Qu’est-ce que l’hypnose ?
On a souvent dit que les enfants sont les meilleurs sujets hypnotiques. Il est important de comprendre ce qui est signifié par le terme d’hypnose, dans le but d’apprécier l’importance, pour le traitement des enfants, d’avoir cet outil dans le cartable du thérapeute. Il y a eu beaucoup de tentatives pour décrire l’hypnose, et la plupart des définitions s’accordent sur le fait que trois qualités doivent être présentes pour pouvoir parler d’état hypnotique : l’absorption, la suggestibilité et la dissociation.
L’absorption est une très grande focalisation, aussi bien interne qu’externe. Imaginez un enfant absorbé dans la lecture d’un bon livre, jouant à un jeu vidéo ou à un jeu de société avec des amis, ou si profondément dans ses pensées que la voix de maman qui l’appelle pour manger n’est pas entendue. Les enfants ont de tels moments de profonde concentration, où leurs cerveaux sont dans un état particulièrement réceptif.
Cette absorption peut favoriser un état de conscience dans lequel les capacités critiques sont temporairement « suspendues », rendant un enfant suggestible. Cela signifie que l’enfant est réceptif à la suggestion si celle-ci est acceptable. Cela est particulièrement vrai si elle est originale (capturant ainsi leur attention) ou si elle crée un état dissociatif plus profond.
L’absorption des enfants dans leur imagination peut être considérée comme un état dissociatif survenant naturellement. Sugarman et Wester proposent « que l’hypnose est l’engagement de ces processus créatifs subconscients », faisant référence aux activités oniriques diurnes et nocturnes qui occupent l’esprit en développement de l’enfant. La recherche sur les effets de programmes télévisuels violents, dont les parents craignent que leurs enfants imitent ce qu’ils voient et entendent, se porte sur les facteurs d’absorption et de suggestion.
Le troisième élément, la dissociation, est habituellement défini comme une prise de distance par répression d’affect (insensibilisation), de la pensée (distraction), ou du comportement. Il peut inclure également de la dépersonnalisation (expérience hors corps) ou de la déréalisation (impression de « vivre dans un rêve »), des amnésies (« temps manquant »), des automatismes (par exemple, du somnambulisme) ou des états de fugue. Si nous examinons l’état de choc biologique, lors duquel le flux sanguin et l’oxygénation des cellules sont interrompus, nous pouvons observer la réponse naturelle physiologiquement déterminée du corps aux accidents graves et autres événements traumatiques.
Dans la première période du choc, le cerveau semble induire de la dissociation dans le but d’aider l’esprit et le corps à composer avec l’expérience bouleversante. Les gens rapportent ainsi le phénomène dissociatif précédemment décrit : « Je me sentais hébété et désorienté », « comme si le temps s’arrêtait », « la scène se répétait encore et encore », « je ne savais pas si ce qui arrivait était réel ou imaginaire ».
En fait, beaucoup des symptômes constatés lors d’une transe négative ou lors de ce qui a été appelé des effets négatifs (vertiges, céphalées, confusion, désorientation, anxiété ou panique, difficultés à se réveiller, distorsion des perceptions) sont les mêmes que ceux présents durant la première phase d’un état de choc biologique. L’hypnose présente de nombreux parallèles avec l’état de choc, avec un élément qui les différencie. Lorsqu’elle est utilisée cliniquement, l’hypnose aide l’esprit et le corps à utiliser l’absorption, la suggestibilité et la dissociation pour guérir ou se sentir mieux. En fait, on pourrait penser l’hypnose comme une re-création voulue par les systèmes automatiques corporels au service de leur propre réparation. Comme un système de sécurité intégré.
Cerveau et comportement
La recherche sur le cerveau et les théories concernant le comportement, la cognition et les émotions ont grandement contribué à notre compréhension du phénomène hypnotique. Inversement, l’utilisation des paradigmes hypnotiques par la recherche a accru notre compréhension de comment le cerveau et l’esprit fonctionnent. Plusieurs domaines de la recherche présentent un intérêt particulier pour notre étude de l’hypnose.
La plasticité cérébrale se réfère au fait que le cerveau et le système nerveux changent en fonction de l’expérience. De nouvelles cellules, de nouveaux dendrites, de nouvelles synapses peuvent se développer et former de nouvelles connections dans toutes les parties du cerveau, et ceci semble se produire tout au long de la vie. Par exemple, le cerveau peut être habitué à ce que nous écrivions avec notre main droite, mais si nous nous fracturons cette main, le cerveau, par la répétition, peut développer de nouveaux circuits moteurs neuronaux qui nous permettront d’écrire avec la main gauche.
L’habitude de se ronger les ongles peut exister, mais la plasticité cérébrale suggère que nous puissions développer une nouvelle habitude de prendre soin de nos ongles. Notre nouvelle compréhension de la neuro-physiologie nous procure une base scientifique pour expliquer que des changements puissent survenir avec la suggestion hypnotique.
Une autre découverte scientifique est que nous possédons tous des neurones miroirs. Un neurone miroir s’allume aussi bien lorsqu’un enfant effectue une action que quand cet enfant observe la même action faite par une autre personne. L’hypothèse actuelle est que nous pourrions apprendre des compétences sociales et langagières de cette manière. Par exemple, le petit enfant observe un parent sourire, et des neurones miroirs aident ensuite l’enfant à imiter ce sourire. Certains théoriciens se demandent si des neurones miroirs sont en jeu dans la construction de l’attachement. Dans le champ de l’hypnose, on considère que les neurones miroirs seraient importants dans la construction du rapport.
Avec les enfants, la réussite de l’hypnose dépend de celui de la relation que nous construisons avec eux. Les neurones miroirs pourraient également être importants dans l’établissement de nouveaux patterns respiratoires et de patterns de relaxation. Un des premiers « jeux » auxquels je joue avec les enfants anxieux est le jeu des poupées Raggedy . Je me comporte comme une poupée de tissu molle, décousue et relaxée. L’enfant lève mon bras et découvre que celui-ci retombe quand il le lâche. Je fais ensuite de même avec leur bras.
Habituellement les enfants anticipent que je vais lever leur bras, et utilisent leurs muscles pour m’aider. Cela prend quelque temps pour qu’ils arrivent à imiter un laisser-aller complet de la tension musculaire, mais une fois qu’ils y sont parvenus, ils peuvent facilement se relaxer. Les neurones miroirs les aident à apprendre, et ensuite, grâce à la suggestion, une réponse conditionnée est développée.
Par ailleurs, un autre aspect intéressant de la recherche esprit-corps est notre compréhension que les gènes paraissent capables d’être activés ou désactivés. Le travail d’Ernest Rossi sur la génomique examine certaines hypothèses faites à propos des gènes, et qui concerneraient l’effet que pourraient avoir sur les gènes la suggestion et le langage hypnotique qui parviendraient au cerveau, que cela soit consciemment ou inconsciemment.
