec rigueur ? Etre un bon psychanalyste, un bon TCC, un bon Gestaltiste, un bon hypnotiste ou un bon solutionniste, il faut choisir.
- Non, je refuse de choisir et je crois qu’on peut faire de tout sérieusement, correctement et profondément. Pour arriver à faire de tout, je suis seulement limité par mes rigidités. Watzlawick disait qu’il valait mieux que le thérapeute soit caméléon que Rocher de Gibraltar. Je développe.
Lundi après-midi, on joue aux boules avec une dame. Elle a appris grâce à moi. Elle voulait devenir plus adulte, alors on a sorti les boules.
Sur le tableau Velleda, des tas de petites boules et de sous-boules correspondant aux Etats de son Moi, Parent, Adulte, Enfant, Enfant Adapté Rebelle, Parent dans l’Adulte ; et des tas d’autres boules correspondant aux Etats du Moi de ses partenaires dans la vie ; et des tas de flèches entre tout ça dans tous les sens : de séance en séance, elle analyse ses transactions ; de plus en plus de boules, de flèches et de sous-boules, et de séance en séance, nous nous enfonçons dans la confusion.
Mardi matin, j’ai l’air d’un gendre idéal avec chemise et costume Smalto, rehaussés du sourire énergique qui manifeste mon assertivité : je vais faire des TCC.
A 9 heures, c’est le deuxième C de TCC, « Comportementale ». La dame a peur de l’avion et nous parlons du crash du Rio-Paris. Il a fallu deux ans pour retrouver l’épave de l’Airbus au fond de l’Atlantique et personne n’a encore compris pourquoi il avait décroché.
Il a mis trois minutes et demie pour tomber parce qu’il était très haut. A l’école, les élèves pilotes apprennent des solutions d’urgence aux problèmes de portance en vol, mais on s’est rendu compte qu’elles les aggravaient plus qu’elles ne les résolvaient.
Dès lors, il y a plus de risque de crash avec un commandant qui a bien appris ses cours qu’avec un cancre. Le cancre sera plus intuitif. Il y en avait une pleine page dans Le Figaro que j’ai pu lire dans l’avion qui m’emmenait aux Antilles après avoir calmé la crise d’angoisse de ma voisine au décollage.
A 11 heures arrive le prof. Cet ancien déprimé ne veut pas rechuter. Il m’a demandé de le reprogrammer. Alors, je le reprogramme. D’abord, vérifier qu’il a bien son cahier jaune et qu’il a fait ses devoirs : ça va, tout est en ordre. Ensuite les questions, serrées. Il apprend vite, il approche de la découverte du postulat silencieux.
On y est : sa croyance d’être nul remonte au divorce des parents. Non, on n’y est pas : sa croyance d’être nul vient de la préférence de ses parents pour sa petite sœur. Bon, on s’arrête là, on prend l’histoire de la petite sœur, sinon qu’est-ce qu’on va trouver encore ? Il faut bien que la thérapie soit brève.
Alors aussitôt, modification du postulat silencieux, prise de notes sur le cahier jaune et renvoi à la maison avec travaux pratiques.
A l’heure du déjeuner, le Smalto rejoint la penderie et j’enfile le vieux tee-shirt avec Che Guevara dessus pour faire de la Gestalt l’après-midi.
Quand j’arrive, ils sont trois : un alcoolique, une lombalgique et une dame riche, strictement normale, mais qui veut du mieux-être. Je demande au premier de visualiser la descente de l’alcool dans son organisme jusqu’aux cellules périphériques, à la seconde d’augmenter sa douleur et à la troisième de nous parler de son hypertension artérielle.
Ensuite, je les confronte fermement : « A quoi cela te sert-il de continuer à boire, d’avoir mal au dos, d’être hypertendue ? » Cris et larmes garantis à la vingtième minute. Généralement, il leur faut une bonne demi-heure pour se calmer et trouver leurs solutions. La Gestalt thérapie est facile quand le cabinet est insonorisé.
Mercredi, c’est le jour des enfants et de la thérapie familiale. Par ses conseils, Marie remet ses parents dans le droit chemin. A ma demande, Denis, jeune clochardisé, s’allonge par terre, fait le mort et sa mère lui dit qu’elle accepte qu’il soit mort. Mais il y a aussi Benjamin, sa famille et leurs rapports avec « pipi sournois », l’influence que celui-ci a sur eux et eux sur lui. Nous décidons de lancer un défi à « pipi sournois » : chaque soir en se couchant, le petit mettra un verre d’eau glacée bien en évidence sur sa table de nuit et « pipi sournois » saura alors qui est le plus fort. Là, nous virons à la thérapie narrative.
Je passe sur l’incendie, le viol et l’accident de moto. C’est jeudi, c’est EMDR, enfin un genre amélioré d’EMDR. Produire les mouvements alternatifs avec les doigts est imprécis. Les alternances de stimulations n’ont pas un rythme vraiment régulier. En plus, à la longue, cette technique provoque des douleurs aux épaules. Nous avons besoin d’un outil ergonomique qui garantisse la régularité de la stimulation cyclique. Voilà pourquoi j’utilise un pendule. Je peux aussi chercher de l’eau avec.
