La therapie par l'épreuve. Comme complément d’une hypnothérapie efficace. par Bernhard Trenkle

Bernhard Trenkle, organisateur du prochain congrès mondial d’Hypnose à Brême en octobre prochain, présente ici la thérapie par l’épreuve (synonyme : thérapie ordalique). Encore une invention éricksonienne précieuse dont la rigueur et la subtilité techniques nous sont ici présentées.



hypnose et therapie breve 25
Les ordalies sont des techniques qu’Haley a développées en se fondant sur le travail d’Erickson (Haley, 1984). On les définira brièvement par la prescription au patient d’une tâche à faire à la maison qui est si désagréable qu’il lui est beaucoup plus avantageux d’abandonner le symptôme. L’ordalie doit être beaucoup plus pénible que les symptômes, mais rester toujours susceptible d’être effectuée par le patient et être bénéfique pour lui.

Un cas typique de Milton Erickson

Deux jeunes gens âgés d’à peine plus de 20 ans, et qui étaient mariés depuis neuf mois, se rendirent finalement compte qu’ils étaient encore énurétiques. Aucun des deux n’avait été suffisamment courageux pour le dire à l’autre pendant qu’ils s’étaient courtisés, et chacun s’était trouvé très heureux, une fois marié, que l’autre ne le blâme pas après avoir découvert le lit mouillé chaque matin. Cette tolérance avait considérablement accru leur amour.

Finalement, un des deux émit l’idée qu’ils devraient faire un bébé afin d’avoir une bonne raison d’avoir une tache mouillée dans leur lit, et ils commencèrent à en parler. Ensuite, ils se rendirent compte que tous les deux avaient le problème, et pas seulement un seul des deux.

Ils étaient amis avec des étudiants en médecine qui connaissaient Erickson, et ces derniers leurs suggérèrent de se traiter et de faire de l’hypnose. Le couple s’en vint voir Erickson. Ils lui dirent qu’il y avait un problème car ils n’avaient pas d’argent pour payer le traitement, et aussi qu’ils n’étaient pas disposés à expérimenter l’hypnose. Erickson leur répondit que ce n’était pas un problème. S’ils parvenaient à arrêter, il serait récompensé par la réussite du traitement, mais si le traitement s’avérait être un échec, ils auraient à le rémunérer. Ainsi, Erickson leur proposa, à la place de l’hypnose, un traitement expérimental.

Erickson leur demanda une obéissance absolue comme condition indispensable pour débuter la thérapie. Les conjoints acceptèrent et dirent qu’ils étaient très religieux et qu’ils tiendraient donc leur promesse. Erickson présenta ainsi l’ordalie :

« Vous êtes tous les deux très religieux, et vous m’avez tous les deux fait une promesse que vous allez tenir.
Vous avez un problème de transport qui fait que c’est difficile pour vous de venir me voir régulièrement pour la thérapie.
Votre situation financière rend pratiquement impossible que vous veniez me voir souvent.

Vous êtes sur le point de recevoir une thérapie expérimentale, et vous êtes absolument obligés, ou d’en tirer bénéfice, ou de me payer le tarif que je jugerai raisonnable. Si vous en bénéficiez, la réussite de ma thérapie sera la compensation de mes efforts et de votre gain. Si vous n’en bénéficiez pas, tout ce que je recevrai pour mes efforts, ce sera mes honoraires, et ce sera une double perte pour vous mais rien de plus pour moi qu’une déception qui sera une source d’information.

Voici ce que vous devez faire : chaque soir vous devez boire librement. Deux heures avant de vous coucher, verrouillez la salle de bains après avoir bu un verre d’eau. A l’heure de vous coucher, mettez vos pyjamas et agenouillez-vous ensuite côte à côte sur le lit, en face de vos oreillers, puis délibérément, intentionnellement et conjointement, mouillez le lit. Peut-être que c’est difficile à faire, mais vous devez le faire. Ensuite, allongez-vous et endormez-vous, en sachant pleinement que le mouillage du lit est fini et fait pour la nuit, que rien ne peut réellement augmenter le mouillage de façon notable.

Faites cela chaque soir, je me fiche d’à quel point vous détesterez de faire ça – vous avez promis, même si vous ne saviez pas ce que la promesse impliquait, mais vous êtes obligés. Faites cela chaque soir pendant deux semaines – c'est-à-dire jusqu’au dimanche 17. Dimanche soir, vous pourrez vous faire une pause. Vous pourrez vous allonger pour la nuit et vous endormir dans un lit sec.

Le lundi matin, le 18, vous vous lèverez, tirerez les couvertures, et examinerez le lit. Seulement lorsque vous verrez un lit mouillé, alors et seulement alors, réaliserez-vous qu’il y aura eu avant vous trois autres semaines d’agenouillage et de mouillage de lit.