Quand les cancérologues travaillent avec des enfants et font des suggestions qui encouragent le cerveau et le corps à être débarrassés du cancer, c’est avec l’espoir que peut-être un gène contrôlant la croissance du cancer sera désactivé. Cette science est trop récente pour nous dire quand cela fonctionne, et faire de telles suggestions positives capitalise sur ces nouvelles connaissances de la régulation génique.
La science du comportement, des émotions et de la cognition humaines a une longue histoire. Cette science nous enseigne que le cerveau est tout à fait remarquable dans sa capacité à la fois à séparer et à intégrer des perceptions et des significations, à stocker de la connaissance, à garder ou à décharger des souvenirs, et à coordonner tout cela avec le corps. Avec les enfants, je décris souvent cette spécialisation du cerveau en me référant au « cerveau sensible », au « cerveau pensant », au « cerveau mémoire » et au « cerveau image ». Pour le thérapeute, ce langage devient un rappel de l’importance qu’ont les modalités sensorielles.
Histoire de cas
Voici un exemple d’un tel langage utilisé avec des suggestions hypnotiques imbriquées, celui de Sarah, 9 ans. Elle avait eu une maladie chronique avec des difficultés respiratoires qui la rendaient fréquemment anxieuse après juste une simple infection virale. Cette visite s’est déroulée peu après un méchant rhume ayant duré quelques jours.
Thérapeute : « Sarah, te souviens-tu quand tu jouais au foot avec ton équipe le mois dernier ? Peux-tu utiliser ton “cerveau mémoire” et aller au match du mois dernier dont tu m’as parlé ? »
Sarah : fait oui de la tête.
T. : « Très bien. Et en utilisant ton “cerveau image”, regarde l’image de là où tu te trouvais quand l’équipe a gagné, et que tu étais si heureuse. Regarde les détails de cette image, les couleurs, le terrain de football, et les gens qui regardent le match. Prends juste en toi tous les détails de l’image, lentement et facilement, et tu peux souffler pour enlever tout ce que tu ne veux pas dans cette image. Tu peux utiliser ton “cerveau sensible” et respirer dans l’excitation et la joie de cette image. Tu peux sentir comme si ton excitation passait à travers ta peau et allait directement vers ton cœur joyeux. Ton “cerveau sensible” peut apprécier que ton “cerveau image” partage avec lui. Est-ce que c’est cela qui se passe en ce moment ? »
Sarah : approuve en souriant.
T. : « Et je me demande ce que ton “cerveau pensée” est en train de dire pendant que tu regardes cette image de plaisir et de succès, que tu inspires chaque souvenir de la réussite et de la victoire de l’équipe ? Est-il est en train de dire “Nous sommes les meilleurs” ? »
Sarah : « Nous méritions de gagner. »
T. : « Oui, c’est vrai. Vous avez travaillé et joué avec beaucoup de motivation et vous avez mérité de gagner. Et ton “cerveau mémoire” peut garder ce message avec toutes les bonnes sensations qui te remplissent à chaque fois que tu respires, et qui gonflent de fierté ta poitrine. »
Hypnose et développement de l’enfant
Maintenant que nous avons expliqué ce qu’est l’hypnose, et que nous avons commencé à examiner la science de l’esprit-corps, tournons notre attention vers l’utilisation de l’hypnose avec les enfants. Qu’est-ce qui les fait être de si bons sujets hypnotiques ?
Il y a une progression développementale de notre capacité hypnotique, de la naissance jusqu’à l’âge adulte. Rappelons que le cerveau se développe également dès la naissance, avec le cortex préfrontal, lieu le plus probablement responsable des aspects « observateur critique » et « conscience de soi » de notre esprit. Les petits enfants répondent aux paroles calmantes, aux berceuses et aux caresses en entrant, beaucoup plus que les animaux, dans des « états hypnotiques ».
La relaxation la plus élémentaire peut être considérée comme une transe ou un état hypnotique survenant naturellement. Respirer profondément, lentement et régulièrement avec un petit enfant peut produire des états d’absorption et de relaxation. On parle parfois à ce sujet de protohypnose.
En développant le langage et les compétences sociales, l’enfant de classe maternelle entre en transe par l’engagement de son imagination. Josephine Hilgard a forgé le terme d’engagement imaginatif’ pour décrire l’expérience hypnotique chez les enfants de 4 à 6 ans.
Elle a compris l’hypnose comme étant une extension de leurs idées (focalisation sur leurs jeux et leurs apprentissages) et de leurs rêveries habituelles. Les enfants ne traitent pas la réalité comme le font les adultes. Ils ont des inhibitions qui sont limitées, un enthousiasme pour l’apprentissage, et sont attirés de manière fascinante vers la croissance dans tous les domaines. Les enfants utilisent tous leurs sens lorsqu’ils absorbent et apprennent à manipuler l’énorme quantité d’expérience qui commence à la naissance.
Ils vivent les émotions avec intensité, ne sont pas encore conditionnés par la société à cacher ou émousser leurs émotions, et sont ainsi portés à des tendances régressives plus importantes. L’aspect concret de leur pensée littérale, leur capacité à s’absorber et à imaginer sont les qualités qui les font être de si bons sujets pour l’hypnose. La recherche montre que la capacité hypnotique présente un maximum entre 9 et 12 ans, et tend ensuite à diminuer tandis que le raisonnement abstrait se développe et que le cortex préfrontal prend le dessus.
Ainsi, l’enfant à la période de latence, avec le langage et la personnalité bien sur leurs rails sur le plan développemental, mais avec un cerveau qui n’est pas encore baigné par les sécrétions hormonales de l’adolescence, a la possibilité de naviguer de manière fluide entre conscient et inconscient, entre réalité et jeu, montrant de l’absorption, de la suggestibilité et les perceptions perceptuelles de le dissociation, c’est-à-dire ce que nous appelons un état hypnotique.
La plupart des cliniciens attribuent aux jeunes enfants un dénominateur commun de caractéristiques hypnotiques. Les enfants sont vraiment littéraux dans leur compréhension du langage. Les cliniciens doivent par conséquent utiliser un langage simple et le faire avec précaution. Ils doivent s’imprégner de ce qui est familier à l’enfant, dans la réalité comme dans l’imaginaire, et s’imprégner des conceptions que l’enfant a sur le monde.
Les enfants semblent préférer un style hypnotique paternaliste, c’est-à dire qui structure l’expérience en apporte des conseils imprégnés de leurs préférences personnelles, de manière à ce qu’ils aient du choix. Ajoutez à ce type de relation des compliments pour leurs réussites, beaucoup d’humour, et vous avez les ingrédients pour une expérience hypnotique réussie.