Et vendredi, c’est boulimie. Elles sont trois. La première doit manger un éclair au chocolat avant chaque consultation et m’apporter le ticket de caisse. Elle commence à me haïr. La seconde devait faire délibérément trois crises de boulimie dans la semaine précédente et vient au rapport : elle n’arrive plus à se goinfrer. Je ne la félicite pas et je lui demande de s’appliquer à réussir les crises à l’avenir. Au contraire, je n’arrête pas d’applaudir la dernière pour toutes les fois dans sa vie où elle n’a pas été boulimique.
Ce vendredi-là, sa thérapie bascule définitivement vers la solution : « Imaginons que cette nuit, il y ait un miracle. Le problème a disparu par enchantement, totalement, d’un coup. Simplement, vous ne le savez pas parce que cela s’est passé pendant que vous dormiez. A votre réveil et dans la journée qui suit, à quoi saurez-vous que le miracle a eu lieu ? »
Evidemment, dans la semaine, il y a eu bien d’autres psychanalyses, TCC, Gestalt, Analyse transactionnelle, EMDR, thérapies narratives, stratégiques brèves, solutionnistes et familiales. Il y a eu aussi beaucoup d’hypnose : des accompagnements dans des bons souvenirs pour des timides, des régressions en âge pour des états-limites, des lévitations pour faire revenir des règles, des catalepsies pour supprimer des céphalées de tension, des hallucinations de sensations agréables dans des membres fantômes, des distorsions du temps chez des cancéreux algiques.
Mensonges ?
En entendant ce panorama de ma semaine, une question vous vient probablement :
- Est-ce que vous n’êtes pas en train de nous raconter des histoires ?
La réponse est :
- Oui, je vous raconte des histoires. En hypnose, on aime bien raconter des histoires.
Alors dialoguons, parce que vous me répondez :
- Mais ces histoires sont-elles vraies ? Est-il possible d’avoir une pratique pareille ? Faites-vous vraiment tout cela dans une semaine de consultation ? Sont-ce des mensonges ?
- Oui, ce sont des mensonges parce que je n’ai pas toute cette créativité, mais je voudrais bien l’avoir. Et non, ce ne sont pas des mensonges mais j’expliquerai plus tard.
- Mais si vous voulez tenter cet éclectisme fou, ne risquez-vous pas de vous transformer en touche-à-tout superficiel, faisant un peu de tout mais rien de sérieux, de profond ni de correct, ce qui constitue une perte de chances pour le patient ? Ne vaut-il pas mieux connaître à fond une forme de thérapie et l’appliquer avec rigueur ? Etre un bon psychanalyste, un bon TCC, un bon Gestaltiste, un bon hypnotiste ou un bon solutionniste, il faut choisir.
- Non, je refuse de choisir et je crois qu’on peut faire de tout sérieusement, correctement et profondément. Pour arriver à faire de tout, je suis seulement limité par mes rigidités. Watzlawick disait qu’il valait mieux que le thérapeute soit caméléon que Rocher de Gibraltar. Je développe.
Première mixité thérapeutique
Il existe deux sortes de thérapies, celles qui s’appuient sur une théorie et celles qui dérivent de modèles.
La psychanalyse, les TCC, la Gestalt et l’Analyse transactionnelle s’appuient sur des théories psychologiques, des théories générales du comportement humain. On bâtit une théorie par induction à partir de quelques cas et on l’applique à tous ceux qu’on rencontrera par la suite.
Quoi qu’elles en disent, les théories n’ont pas de valeur scientifique, puisque jamais réfutables, toujours complexifiables. Je les appelle les « grosses », parce qu’elles prennent plein de mauvaise graisse en vieillissant. Epistémologiquement, les théories psychologiques ne peuvent revendiquer que le rang de jolies histoires.
En plus, comme j’ai tenté de le montrer dans des forums précédents , les véritables auteurs de ces théories sont les patients : tout simplement parce que, quand vous allez mal, vous vous demandez pourquoi et vous vous faites votre petite théorie sur vos troubles.
Des gens comme Freud, Beck, Berne ou Perls n’ont fait que piquer leurs idées à leurs consultants. Leur activité scientifique a consisté à gloser leur vie entière sur quelques citations de patients dont ils n’ont jamais donné la source.
Donc, si ces thérapies ne reposent que sur des petites histoires, je ne vois pas pourquoi je ne pourrais pas être psychanalyste le lundi matin, transactionnaliste l’après-midi, TCC puis Gestaltiste le lendemain. Pas besoin d’une longue et coûteuse formation à chacune dans leurs Instituts.
Pas besoin d’une coûteuse formation dans un institut spécialisé, mais un besoin absolu de se mettre à l’école du patient. C’est autrement plus dur. Je ne vais pas lui piquer sa théorie sur ses troubles mais l’apprendre et l’appliquer.