Vous avez vos instructions. Il n’y a pas de discussion ni de débat entre vous sur ce sujet. Seulement du silence. Il ne peut y avoir que de l’obéissance, et vous savez et saurez quoi faire. Je vous reverrai dans un délai de cinq semaines. Vous me donnerez alors un rapport complet et surprenant. Au revoir ! »

Le couple revint cinq semaines plus tard et raconta combien cette tâche avait été épouvantable. Le premier soir ils s’étaient agenouillés une heure sur le lit avant de parvenir enfin à uriner. Aussi, les soirs suivants avaient été une torture et ils avaient réellement attendu avec un désir croissant le dimanche 17. Le lundi matin 18, ils avaient été surpris que le lit soit sec, et aussi tous les soirs qui suivirent jusqu’au rendez-vous. Un an après, ils rendirent visite à Erickson et lui amenèrent un petit bébé de sexe masculin. Ils dirent que le lit n’avait jamais plus été mouillé par la suite.

Erickson publia ce cas en 1954 dans le Journal of Clinical and Experimental Hypnosis (2, 171-174) et également dans les Collected Paper of Milton Erickson (3). Cela vaut vraiment la peine d’étudier son génie stratégique. Outre cette impressionnante prescription par l’épreuve, et tout aussi impressionnante, il y a l’idée d’utiliser le problème financier du couple à des fins thérapeutiques. Dans son article, il énonce que l’inverse du fréquent « guérissez-moi sinon je ne paierai pas » est efficace.

Avec cette technique, la responsabilité du symptôme est du côté du patient. Aussi vous pouvez imaginer que beaucoup de thérapeutes n’ayant pas inclus ce couple de parents dans la thérapie échouèrent à arrêter cette énurésie. De cette manière, Erickson commence quelque chose de complètement nouveau n’ayant pas grand-chose à voir avec les tentatives inutiles des parents et des précédents thérapeutes.

Ce furent Jay Haley et Cloe Madanes qui utilisèrent cette technique dans des thérapies familiales et de couples. Dans les années 1990, j’organisai deux grands ateliers avec Cloe Madanes à Heidelberg (Allemagne). Dans un de ces ateliers, elle enseigna une variante des techniques de thérapie par l’épreuve pour les couples où le mari est physiquement violent envers son épouse.

La stratégie développée par Madanes est décrite au chapitre 7 de son livre The Violence of Men (Jossey Bass, 1995). Cloe Madanes, dans un email du 5 février 2012, résumait son approche de la façon suivante :

Etape 1 : le thérapeute parle avec le couple de ce que chacun apprécie le plus et déteste le plus dans leur famille au sens large. Habituellement, pour le mari, il s’agit de la belle-mère ou de la belle-sœur.

Etape 2 : le thérapeute sympathise avec le mari en évoquant combien cela doit être douloureux pour lui de frapper la femme qu’il aime, sa femme, la mère de ses enfants – tout ce qu’il a à perdre en terme de respect de ses enfants, de sa réputation dans la société, etc.

Etape 3 : le thérapeute amène l’homme à se mettre d’accord avec le fait qu’il désire arrêter la violence.

Etape 4 : le thérapeute dit qu’il est assuré contre la violence, ce qui signifie que si l’homme accepte ce que lui propose le thérapeute, il aura la totale certitude qu’il n’y aura plus de violence.

Etape 5 : le thérapeute explique en quoi consiste son assurance : à la fin de la séance du lendemain, l’homme ouvrira un compte bancaire joint, à son nom et à celui de sa belle-mère (ou de la personne qu’il déteste le plus). Il déposera sur ce compte une certaine somme d’argent (qui dépendra du couple : il faut une somme qui soit douloureuse à perdre ; je l’ai fait avec une somme aussi faible que 500 euros, et aussi élevée que 5 000 euros). S’il se met à battre sa femme de nouveau, la belle-mère retirera immédiatement l’argent et en fera ce qui lui plaira, et il renflouera le compte, et ainsi de suite.

Etape 6 : à ce moment-là, l’homme dit habituellement que ce n’est pas correct parce que sa femme le provoque et que c’est ça qui est le vrai problème.

Etape 7 : le thérapeute dit qu’il comprend, que l’homme sera dans un système d’honneur. S’il bat sa femme et qu’il décide lui-même que cela n’a pas été provoqué, l’argent ira à sa belle-mère. S’il décide que la femme l’a provoqué, l’argent ira à une association humanitaire. Le thérapeute peut ajouter que cela doit être une association à laquelle il n’est pas habitué à donner.

Je me rappelle que Madanes raconta pendant un des ateliers un cas pour lequel elle utilisa cette stratégie, et à chaque fois que l’homme battait sa femme, la somme qu’il avait à payer à sa belle-mère et aux deux enfants d’un précédent mariage doublait. Il arrêta immédiatement parce qu’il était très avare et détestait vraiment les enfants autant que la belle-mère. Madanes, lors de notre communication électronique de février 2012, ne put me donner de référence sur ce sujet et ne se rappela pas non plus de ce cas qu’elle avait raconté des décennies auparavant.

Pour lire la suite : http://www.rayon-livres.com

Rédigé le 19/06/2012 modifié le 19/06/2012
Lu 5093 fois



Dans la même rubrique :