On a souvent dit que les enfants sont les meilleurs sujets hypnotiques. Il est important de comprendre ce qui est signifié par le terme d’hypnose, dans le but d’apprécier l’importance, pour le traitement des enfants, d’avoir cet outil dans le cartable du thérapeute. Il y a eu beaucoup de tentatives pour décrire l’hypnose, et la plupart des définitions s’accordent sur le fait que trois qualités doivent être présentes pour pouvoir parler d’état hypnotique : l’absorption, la suggestibilité et la dissociation.
L’absorption est une très grande focalisation, aussi bien interne qu’externe. Imaginez un enfant absorbé dans la lecture d’un bon livre, jouant à un jeu vidéo ou à un jeu de société avec des amis, ou si profondément dans ses pensées que la voix de maman qui l’appelle pour manger n’est pas entendue. Les enfants ont de tels moments de profonde concentration, où leurs cerveaux sont dans un état particulièrement réceptif.
Cette absorption peut favoriser un état de conscience dans lequel les capacités critiques sont temporairement « suspendues », rendant un enfant suggestible. Cela signifie que l’enfant est réceptif à la suggestion si celle-ci est acceptable. Cela est particulièrement vrai si elle est originale (capturant ainsi leur attention) ou si elle crée un état dissociatif plus profond.
L’absorption des enfants dans leur imagination peut être considérée comme un état dissociatif survenant naturellement. Sugarman et Wester proposent « que l’hypnose est l’engagement de ces processus créatifs subconscients », faisant référence aux activités oniriques diurnes et nocturnes qui occupent l’esprit en développement de l’enfant. La recherche sur les effets de programmes télévisuels violents, dont les parents craignent que leurs enfants imitent ce qu’ils voient et entendent, se porte sur les facteurs d’absorption et de suggestion.
Le troisième élément, la dissociation, est habituellement défini comme une prise de distance par répression d’affect (insensibilisation), de la pensée (distraction), ou du comportement. Il peut inclure également de la dépersonnalisation (expérience hors corps) ou de la déréalisation (impression de « vivre dans un rêve »), des amnésies (« temps manquant »), des automatismes (par exemple, du somnambulisme) ou des états de fugue. Si nous examinons l’état de choc biologique, lors duquel le flux sanguin et l’oxygénation des cellules sont interrompus, nous pouvons observer la réponse naturelle physiologiquement déterminée du corps aux accidents graves et autres événements traumatiques.
Dans la première période du choc, le cerveau semble induire de la dissociation dans le but d’aider l’esprit et le corps à composer avec l’expérience bouleversante. Les gens rapportent ainsi le phénomène dissociatif précédemment décrit : « Je me sentais hébété et désorienté », « comme si le temps s’arrêtait », « la scène se répétait encore et encore », « je ne savais pas si ce qui arrivait était réel ou imaginaire ».
En fait, beaucoup des symptômes constatés lors d’une transe négative ou lors de ce qui a été appelé des effets négatifs (vertiges, céphalées, confusion, désorientation, anxiété ou panique, difficultés à se réveiller, distorsion des perceptions) sont les mêmes que ceux présents durant la première phase d’un état de choc biologique. L’hypnose présente de nombreux parallèles avec l’état de choc, avec un élément qui les différencie. Lorsqu’elle est utilisée cliniquement, l’hypnose aide l’esprit et le corps à utiliser l’absorption, la suggestibilité et la dissociation pour guérir ou se sentir mieux. En fait, on pourrait penser l’hypnose comme une re-création voulue par les systèmes automatiques corporels au service de leur propre réparation. Comme un système de sécurité intégré.
Cerveau et comportement
La recherche sur le cerveau et les théories concernant le comportement, la cognition et les émotions ont grandement contribué à notre compréhension du phénomène hypnotique. Inversement, l’utilisation des paradigmes hypnotiques par la recherche a accru notre compréhension de comment le cerveau et l’esprit fonctionnent. Plusieurs domaines de la recherche présentent un intérêt particulier pour notre étude de l’hypnose.
La plasticité cérébrale se réfère au fait que le cerveau et le système nerveux changent en fonction de l’expérience. De nouvelles cellules, de nouveaux dendrites, de nouvelles synapses peuvent se développer et former de nouvelles connections dans toutes les parties du cerveau, et ceci semble se produire tout au long de la vie. Par exemple, le cerveau peut être habitué à ce que nous écrivions avec notre main droite, mais si nous nous fracturons cette main, le cerveau, par la répétition, peut développer de nouveaux circuits moteurs neuronaux qui nous permettront d’écrire avec la main gauche.
L’habitude de se ronger les ongles peut exister, mais la plasticité cérébrale suggère que nous puissions développer une nouvelle habitude de prendre soin de nos ongles. Notre nouvelle compréhension de la neuro-physiologie nous procure une base scientifique pour expliquer que des changements puissent survenir avec la suggestion hypnotique.
Une autre découverte scientifique est que nous possédons tous des neurones miroirs. Un neurone miroir s’allume aussi bien lorsqu’un enfant effectue une action que quand cet enfant observe la même action faite par une autre personne. L’hypothèse actuelle est que nous pourrions apprendre des compétences sociales et langagières de cette manière. Par exemple, le petit enfant observe un parent sourire, et des neurones miroirs aident ensuite l’enfant à imiter ce sourire. Certains théoriciens se demandent si des neurones miroirs sont en jeu dans la construction de l’attachement. Dans le champ de l’hypnose, on considère que les neurones miroirs seraient importants dans la construction du rapport.
Avec les enfants, la réussite de l’hypnose dépend de celui de la relation que nous construisons avec eux. Les neurones miroirs pourraient également être importants dans l’établissement de nouveaux patterns respiratoires et de patterns de relaxation. Un des premiers « jeux » auxquels je joue avec les enfants anxieux est le jeu des poupées Raggedy . Je me comporte comme une poupée de tissu molle, décousue et relaxée. L’enfant lève mon bras et découvre que celui-ci retombe quand il le lâche. Je fais ensuite de même avec leur bras.
Habituellement les enfants anticipent que je vais lever leur bras, et utilisent leurs muscles pour m’aider. Cela prend quelque temps pour qu’ils arrivent à imiter un laisser-aller complet de la tension musculaire, mais une fois qu’ils y sont parvenus, ils peuvent facilement se relaxer. Les neurones miroirs les aident à apprendre, et ensuite, grâce à la suggestion, une réponse conditionnée est développée.
Par ailleurs, un autre aspect intéressant de la recherche esprit-corps est notre compréhension que les gènes paraissent capables d’être activés ou désactivés. Le travail d’Ernest Rossi sur la génomique examine certaines hypothèses faites à propos des gènes, et qui concerneraient l’effet que pourraient avoir sur les gènes la suggestion et le langage hypnotique qui parviendraient au cerveau, que cela soit consciemment ou inconsciemment.