Ce qu’il me demande de faire, je le ferai, et rien d’autre. Si le patient est psychanalyste, je le serai ; cognitiviste, je le serai ; gestaltiste, je le serai ; s’il croit que sa dépression est provoquée par le réchauffement climatique, la récente raréfaction des phoques au Sahara, un manque de sérotonine dans son cerveau ou le tsunami à Fukushima, je serai d’accord ; je lui demanderai de m’expliquer sa théorie en détails et nous l’appliquerons pour le guérir.
Voilà une première mixité thérapeutique. Mixité thérapeutique ? Oui, parce que les patients sont mélangés, leurs théories avec. Et donc, comme vous le voyez, je ne vous ai pas raconté de mensonges, mais une ambition, celle qui me tient le plus à cœur : celle d’arriver, grâce à une suffisante souplesse, à m’adapter aux besoins individuels de chaque patient, lesquels sont infiniment variés. C’est en laissant celui-ci m’inspirer, en adoptant sa théorie sur ses troubles, que je deviens créatif. J’abandonne mes petites idées, je me quitte moi-même.
Deuxième mixité thérapeuthique
Le deuxième groupe de thérapies ne s’appuie pas sur des théories mais se constitue en différents modèles. Je range ici thérapie stratégique brève, solutionniste, narrative, PNL et EMDR. Les auteurs de ces courants ne prétendent pas expliquer le comportement humain, mais cherchent ce qui marche pour que le sujet aille mieux : ce sont les fameux « modèles » qui permettent d’élaborer des tactiques d’intervention, des grilles d’entretien et des plans de conversation.
Ces auteurs n’aiment pas s’aventurer sur le terrain des abstractions. Quand ils s’y croient malgré tout obligés, ils ne reconnaissent pas de statut scientifique à leurs idées. White fait reposer sa thérapie narrative sur la « métaphore littéraire » : ce n’est qu’une métaphore, une image. Peut-être la prudence de ces chercheurs tient-elle à leur formation philosophique sérieuse. Ni Freud ni Perls n’avaient une telle formation ; en revanche, White et De Shazer l’avaient, ce qui leur a évité de construire des énièmes systèmes pataphilosophiques.
Ici, seul le pragmatisme compte. Et comme seul le pragmatisme compte, il n’est pas déconseillé, il est même recommandé d’aller picorer ici et là, un peu partout, chez chacun de ces chercheurs, des tactiques d’intervention efficaces et d’aller au-delà en créant les siennes.
La thérapie brève peut être considérée comme un cocktail d’ingrédients venant de différents modèles. Dans l’intérêt des patients dont les besoins sont uniques, chaque praticien fait varier les proportions de son mélange à son gré avant de les secouer dans son shaker personnel et de les servir. Le client a ainsi le breuvage qu’il lui faut, qui n’est confectionné que pour lui.
Certains barmen sont meilleurs que d’autres. Et cela a commencé très tôt, puisque, par exemple, John Weakland, un pilier fondateur de Palo Alto, échangeait souvent ses idées de recette avec De Shazer, à Milwaukee.
Voilà une deuxième mixité thérapeutique. Et comme vous le voyez, ce second genre de mixité thérapeutique se mélange très bien avec le premier.
Le mélange des mélanges
Si nous mélangeons bien ces deux types de mixité thérapeutique, alors nous aboutissons à un résultat nouveau et qui ne va peut-être pas plaire. Voyons donc ce qui émerge. Le succès thérapeutique n’est pas le fruit de l’application de théories psychologiques universelles : d’accord. L’est-il d’un modèle ou d’un autre ? Non, puisque, là, il est recommandé que chacun fasse sa petite cuisine en mélangeant un peu tous les modèles. Dès lors, il apparaît que le succès thérapeutique, n’étant lié ni à une théorie ni à un modèle, ne peut être que le fruit du talent d’une personne donnée.
Le thérapeute exerce une activité artistique . Il y a des Michel-Ange et des barbouilleurs. La meilleure formation du monde ne fera pas le génie. Le talent ne s’acquiert pas par l’enseignement, même si « sans travail, un talent n’est qu’une sale manie », comme le chantait Georges Brassens. Pour que son don s’exprime, le génie doit travailler énormément. Demandez à Erickson ou à Picasso.
Les formateurs peuvent contrôler le niveau d’acquisition par leurs élèves des techniques enseignées, mais pas leur talent. Et même si untel a du mal à apprendre ses cours, cela ne présage en rien de son talent réel. Il peut être un génie caché, comme ces enfants surdoués qui ont de mauvaises notes parce qu’ils s’ennuient. Perls et Reich ont été de mauvais élèves de Freud, et pourtant des génies. Freud a eu de bons élèves qui ont été de médiocres thérapeutes.
En fin de compte, la seule façon de savoir si un thérapeute est bon, c’est à ses résultats. Ils sont évaluables, pour peu que les intéressés se prêtent à une pareille évaluation.