Quand les cancérologues travaillent avec des enfants et font des suggestions qui encouragent le cerveau et le corps à être débarrassés du cancer, c’est avec l’espoir que peut-être un gène contrôlant la croissance du cancer sera désactivé. Cette science est trop récente pour nous dire quand cela fonctionne, et faire de telles suggestions positives capitalise sur ces nouvelles connaissances de la régulation génique.
La science du comportement, des émotions et de la cognition humaines a une longue histoire. Cette science nous enseigne que le cerveau est tout à fait remarquable dans sa capacité à la fois à séparer et à intégrer des perceptions et des significations, à stocker de la connaissance, à garder ou à décharger des souvenirs, et à coordonner tout cela avec le corps. Avec les enfants, je décris souvent cette spécialisation du cerveau en me référant au « cerveau sensible », au « cerveau pensant », au « cerveau mémoire » et au « cerveau image ». Pour le thérapeute, ce langage devient un rappel de l’importance qu’ont les modalités sensorielles.
Histoire de cas
Voici un exemple d’un tel langage utilisé avec des suggestions hypnotiques imbriquées, celui de Sarah, 9 ans. Elle avait eu une maladie chronique avec des difficultés respiratoires qui la rendaient fréquemment anxieuse après juste une simple infection virale. Cette visite s’est déroulée peu après un méchant rhume ayant duré quelques jours.
Thérapeute : « Sarah, te souviens-tu quand tu jouais au foot avec ton équipe le mois dernier ? Peux-tu utiliser ton “cerveau mémoire” et aller au match du mois dernier dont tu m’as parlé ? »
Sarah : fait oui de la tête.
T. : « Très bien. Et en utilisant ton “cerveau image”, regarde l’image de là où tu te trouvais quand l’équipe a gagné, et que tu étais si heureuse. Regarde les détails de cette image, les couleurs, le terrain de football, et les gens qui regardent le match. Prends juste en toi tous les détails de l’image, lentement et facilement, et tu peux souffler pour enlever tout ce que tu ne veux pas dans cette image. Tu peux utiliser ton “cerveau sensible” et respirer dans l’excitation et la joie de cette image. Tu peux sentir comme si ton excitation passait à travers ta peau et allait directement vers ton cœur joyeux. Ton “cerveau sensible” peut apprécier que ton “cerveau image” partage avec lui. Est-ce que c’est cela qui se passe en ce moment ? »
Sarah : approuve en souriant.
T. : « Et je me demande ce que ton “cerveau pensée” est en train de dire pendant que tu regardes cette image de plaisir et de succès, que tu inspires chaque souvenir de la réussite et de la victoire de l’équipe ? Est-il est en train de dire “Nous sommes les meilleurs” ? »
Sarah : « Nous méritions de gagner. »
T. : « Oui, c’est vrai. Vous avez travaillé et joué avec beaucoup de motivation et vous avez mérité de gagner. Et ton “cerveau mémoire” peut garder ce message avec toutes les bonnes sensations qui te remplissent à chaque fois que tu respires, et qui gonflent de fierté ta poitrine. »
Hypnose et développement de l’enfant
Maintenant que nous avons expliqué ce qu’est l’hypnose, et que nous avons commencé à examiner la science de l’esprit-corps, tournons notre attention vers l’utilisation de l’hypnose avec les enfants. Qu’est-ce qui les fait être de si bons sujets hypnotiques ?
Il y a une progression développementale de notre capacité hypnotique, de la naissance jusqu’à l’âge adulte. Rappelons que le cerveau se développe également dès la naissance, avec le cortex préfrontal, lieu le plus probablement responsable des aspects « observateur critique » et « conscience de soi » de notre esprit. Les petits enfants répondent aux paroles calmantes, aux berceuses et aux caresses en entrant, beaucoup plus que les animaux, dans des « états hypnotiques ».
La relaxation la plus élémentaire peut être considérée comme une transe ou un état hypnotique survenant naturellement. Respirer profondément, lentement et régulièrement avec un petit enfant peut produire des états d’absorption et de relaxation. On parle parfois à ce sujet de protohypnose.
En développant le langage et les compétences sociales, l’enfant de classe maternelle entre en transe par l’engagement de son imagination. Josephine Hilgard a forgé le terme d’engagement imaginatif’ pour décrire l’expérience hypnotique chez les enfants de 4 à 6 ans.
Elle a compris l’hypnose comme étant une extension de leurs idées (focalisation sur leurs jeux et leurs apprentissages) et de leurs rêveries habituelles. Les enfants ne traitent pas la réalité comme le font les adultes. Ils ont des inhibitions qui sont limitées, un enthousiasme pour l’apprentissage, et sont attirés de manière fascinante vers la croissance dans tous les domaines. Les enfants utilisent tous leurs sens lorsqu’ils absorbent et apprennent à manipuler l’énorme quantité d’expérience qui commence à la naissance.
Ils vivent les émotions avec intensité, ne sont pas encore conditionnés par la société à cacher ou émousser leurs émotions, et sont ainsi portés à des tendances régressives plus importantes. L’aspect concret de leur pensée littérale, leur capacité à s’absorber et à imaginer sont les qualités qui les font être de si bons sujets pour l’hypnose. La recherche montre que la capacité hypnotique présente un maximum entre 9 et 12 ans, et tend ensuite à diminuer tandis que le raisonnement abstrait se développe et que le cortex préfrontal prend le dessus.
Ainsi, l’enfant à la période de latence, avec le langage et la personnalité bien sur leurs rails sur le plan développemental, mais avec un cerveau qui n’est pas encore baigné par les sécrétions hormonales de l’adolescence, a la possibilité de naviguer de manière fluide entre conscient et inconscient, entre réalité et jeu, montrant de l’absorption, de la suggestibilité et les perceptions perceptuelles de le dissociation, c’est-à-dire ce que nous appelons un état hypnotique.
La plupart des cliniciens attribuent aux jeunes enfants un dénominateur commun de caractéristiques hypnotiques. Les enfants sont vraiment littéraux dans leur compréhension du langage. Les cliniciens doivent par conséquent utiliser un langage simple et le faire avec précaution. Ils doivent s’imprégner de ce qui est familier à l’enfant, dans la réalité comme dans l’imaginaire, et s’imprégner des conceptions que l’enfant a sur le monde.
Les enfants semblent préférer un style hypnotique paternaliste, c’est-à dire qui structure l’expérience en apporte des conseils imprégnés de leurs préférences personnelles, de manière à ce qu’ils aient du choix. Ajoutez à ce type de relation des compliments pour leurs réussites, beaucoup d’humour, et vous avez les ingrédients pour une expérience hypnotique réussie.
Psychothérapie - Thérapie par le jeu
Le domaine de l’aide thérapeutique aux enfants est complètement centré sur la question du changement : changer un comportement, une croyance, une émotion, un souvenir. Cela nécessite une relation, un rapport de confiance avec l’enfant. Cela requiert également une communication avec lui qui ne s’en remette pas uniquement au langage verbal. Le jeu est un outil extrêmement important pour la communication en psychothérapie. Une raison de cette importance est que le développement de l’enfant résulte de nombreuses fonctions que le jeu procure.
Il y a au moins quatre fonctions du jeu qui sont utiles à l’enfant :
- la fonction biologique (se relaxer et dépenser de l’énergie) ;
- la fonction intrapersonnelle (explorer et développer l’esprit et le corps, maîtriser des situations et des conflits par le symbolisme et l’accomplissement de désirs) ;
- la fonction interpersonnelle (développer des compétences sociales, réussir la séparation-individuation et la construction de l’identité) ;
- et la fonction socioculturelle (imiter les rôles désirés par l’enfant).
De plus, le développement de l’enfant, lorsqu’il est interrompu, peut être guéri par l’utilisation judicieuse du jeu thérapeutique.
Histoire de cas
Rachel, 8 ans, adorait inventer des histoires à propos de deux enfants d’une même famille qui avaient entrepris de partir à l’aventure pour explorer le monde. Les parents de Rachel étaient en train de divorcer et elle subissait le poids des crises de colère de sa mère. Ces orages verbaux étaient souvent très intenses et humiliants pour Rachel. J’avais su cela en observant la dynamique de la famille, et sûrement pas ce que la fillette m’avait dit.
A la maison, elle était un « public captif », sans espoir de s’échapper. Lors d’un jeu de rôle spectaculaire avec une poupée, Rachel raconta une succession d’histoires : celle d’une petite fille qui déjouait la surveillance des adultes, puis trouvait sa subsistance et un abri dans des circonstances inhabituelles. Partout où elle se rendait, elle réunissait d’autres orphelins, des enfants, et mêmes des adolescents qui semblaient « materner » le groupe. Ses personnages étaient toujours pleins de ressources et résilients.
Lors de ce jeu, Rachel me donna à jouer le rôle des parents. Je le fis en me tourmentant, en me demandant en pleurant où mes enfants étaient partis et comment ils avaient pu disparaître. De temps en temps les enfants laissaient des billets indiquant qu’ils s’étaient enfuis, mais le plus souvent j’étais un parent endeuillé et sans indice sur ce qui était arrivé à mes enfants. Je louai un détective privé pour partir à leur recherche.
Rachel exigea que je sois le plus stupide détective qui ait jamais existé, et fit en sorte que la police, à laquelle j’essayais aussi de recourir, soit complètement incompétente. Dans le rôle du détective, j’avais à annoncer la décevante nouvelle aux parents qui gémissaient bruyamment sur la perte définitive de leurs enfants. J’étais absolument sans espoir de les retrouver.
Où les suggestions hypnotiques trouvèrent-elles leur place dans ce jeu ?
Chacun des rôles que je jouais contenait régulièrement le thème du désespoir. Je jouais en miroir la totalité des émotions que Rachel vivait avec sa mère – l’impuissance. Dans chaque rôle, je donnais des suggestions sur le maternage normal, le parentage normal, comme : « Oh ! que puis-je faire moi qui suis un parent ? Il n’y a rien d’aussi précieux pour moi que mes enfants ! Comment serais-je un jour de nouveau heureuse avant que je ne les trouve ? Je dois avoir fait quelque chose d’horrible pour qu’ils aient dû s’enfuir. » Cette déclaration provoquait à chaque fois un sourire sur le visage de Rachel et ses poupées, elles s’animaient devant ce comportement maternel adapté.
Le thérapeute jouant la mère : « Si le détective les retrouve (il localisait toujours les enfants, mais ceux-ci prenaient alors la fuite, et les parent avaient des mises à jour des rapports du détective), et s’ils rentrent à la maison, je promets de changer pour me comporter de manière qu’ils n’aient plus jamais envie de s’enfuir à nouveau », continuais-je.
Rachel : « Elle ne peut pas changer. » (Maintenant Rachel est absorbée dans son affect, et en train de répondre à la suggestion hypnotique – qui est trop directe, trop consciente pour elle. Je m’en rends compte car au lieu de parler à la poupée-mère directement, par exemple « Tu ne peux pas changer », elle s’adresse à elle à la troisième personne, probablement en pensant à sa propre mère réelle.)
T. jouant le détective : « Tout le monde peut changer son comportement, surtout une mère qui sait qu’elle a fait s’enfuir ses enfants. J’en ai vu plein dans mon travail. J’ai vu plein de mauvais types changer complètement leur vie et arrêter complètement d’être des criminels. » (Je déplace la suggestion vers une métaphore sur les policiers et les criminels de façon à ce qu’elle soit moins consciente.)
Rachel, continuant de parler au détective : « Ouais, mais les parent ne sont pas des criminels. » (Je comprends cela comme une augmentation de son désespoir que les choses ne vont pas changer.)
T. jouant le détective : « Non, mais certains parents sont mauvais et ont besoin de changer. Ces parents ont vraiment l’air prêts à changer. Ils m’ont embauché – n’est-ce pas le cas ? – pour que je retrouve les enfants perdus. » Bingo ! Le comportement de Rachel se modifie soudain, elle se détend et décide de finir l’histoire pour aujourd’hui. Elle fait revenir les enfants de leur aventure et les place dans leur maison avec les parents.
Une question posée par ce travail/jeu porte sur quand être dans l’attitude de reflet et quand fournir des expériences correctrices. Il n’existe pas de procédure pas à pas qui soit simplement à appliquer, si ce n’est commencer par refléter (se rappeler des neurones miroirs et de la construction du rapport) et, lorsque l’enfant paraît pleinement absorbé, donner une suggestion correctrice et observer la réponse. Dans cet exemple, la modification dans le comportement de Rachel m’amena à croire qu’elle avait pris la suggestion qu’il y avait de l’espoir que les parents changent.
Le jeu comme hypnose
Je considère le jeu thérapeutique comme une forme d’hypnose. Le jeu et l’hypnose partagent plusieurs caractéristiques. Rappelons-nous la précédente description de l’hypnose. Celle-ci nécessite un état d’absorption intense. Cette même attention concentrée est observée chez l’enfant lors de ses jeux imaginatifs. L’expérience sensorielle occupe totalement son esprit. La dissociation du temps, du corps, des pensées et des sensations peut survenir pendant l’hypnose.
De manière similaire, durant le jeu, l’enfant entre dans le monde de l’imaginaire et se met à en faire partie. La suggestibilité, qui est la marque de fabrique de l’état hypnotique, trouve un équivalent dans le jeu, l’imagination de l’enfant produisant des suggestions qui sont facilement mises en acte. Jouer peut consister à s’impliquer dans le jeu favori de l’enfant, réaliser des tours de magie, jouer un rôle ou lire une histoire impliquant l’animal favori de l’enfant, monter un spectacle de marionnettes, construire un château, faire bouger des poupées dans une maison de poupées, réaliser des histoires dans un plateau contenant du sable, dessiner, ou toute autre activité qui intéresse l’enfant et qui accède aux dynamiques psychologiques internes sur lesquelles l’enfant peut être focalisé.