Voici maintenant un deuxième résultat du mixage des deux mixités. Je vous ai dit que je souhaitais être un thérapeute multicartes et que je faisais aussi beaucoup d’hypnose. En fait, vous l’avez reconnu, je ne fais que de l’hypnose. Elle est la base pour être tout le reste, et ainsi pratiquer de tout ne relève pas d’un éclectisme fou.
L’hypnose est le principe d’unité de cette mixité thérapeutique tous azimuts. L’attitude fondamentale héritée d’Erickson consiste à accepter le patient tel qu’il est, quel qu’il soit, et à utiliser tout ce qu’il apporte à la thérapie pour qu’il change. Ainsi, quel que soit le type de thérapie employée, le patient se retrouve en transe. Tout simplement parce ce que notre manière de l’approcher l’intéresse vraiment : il se sent compris, il est prêt à être guidé avec ses armes à lui, il s’ouvre au changement.
La psychanalyse, les TCC, la Gestalt et l’Analyse transactionnelle s’appuient sur des théories psychologiques, des théories générales du comportement humain. On bâtit une théorie par induction à partir de quelques cas et on l’applique à tous ceux qu’on rencontrera par la suite.
Quoi qu’elles en disent, les théories n’ont pas de valeur scientifique, puisque jamais réfutables, toujours complexifiables. Je les appelle les « grosses », parce qu’elles prennent plein de mauvaise graisse en vieillissant. Epistémologiquement, les théories psychologiques ne peuvent revendiquer que le rang de jolies histoires.
En plus, comme j’ai tenté de le montrer dans des forums précédents , les véritables auteurs de ces théories sont les patients : tout simplement parce que, quand vous allez mal, vous vous demandez pourquoi et vous vous faites votre petite théorie sur vos troubles.
Des gens comme Freud, Beck, Berne ou Perls n’ont fait que piquer leurs idées à leurs consultants. Leur activité scientifique a consisté à gloser leur vie entière sur quelques citations de patients dont ils n’ont jamais donné la source.
Donc, si ces thérapies ne reposent que sur des petites histoires, je ne vois pas pourquoi je ne pourrais pas être psychanalyste le lundi matin, transactionnaliste l’après-midi, TCC puis Gestaltiste le lendemain. Pas besoin d’une longue et coûteuse formation à chacune dans leurs Instituts.
Pas besoin d’une coûteuse formation dans un institut spécialisé, mais un besoin absolu de se mettre à l’école du patient. C’est autrement plus dur. Je ne vais pas lui piquer sa théorie sur ses troubles mais l’apprendre et l’appliquer.
Ce qu’il me demande de faire, je le ferai, et rien d’autre. Si le patient est psychanalyste, je le serai ; cognitiviste, je le serai ; gestaltiste, je le serai ; s’il croit que sa dépression est provoquée par le réchauffement climatique, la récente raréfaction des phoques au Sahara, un manque de sérotonine dans son cerveau ou le tsunami à Fukushima, je serai d’accord ; je lui demanderai de m’expliquer sa théorie en détails et nous l’appliquerons pour le guérir.
Voilà une première mixité thérapeutique. Mixité thérapeutique ? Oui, parce que les patients sont mélangés, leurs théories avec. Et donc, comme vous le voyez, je ne vous ai pas raconté de mensonges, mais une ambition, celle qui me tient le plus à cœur : celle d’arriver, grâce à une suffisante souplesse, à m’adapter aux besoins individuels de chaque patient, lesquels sont infiniment variés. C’est en laissant celui-ci m’inspirer, en adoptant sa théorie sur ses troubles, que je deviens créatif. J’abandonne mes petites idées, je me quitte moi-même.
Deuxième mixité thérapeuthique
Le deuxième groupe de thérapies ne s’appuie pas sur des théories mais se constitue en différents modèles. Je range ici thérapie stratégique brève, solutionniste, narrative, PNL et EMDR. Les auteurs de ces courants ne prétendent pas expliquer le comportement humain, mais cherchent ce qui marche pour que le sujet aille mieux : ce sont les fameux « modèles » qui permettent d’élaborer des tactiques d’intervention, des grilles d’entretien et des plans de conversation.
Ces auteurs n’aiment pas s’aventurer sur le terrain des abstractions. Quand ils s’y croient malgré tout obligés, ils ne reconnaissent pas de statut scientifique à leurs idées. White fait reposer sa thérapie narrative sur la « métaphore littéraire » : ce n’est qu’une métaphore, une image. Peut-être la prudence de ces chercheurs tient-elle à leur formation philosophique sérieuse. Ni Freud ni Perls n’avaient une telle formation ; en revanche, White et De Shazer l’avaient, ce qui leur a évité de construire des énièmes systèmes pataphilosophiques.
Ici, seul le pragmatisme compte. Et comme seul le pragmatisme compte, il n’est pas déconseillé, il est même recommandé d’aller picorer ici et là, un peu partout, chez chacun de ces chercheurs, des tactiques d’intervention efficaces et d’aller au-delà en créant les siennes.
La thérapie brève peut être considérée comme un cocktail d’ingrédients venant de différents modèles. Dans l’intérêt des patients dont les besoins sont uniques, chaque praticien fait varier les proportions de son mélange à son gré avant de les secouer dans son shaker personnel et de les servir. Le client a ainsi le breuvage qu’il lui faut, qui n’est confectionné que pour lui.
Certains barmen sont meilleurs que d’autres. Et cela a commencé très tôt, puisque, par exemple, John Weakland, un pilier fondateur de Palo Alto, échangeait souvent ses idées de recette avec De Shazer, à Milwaukee.
Voilà une deuxième mixité thérapeutique. Et comme vous le voyez, ce second genre de mixité thérapeutique se mélange très bien avec le premier.
Le mélange des mélanges
Si nous mélangeons bien ces deux types de mixité thérapeutique, alors nous aboutissons à un résultat nouveau et qui ne va peut-être pas plaire. Voyons donc ce qui émerge. Le succès thérapeutique n’est pas le fruit de l’application de théories psychologiques universelles : d’accord. L’est-il d’un modèle ou d’un autre ? Non, puisque, là, il est recommandé que chacun fasse sa petite cuisine en mélangeant un peu tous les modèles. Dès lors, il apparaît que le succès thérapeutique, n’étant lié ni à une théorie ni à un modèle, ne peut être que le fruit du talent d’une personne donnée.
Le thérapeute exerce une activité artistique . Il y a des Michel-Ange et des barbouilleurs. La meilleure formation du monde ne fera pas le génie. Le talent ne s’acquiert pas par l’enseignement, même si « sans travail, un talent n’est qu’une sale manie », comme le chantait Georges Brassens. Pour que son don s’exprime, le génie doit travailler énormément. Demandez à Erickson ou à Picasso.
Les formateurs peuvent contrôler le niveau d’acquisition par leurs élèves des techniques enseignées, mais pas leur talent. Et même si untel a du mal à apprendre ses cours, cela ne présage en rien de son talent réel. Il peut être un génie caché, comme ces enfants surdoués qui ont de mauvaises notes parce qu’ils s’ennuient. Perls et Reich ont été de mauvais élèves de Freud, et pourtant des génies. Freud a eu de bons élèves qui ont été de médiocres thérapeutes.
En fin de compte, la seule façon de savoir si un thérapeute est bon, c’est à ses résultats. Ils sont évaluables, pour peu que les intéressés se prêtent à une pareille évaluation.
Voici maintenant un deuxième résultat du mixage des deux mixités. Je vous ai dit que je souhaitais être un thérapeute multicartes et que je faisais aussi beaucoup d’hypnose. En fait, vous l’avez reconnu, je ne fais que de l’hypnose. Elle est la base pour être tout le reste, et ainsi pratiquer de tout ne relève pas d’un éclectisme fou.
L’hypnose est le principe d’unité de cette mixité thérapeutique tous azimuts. L’attitude fondamentale héritée d’Erickson consiste à accepter le patient tel qu’il est, quel qu’il soit, et à utiliser tout ce qu’il apporte à la thérapie pour qu’il change. Ainsi, quel que soit le type de thérapie employée, le patient se retrouve en transe. Tout simplement parce ce que notre manière de l’approcher l’intéresse vraiment : il se sent compris, il est prêt à être guidé avec ses armes à lui, il s’ouvre au changement.
Troisième mixité thérapeutique
Tournons-nous maintenant vers la question des médicaments. Peut-on, doit-on les associer à la psychothérapie ?
Evidemment, je suis toujours organiciste avec les patients qui le sont, ceux qui sont convaincus que leur chimie cérébrale est perturbée. S’ils veulent des médicaments, ils en ont. Bien sûr aussi, ce que je leur dirai en prescrivant sera parfois un peu particulier : - « Pourquoi me donnez-vous celui-là, Docteur ? » - « Je vous le donne parce que celui-là, il est sérotoninergique, Madame. » Il arrive aussi aux patients organicistes d’entrer en transe, alors qu’on ne parle que de diencéphale, système limbique et vésicules synaptiques. Eux aussi se sentent compris et s’ouvrent au changement.
On peut aussi donner des médicaments à des patients qui n’en veulent absolument pas parce qu’ils représentent le summum de l’échec pour eux. La provocation réveille ces énergiques momentanément découragés. De même, à certains fumeurs, nous disons qu’ils sont incapables d’arrêter et que ce n’est pas la peine de consulter parce qu’ils n’y arriveront jamais, quoi qu’ils fassent. Ils nous haïssent, jettent les médicaments ou le paquet par la fenêtre ou au travers du bureau. Ils se sont débarrassés de nous, des médicaments ou du tabac et vont mieux.
Ce serait bien si tout était aussi simple et que la prescription médicamenteuse n’avait d’effet qu’en fonction de sa valeur psychothérapeutique, comme une sorte d’adjonction à la thérapie, qui serait ou est le seul traitement en profondeur de la souffrance de la personne.