Celles-ci peuvent être des dynamiques impliquant la maîtrise et le développement, ou peuvent avoir trait à des expériences traumatiques ayant affecté le développement. Habituellement, les enfants en traitement psychothérapique sont là pour franchir les étapes du développement normal qui amène généralement au déblocage des potentialités, au soulagement de la douleur et de la souffrance, à l’apprentissage de compétences adaptatives, au recadrage d’expériences traumatiques et à la construction d’une bonne estime de soi.
La cadre du trauma
Il m’a semblé utile de conceptualiser l’enfance comme une série de traumas à partir duquel nous grandissons. Cela peut laisser des cicatrices, mais, comme l’arbre qui perd ses branches lors d’un gros orage, si cela ne nous tue pas, nous persévérons ou avec de la résilience et des réserves énergétiques, ou de façon rigide, perturbée et dysfonctionnelle. Ce cadre de référence traumatique à propos de la vie de l’enfant est un cadre complexe, et qui est même sujet à controverses.
Si nous définissons le trauma de façon large - ma définition favorite est celle de Lindemann : « Arrêt soudain de l’interaction humaine » -, il est aisé de concevoir que celui-ci peut commencer dès la naissance. Si on examine les commentaires de Peter Levine à propos du trauma, nous sommes renvoyés à la biologie que j’ai brièvement passée en revue précédemment :
« Le trauma est peut-être la cause de souffrance humaine la plus évitée, ignorée, sous-estimée, niée, mal comprise et non traitée. Bien qu’il soit la source d’immenses détresses et dysfonctionnements, il n’est considéré ni comme une affection ni comme une maladie, mais est vu comme le dérivé d’un état altéré de conscience qui s’établit de façon instinctive. Nous entrons dans cet état altéré – appelons-le mode survie - lorsque nous percevons que notre vie est sur le point d’être menacée. Si nous sommes bouleversés par la menace et incapables de réussir à nous défendre, nous pouvons devenir immobilisés en mode survie. Cet état d’hyperéveil est uniquement destiné à inactiver des comportements de défense immédiate. Mais avec le temps, s’il n’est pas traité, il commence à constituer les symptômes du trauma. »
Le trauma ainsi défini reflète l’état de transe, avec un rétrécissement de l’attention, une dissociation et une altération des sensations et des perceptions.
Une autre définition, plus classique, du trauma est celle de McCann et Pearlman , définition qui inclut l’impuissance. Ces auteurs définissent une expérience comme traumatique si elle est soudaine, inattendue ou anormale, dépassant les capacités perceptives du sujet pour faire face à ses besoins, et bouleversant son cadre de référence personnel, ses autres besoins psychologiques essentiels et les schémas qui leurs sont liés.
Il est important, à propos de ce que j’évoque ici, de faire la distinction entre Trauma (grand T) et trauma (petit t). Il existe des événements majeurs dans la vie que nous considérons tous comme traumatiques quand des êtres humains y sont confrontés. Par exemple, des catastrophes naturelles telles que des éruptions volcaniques, des tsunamis, des ouragans touchant des zones fortement peuplées, la guerre avec ses victimes civiles et militaires, des violeurs en série terrorisant une population.
Nous considérons la pédophilie sous toutes ses formes comme un trauma. Cependant, lorsque nous commençons à examiner la réponse individuelle d’un enfant perdant sa mère dans un magasin, ou celle de votre petit frère qui va à l’hôpital, nous notons qu’il existe un trauma pour un certain nombre d’enfants, et pourtant nous pouvons considérer un tel événement comme non réellement approprié à une telle appellation. J’appelle ceux-ci des traumas (petit t) ; pas seulement car le trauma est mineur mais parce que la situation ne sera pas universellement considérée comme traumatique pour un enfant.
L’évaluation et le traitement du trauma n’étant pas le sujet de cet article, nous dirons juste un mot sur comment le jeu post-traumatique est utile dans ce cadre de référence où le trauma nous structure et le jeu nous restructure. Le jeu post-traumatique, à une extrémité du continuum du jeu, est caractérisé par une répétition compulsive de certains comportements de jeu, un lien inconscient entre le jeu et le(s) événement(s) réels, un littéralisme du jeu qui inclut une représentation du danger, et un manque de spontanéité et de plaisir.
Le jeu est bloqué en mode survie. Le jeu sain, à l’autre bout du continuum, est généralement amusant et soulage l’anxiété. Le jeu post-traumatique n’arrive pas à soulager l’anxiété et peut même en fait l’augmenter. Cela signifie qu’observer un enfant pendant qu’il joue peut être utilisé pour évaluer les symptômes de l’enfant et pour discerner ce qui a été traumatique. Lorsque le jeu est structuré de façon adaptée à la prévention du jeu post-traumatique, le jeu thérapeutique peut être utilisé pour renforcer le moi et guérir le trauma.
Histoire de cas
Alors qu’il avait 18 mois, le petit Greg perdit son frère qui décéda pendant une chirurgie visant à corriger une malformation cardiaque. Le comportement de l’enfant commença à s’agiter de manière croissante et, après quelques mois, ses parents se mirent à la recherche d’une thérapie, se demandant si leur enfant serait un jour capable de comprendre le caractère définitif de la perte. Ils lui avaient dit à de nombreuses reprises que son frère était mort et qu’il ne reviendrait pas à la maison. Greg répondait qu’il comprenait et demandait ensuite : « Revient-il aujourd’hui ? » Sur le plan développemental c’est un phénomène tout à fait naturel – les bébés ne comprennent absolument pas la mort ou en tout cas son irréversibilité.
Lorsqu’ils sont au stade pré-opératoire décrit pas Piaget, nous pensons que les enfants croient la mort réversible, temporaire ou comme un simple sommeil.
Je fis jouer à Greg son jeu favori : construire des édifices. Il avait à prendre des figurines qui soient fières et fortes (ça pouvait être des méchants) et à les « enterrer » à l’intérieur des forts qu’il avait construits. Il devait dire « Prends ça ! », « Il ne pourra plus sortir ! ». Ensuite, il devait récupérer la figurine à l’intérieur et la ressusciter de manière triomphante. Je commençai par observer ce jeu très intense, et constatai l’extrême absorption de Greg.
Je fis l’hypothèse que le thème de l’histoire paraissait concerner la perte du frère, le désir de le retrouver, et peut-être une croyance que les gens étaient enterrés à cause de leur méchanceté (que son frère avait été méchant, ou même que quelque chose s’était passé entre eux et que Greg se sentait coupable que son frère soit mort ensuite). C’était des hypothèses de travail qui restaient à tester au moyen de notre jeu.
Celui-ci présentait des caractéristiques post-traumatiques modérées : très répétitif et obsédant, avec une activité de plus en plus marquée de l’enfant. Je décidai que Greg n’avait pas besoin d’être redirigé, mais simplement d’avoir son pattern de jeu interrompu hypnotiquement par une suggestion correctrice.
Après quelques séances de ce jeu, je me mis à imiter le comportement de Greg. J’enterrai les figurines avec la même conviction, répétai les mêmes mots que lui. C’est un moyen important pour renforcer l’état de transe.
En alliant comportements non verbaux et verbaux, le thérapeute renvoie à l’enfant qu’il comprend son monde interne. C’est une sorte de « pensée qui peut être vue trop fort ». Au moment où vous êtes en train de commencer à créer davantage de dissociation du fait que l’enfant vous regarde (une image en miroir de son propre comportement), l’enfant peut comme sortir de lui-même. Il y eut ensuite plusieurs séances du même genre. Pendant que j’imitais le comportement de Greg, je commençais un pacing hypnotique de telle manière que, après avoir suivi Greg, je commençais à le mener.
« Ces gars sont tellement forts, fiers et puissants. Ils peuvent devenir de bons types, forts et fiers aussi. Ce gars m’a même aidé à construire ce château », dis-je avec une grande conviction. Greg avait les yeux fixés sur ma figurine, et ses gestes restaient suspendus en l’air. (Il est important d’observer soigneusement le comportement de l’enfant, car il va vous indiquer le moment opportun pour faire des suggestions. C’était maintenant le moment.) « Tu sais que quelquefois même les gars les plus forts et les plus fiers doivent s’en aller.
Ce gars va aller profondément à l’intérieur du château, pour toujours, et il sera fort, et puissant, et bon. » Greg m’observa mettre la figurine et la laisser à l’intérieur. Nous recommençâmes avec quelques autres figurines, je répétai à chaque fois la même suggestion, puis Greg annonça que le jeu était fini. Toutes les figurines étaient « enterrées » pour toujours.
Par la suite, Greg ne rejoua plus à ce jeu. Ses parents me dirent que l’agitation s’était arrêtée, tout comme les questions à propos du retour de son frère. Il avait alors un peu plus de 2 ans et cette très grande perte traumatique paraissait moins perturbante.
Il peut y avoir d’autres façons d’analyser ou d’interpréter ce travail. Chacun d’entre nous travaille à partir de sa propre vision du monde et de ses propres schémas. Ce qui est similaire lors d’un décès, ce sont les thèmes qui sont présents dans le jeu qu’utilise l’enfant pour exprimer ce qui est traumatique. Il y aura des thèmes qui sont souvent observés dans les cas d’enfants abusés, par exemple le bien contre le mal, la confiance et la trahison, la protection et l’agression ou la mort comme conséquence d’un mauvais choix.
Nous pourrions les voir comme les archétypes universels qui sont présents en chacun de nous. Kalsched a étendu l’usage de l’archétype jungien afin de comprendre son rôle dans les systèmes résilients de l’esprit. Un tel regard porte facilement à considérer les objets - réels ou imaginés - que l’enfant utilise comme étant le lien avec les images et les sentiments inconscients, non verbalisés, qui contribuent à son ou ses symptômes.
Dans ce type de travail, de nombreux thérapeutes se demandent ce qui peut se passer en cas de suggestion inadaptée. C’est une bonne question. Comme c’est le cas avec toute suggestion hypnotique, si elle ne convient pas elle est alors ignorée. Nous faisons attention de faire des suggestions qui ne blessent pas, et soient dans le pire des cas juste des mots superflus. J’ai dû faire un certain nombre de tentatives avant de trouver les mots qui marchaient avec Greg.
Et comment ai-je su que j’arrivais à bien suivre le jeu post-traumatique ? En « trempant un orteil dans l’eau » pour voir comment Greg répondrait. Pendant que je regardais mon jeu avec la même absorption que la sienne, je savais que je pouvais continuer. S’il m’avait dit de m’arrêter, ou indiqué de quelque manière que je devais le laisser jouer seul, cela aurait signifié pour moi qu’il était trop tôt pour avancer.
Le yin et le yang du travail thérapeutique est de créer la structure de sécurité afin de pouvoir faire le travail plus profond avec les émotions anxieuses pénibles.
En ayant à l’esprit que le trauma fait partie de la croissance et du développement, qu’il est un principe organisateur pour la thérapie, et que l’état ludique ressemble à l’état hypnotique qui ressemble lui-même à l’état de choc biologique, regardons maintenant comment intégrer les suggestions hypnotiques au jeu thérapeutique.
Le domaine de l’aide thérapeutique aux enfants est complètement centré sur la question du changement : changer un comportement, une croyance, une émotion, un souvenir. Cela nécessite une relation, un rapport de confiance avec l’enfant. Cela requiert également une communication avec lui qui ne s’en remette pas uniquement au langage verbal. Le jeu est un outil extrêmement important pour la communication en psychothérapie. Une raison de cette importance est que le développement de l’enfant résulte de nombreuses fonctions que le jeu procure.
Il y a au moins quatre fonctions du jeu qui sont utiles à l’enfant :
- la fonction biologique (se relaxer et dépenser de l’énergie) ;
- la fonction intrapersonnelle (explorer et développer l’esprit et le corps, maîtriser des situations et des conflits par le symbolisme et l’accomplissement de désirs) ;
- la fonction interpersonnelle (développer des compétences sociales, réussir la séparation-individuation et la construction de l’identité) ;
- et la fonction socioculturelle (imiter les rôles désirés par l’enfant).
De plus, le développement de l’enfant, lorsqu’il est interrompu, peut être guéri par l’utilisation judicieuse du jeu thérapeutique.
Histoire de cas
Rachel, 8 ans, adorait inventer des histoires à propos de deux enfants d’une même famille qui avaient entrepris de partir à l’aventure pour explorer le monde. Les parents de Rachel étaient en train de divorcer et elle subissait le poids des crises de colère de sa mère. Ces orages verbaux étaient souvent très intenses et humiliants pour Rachel. J’avais su cela en observant la dynamique de la famille, et sûrement pas ce que la fillette m’avait dit.
A la maison, elle était un « public captif », sans espoir de s’échapper. Lors d’un jeu de rôle spectaculaire avec une poupée, Rachel raconta une succession d’histoires : celle d’une petite fille qui déjouait la surveillance des adultes, puis trouvait sa subsistance et un abri dans des circonstances inhabituelles. Partout où elle se rendait, elle réunissait d’autres orphelins, des enfants, et mêmes des adolescents qui semblaient « materner » le groupe. Ses personnages étaient toujours pleins de ressources et résilients.