Ici, mon propos se limite aux troubles anxieux et dépressifs ; je ne parle pas des troubles psychotiques. J’écarte aussi, peut-être un peu vite, le trouble bipolaire de type I pour lequel j’admets que l’étiologie biologique est probable, et donc les psychotropes indispensables.
Dans tous les autres cas de troubles anxieux et dépressifs, peut-on et/ou doit-on associer des médicaments à la psychothérapie ? En plus de n’être que des pansements provisoires, les antidépresseurs et les anxiolytiques n’annulent-ils pas ou n’affaiblissent-ils pas l’efficacité de la psychothérapie, rendant son résultat plus aléatoire et moins durable, alors qu’elle est le vrai traitement en profondeur ? Ne seraient-ils pas nocifs ? Ne constitueraient-ils pas un moyen de faire taire les gens et d’empêcher l’échange interpersonnel, vital pour l’être humain ?
La profondeur du psychisme et les médicaments
La première réflexion, c’est que depuis Jay Haley, nous ne savons plus ce qu’est un traitement en profondeur, s’agissant du psychisme humain. Ce concept est un reste de la topique freudienne : la psychanalyse, parce qu’elle explore les profondeurs de l’Inconscient, doit être longue. En thérapie brève, nous avons répudié ce raisonnement. Qu’en serait-il si, au lieu de thérapie profonde, nous parlions de thérapie de gauche ou de thérapie de droite ?
La première se fondera-t-elle sur les troubles de la solidarité collective et la seconde sur les atteintes à l’initiative individuelle ? Tout le raisonnement change quand ses présupposés changent : il n’y a ni haut ni bas, ni gauche ni droite dans le psychisme. Il n’y a pas de topique.
La deuxième réflexion, c’est que depuis Roustang, nous ne savons plus ce qu’est le psychisme : il n’existe que des corps vivants interagissant avec d’autres dans l’espace. Le concept de psychisme est aussi un reliquat freudien, bâti sur l’idéalisme kantien. Il n’y a plus de psychothérapie, il n’y a plus que de la thérapie, une manière de donner un coup de main à d’autres avec modestie.
Du côté des médicaments antidépresseurs, dans l’état actuel des données scientifiques, personne n’est en mesure d’affirmer qu’ils ont un effet curatif, étiologique, ou seulement palliatif, symptomatique. On sait seulement qu’ils soulagent souvent rapidement, souvent temporairement, souvent durablement.
Donc, pas plus les psychothérapies que les médicaments ne peuvent prétendre être des traitements en profondeur, étiologiques, définitifs. Et il n’y a rien non plus pour affirmer qu’ils ne sont que des traitements de surface, symptomatiques, palliatifs. Nous n’en savons rien.
Quoique sans aucune preuve, certains affirment que les médicaments ne sont que des anesthésiques qui endorment la douleur sans soigner sa cause, laquelle, ainsi camouflée, continuerait à évoluer sournoisement et à s’aggraver en silence, retardant et rendant plus difficile le moment de la psychothérapie, seul traitement étiologique valable. Toujours l’histoire de la cause en profondeur. Elle n’existe pas, mais restons dans la métaphore.
J’en ai parlé à mon dentiste. Il avait du mal, moi aussi. Il devait m’opérer une molaire et il n’y arrivait pas parce que l’anesthésie ne prenait pas. Je ne connais pas de chirurgien qui accepte d’opérer un malade qui n’est pas anesthésié. Si l’on opère mieux un patient quand il est endormi, alors il est plausible que les antidépresseurs facilitent souvent les interventions psychothérapeutiques.
D’autres auteurs disent que l’angoisse est un puissant moteur à la thérapie. Ne nous trompons pas. La souffrance ne donne pas une forte motivation d’abord à la thérapie, mais à ne plus souffrir, quel que soit le moyen employé. Un certain esthétisme de la douleur a cours dans nombre d’écoles de thérapie, qui affirment qu’il faut laisser les patients angoissés pour que la thérapie reste « chaude ». Le but des thérapies brèves est au contraire de soulager les patients dans le délai le plus court possible. Alors, que ce soulagement passe par une thérapie, par des médicaments, ou une association des deux, peu importe. Seul le résultat compte.
Comme thérapeutes, nous ne devrions pas trop mépriser les médicaments, à moins de manquer d’esprit scientifique. En effet, il est envisageable que des troubles que nous qualifions de névrotiques aient une base biologique cérébrale. Nous ne pouvons pas exclure cette hypothèse a priori. Sous prétexte que nos outils de thérapie brève marchent bien, n’en profitons pas pour effectuer un retour larvé vers la psychogenèse des névroses, même si les patients rapportent plein d’événements de vie qui semblent expliquer leur tableau actuel.
La notion de psychogenèse est freudienne et nous ne savons plus ce qu’est le psychisme. Contentons-nous d’un côté de la communication efficace, et de l’autre du cerveau, que les anomalies constatées ou à constater dans celui-ci soient causes ou conséquences du trouble. Enfin, je vous rappelle que Freud lui-même n’a fabriqué son « appareil psychique » que « dans l’attente des découvertes biologiques à venir ». Virons donc ce gros machin entre communication et cerveau.
Nous avons un grand nombre d’études chiffrées de l’efficacité des médicaments et des thérapies. Je passe sur celles, innombrables, des médicaments, dont vous savez tous qu’ils font des miracles et n’ont jamais d’effets secondaires. En thérapie stratégique, Nardone annonce ses résultats dans les troubles anxieux et des conduites alimentaires, presque trop beaux pour être vrais.
En thérapie solutionniste, avec une méthode plus rigoureuse, Isebaert annonce aussi les siens, prometteurs dans l’alcoolisme. Les TCC, avec Cottraux, démontrent qu’elles sont aussi efficaces dans les troubles dépressifs que les antidépresseurs et que les deux associés sont encore plus efficaces. Les TCC n’ont jamais cessé d’évaluer leurs résultats dans de multiples pathologies (phobies, TOC, troubles alimentaires, addictions), culture d’évaluation qui manque à pas mal d’hypnotistes. Enfin, actuellement, dans le trouble unipolaire de l’humeur, le traitement qui donne les meilleurs résultats n’est pas la psychothérapie, mais ce sont les antidépresseurs pris au long cours, la vie entière. Quand on sait que le problème principal de la dépression n’est pas le traitement de l’accès, mais la prévention des rechutes, ce n’est pas rien.
Donc, en règle générale, il est faux de dire que les médicaments soient une entrave à la psychothérapie. Parce que nous ne savons pas exactement aujourd’hui ce que nous faisons, nous pouvons les associer. Le pragmatisme commande cette mixité thérapeutique.
Evidemment, je suis toujours organiciste avec les patients qui le sont, ceux qui sont convaincus que leur chimie cérébrale est perturbée. S’ils veulent des médicaments, ils en ont. Bien sûr aussi, ce que je leur dirai en prescrivant sera parfois un peu particulier : - « Pourquoi me donnez-vous celui-là, Docteur ? » - « Je vous le donne parce que celui-là, il est sérotoninergique, Madame. » Il arrive aussi aux patients organicistes d’entrer en transe, alors qu’on ne parle que de diencéphale, système limbique et vésicules synaptiques. Eux aussi se sentent compris et s’ouvrent au changement.
On peut aussi donner des médicaments à des patients qui n’en veulent absolument pas parce qu’ils représentent le summum de l’échec pour eux. La provocation réveille ces énergiques momentanément découragés. De même, à certains fumeurs, nous disons qu’ils sont incapables d’arrêter et que ce n’est pas la peine de consulter parce qu’ils n’y arriveront jamais, quoi qu’ils fassent. Ils nous haïssent, jettent les médicaments ou le paquet par la fenêtre ou au travers du bureau. Ils se sont débarrassés de nous, des médicaments ou du tabac et vont mieux.
Ce serait bien si tout était aussi simple et que la prescription médicamenteuse n’avait d’effet qu’en fonction de sa valeur psychothérapeutique, comme une sorte d’adjonction à la thérapie, qui serait ou est le seul traitement en profondeur de la souffrance de la personne.
Ici, mon propos se limite aux troubles anxieux et dépressifs ; je ne parle pas des troubles psychotiques. J’écarte aussi, peut-être un peu vite, le trouble bipolaire de type I pour lequel j’admets que l’étiologie biologique est probable, et donc les psychotropes indispensables.
Dans tous les autres cas de troubles anxieux et dépressifs, peut-on et/ou doit-on associer des médicaments à la psychothérapie ? En plus de n’être que des pansements provisoires, les antidépresseurs et les anxiolytiques n’annulent-ils pas ou n’affaiblissent-ils pas l’efficacité de la psychothérapie, rendant son résultat plus aléatoire et moins durable, alors qu’elle est le vrai traitement en profondeur ? Ne seraient-ils pas nocifs ? Ne constitueraient-ils pas un moyen de faire taire les gens et d’empêcher l’échange interpersonnel, vital pour l’être humain ?
La profondeur du psychisme et les médicaments
La première réflexion, c’est que depuis Jay Haley, nous ne savons plus ce qu’est un traitement en profondeur, s’agissant du psychisme humain. Ce concept est un reste de la topique freudienne : la psychanalyse, parce qu’elle explore les profondeurs de l’Inconscient, doit être longue. En thérapie brève, nous avons répudié ce raisonnement. Qu’en serait-il si, au lieu de thérapie profonde, nous parlions de thérapie de gauche ou de thérapie de droite ?
La première se fondera-t-elle sur les troubles de la solidarité collective et la seconde sur les atteintes à l’initiative individuelle ? Tout le raisonnement change quand ses présupposés changent : il n’y a ni haut ni bas, ni gauche ni droite dans le psychisme. Il n’y a pas de topique.
La deuxième réflexion, c’est que depuis Roustang, nous ne savons plus ce qu’est le psychisme : il n’existe que des corps vivants interagissant avec d’autres dans l’espace. Le concept de psychisme est aussi un reliquat freudien, bâti sur l’idéalisme kantien. Il n’y a plus de psychothérapie, il n’y a plus que de la thérapie, une manière de donner un coup de main à d’autres avec modestie.
Du côté des médicaments antidépresseurs, dans l’état actuel des données scientifiques, personne n’est en mesure d’affirmer qu’ils ont un effet curatif, étiologique, ou seulement palliatif, symptomatique. On sait seulement qu’ils soulagent souvent rapidement, souvent temporairement, souvent durablement.
Donc, pas plus les psychothérapies que les médicaments ne peuvent prétendre être des traitements en profondeur, étiologiques, définitifs. Et il n’y a rien non plus pour affirmer qu’ils ne sont que des traitements de surface, symptomatiques, palliatifs. Nous n’en savons rien.
Quoique sans aucune preuve, certains affirment que les médicaments ne sont que des anesthésiques qui endorment la douleur sans soigner sa cause, laquelle, ainsi camouflée, continuerait à évoluer sournoisement et à s’aggraver en silence, retardant et rendant plus difficile le moment de la psychothérapie, seul traitement étiologique valable. Toujours l’histoire de la cause en profondeur. Elle n’existe pas, mais restons dans la métaphore.
J’en ai parlé à mon dentiste. Il avait du mal, moi aussi. Il devait m’opérer une molaire et il n’y arrivait pas parce que l’anesthésie ne prenait pas. Je ne connais pas de chirurgien qui accepte d’opérer un malade qui n’est pas anesthésié. Si l’on opère mieux un patient quand il est endormi, alors il est plausible que les antidépresseurs facilitent souvent les interventions psychothérapeutiques.
D’autres auteurs disent que l’angoisse est un puissant moteur à la thérapie. Ne nous trompons pas. La souffrance ne donne pas une forte motivation d’abord à la thérapie, mais à ne plus souffrir, quel que soit le moyen employé. Un certain esthétisme de la douleur a cours dans nombre d’écoles de thérapie, qui affirment qu’il faut laisser les patients angoissés pour que la thérapie reste « chaude ». Le but des thérapies brèves est au contraire de soulager les patients dans le délai le plus court possible. Alors, que ce soulagement passe par une thérapie, par des médicaments, ou une association des deux, peu importe. Seul le résultat compte.
Comme thérapeutes, nous ne devrions pas trop mépriser les médicaments, à moins de manquer d’esprit scientifique. En effet, il est envisageable que des troubles que nous qualifions de névrotiques aient une base biologique cérébrale. Nous ne pouvons pas exclure cette hypothèse a priori. Sous prétexte que nos outils de thérapie brève marchent bien, n’en profitons pas pour effectuer un retour larvé vers la psychogenèse des névroses, même si les patients rapportent plein d’événements de vie qui semblent expliquer leur tableau actuel.
La notion de psychogenèse est freudienne et nous ne savons plus ce qu’est le psychisme. Contentons-nous d’un côté de la communication efficace, et de l’autre du cerveau, que les anomalies constatées ou à constater dans celui-ci soient causes ou conséquences du trouble. Enfin, je vous rappelle que Freud lui-même n’a fabriqué son « appareil psychique » que « dans l’attente des découvertes biologiques à venir ». Virons donc ce gros machin entre communication et cerveau.
Nous avons un grand nombre d’études chiffrées de l’efficacité des médicaments et des thérapies. Je passe sur celles, innombrables, des médicaments, dont vous savez tous qu’ils font des miracles et n’ont jamais d’effets secondaires. En thérapie stratégique, Nardone annonce ses résultats dans les troubles anxieux et des conduites alimentaires, presque trop beaux pour être vrais.
En thérapie solutionniste, avec une méthode plus rigoureuse, Isebaert annonce aussi les siens, prometteurs dans l’alcoolisme. Les TCC, avec Cottraux, démontrent qu’elles sont aussi efficaces dans les troubles dépressifs que les antidépresseurs et que les deux associés sont encore plus efficaces. Les TCC n’ont jamais cessé d’évaluer leurs résultats dans de multiples pathologies (phobies, TOC, troubles alimentaires, addictions), culture d’évaluation qui manque à pas mal d’hypnotistes. Enfin, actuellement, dans le trouble unipolaire de l’humeur, le traitement qui donne les meilleurs résultats n’est pas la psychothérapie, mais ce sont les antidépresseurs pris au long cours, la vie entière. Quand on sait que le problème principal de la dépression n’est pas le traitement de l’accès, mais la prévention des rechutes, ce n’est pas rien.
Donc, en règle générale, il est faux de dire que les médicaments soient une entrave à la psychothérapie. Parce que nous ne savons pas exactement aujourd’hui ce que nous faisons, nous pouvons les associer. Le pragmatisme commande cette mixité thérapeutique.