Lors de ce jeu, Rachel me donna à jouer le rôle des parents. Je le fis en me tourmentant, en me demandant en pleurant où mes enfants étaient partis et comment ils avaient pu disparaître. De temps en temps les enfants laissaient des billets indiquant qu’ils s’étaient enfuis, mais le plus souvent j’étais un parent endeuillé et sans indice sur ce qui était arrivé à mes enfants. Je louai un détective privé pour partir à leur recherche.
Rachel exigea que je sois le plus stupide détective qui ait jamais existé, et fit en sorte que la police, à laquelle j’essayais aussi de recourir, soit complètement incompétente. Dans le rôle du détective, j’avais à annoncer la décevante nouvelle aux parents qui gémissaient bruyamment sur la perte définitive de leurs enfants. J’étais absolument sans espoir de les retrouver.
Où les suggestions hypnotiques trouvèrent-elles leur place dans ce jeu ?
Chacun des rôles que je jouais contenait régulièrement le thème du désespoir. Je jouais en miroir la totalité des émotions que Rachel vivait avec sa mère – l’impuissance. Dans chaque rôle, je donnais des suggestions sur le maternage normal, le parentage normal, comme : « Oh ! que puis-je faire moi qui suis un parent ? Il n’y a rien d’aussi précieux pour moi que mes enfants ! Comment serais-je un jour de nouveau heureuse avant que je ne les trouve ? Je dois avoir fait quelque chose d’horrible pour qu’ils aient dû s’enfuir. » Cette déclaration provoquait à chaque fois un sourire sur le visage de Rachel et ses poupées, elles s’animaient devant ce comportement maternel adapté.
Le thérapeute jouant la mère : « Si le détective les retrouve (il localisait toujours les enfants, mais ceux-ci prenaient alors la fuite, et les parent avaient des mises à jour des rapports du détective), et s’ils rentrent à la maison, je promets de changer pour me comporter de manière qu’ils n’aient plus jamais envie de s’enfuir à nouveau », continuais-je.
Rachel : « Elle ne peut pas changer. » (Maintenant Rachel est absorbée dans son affect, et en train de répondre à la suggestion hypnotique – qui est trop directe, trop consciente pour elle. Je m’en rends compte car au lieu de parler à la poupée-mère directement, par exemple « Tu ne peux pas changer », elle s’adresse à elle à la troisième personne, probablement en pensant à sa propre mère réelle.)
T. jouant le détective : « Tout le monde peut changer son comportement, surtout une mère qui sait qu’elle a fait s’enfuir ses enfants. J’en ai vu plein dans mon travail. J’ai vu plein de mauvais types changer complètement leur vie et arrêter complètement d’être des criminels. » (Je déplace la suggestion vers une métaphore sur les policiers et les criminels de façon à ce qu’elle soit moins consciente.)
Rachel, continuant de parler au détective : « Ouais, mais les parent ne sont pas des criminels. » (Je comprends cela comme une augmentation de son désespoir que les choses ne vont pas changer.)
T. jouant le détective : « Non, mais certains parents sont mauvais et ont besoin de changer. Ces parents ont vraiment l’air prêts à changer. Ils m’ont embauché – n’est-ce pas le cas ? – pour que je retrouve les enfants perdus. » Bingo ! Le comportement de Rachel se modifie soudain, elle se détend et décide de finir l’histoire pour aujourd’hui. Elle fait revenir les enfants de leur aventure et les place dans leur maison avec les parents.
Une question posée par ce travail/jeu porte sur quand être dans l’attitude de reflet et quand fournir des expériences correctrices. Il n’existe pas de procédure pas à pas qui soit simplement à appliquer, si ce n’est commencer par refléter (se rappeler des neurones miroirs et de la construction du rapport) et, lorsque l’enfant paraît pleinement absorbé, donner une suggestion correctrice et observer la réponse. Dans cet exemple, la modification dans le comportement de Rachel m’amena à croire qu’elle avait pris la suggestion qu’il y avait de l’espoir que les parents changent.
Le jeu comme hypnose
Je considère le jeu thérapeutique comme une forme d’hypnose. Le jeu et l’hypnose partagent plusieurs caractéristiques. Rappelons-nous la précédente description de l’hypnose. Celle-ci nécessite un état d’absorption intense. Cette même attention concentrée est observée chez l’enfant lors de ses jeux imaginatifs. L’expérience sensorielle occupe totalement son esprit. La dissociation du temps, du corps, des pensées et des sensations peut survenir pendant l’hypnose.
De manière similaire, durant le jeu, l’enfant entre dans le monde de l’imaginaire et se met à en faire partie. La suggestibilité, qui est la marque de fabrique de l’état hypnotique, trouve un équivalent dans le jeu, l’imagination de l’enfant produisant des suggestions qui sont facilement mises en acte. Jouer peut consister à s’impliquer dans le jeu favori de l’enfant, réaliser des tours de magie, jouer un rôle ou lire une histoire impliquant l’animal favori de l’enfant, monter un spectacle de marionnettes, construire un château, faire bouger des poupées dans une maison de poupées, réaliser des histoires dans un plateau contenant du sable, dessiner, ou toute autre activité qui intéresse l’enfant et qui accède aux dynamiques psychologiques internes sur lesquelles l’enfant peut être focalisé.
Celles-ci peuvent être des dynamiques impliquant la maîtrise et le développement, ou peuvent avoir trait à des expériences traumatiques ayant affecté le développement. Habituellement, les enfants en traitement psychothérapique sont là pour franchir les étapes du développement normal qui amène généralement au déblocage des potentialités, au soulagement de la douleur et de la souffrance, à l’apprentissage de compétences adaptatives, au recadrage d’expériences traumatiques et à la construction d’une bonne estime de soi.
La cadre du trauma
Il m’a semblé utile de conceptualiser l’enfance comme une série de traumas à partir duquel nous grandissons. Cela peut laisser des cicatrices, mais, comme l’arbre qui perd ses branches lors d’un gros orage, si cela ne nous tue pas, nous persévérons ou avec de la résilience et des réserves énergétiques, ou de façon rigide, perturbée et dysfonctionnelle. Ce cadre de référence traumatique à propos de la vie de l’enfant est un cadre complexe, et qui est même sujet à controverses.
Si nous définissons le trauma de façon large - ma définition favorite est celle de Lindemann : « Arrêt soudain de l’interaction humaine » -, il est aisé de concevoir que celui-ci peut commencer dès la naissance. Si on examine les commentaires de Peter Levine à propos du trauma, nous sommes renvoyés à la biologie que j’ai brièvement passée en revue précédemment :
« Le trauma est peut-être la cause de souffrance humaine la plus évitée, ignorée, sous-estimée, niée, mal comprise et non traitée. Bien qu’il soit la source d’immenses détresses et dysfonctionnements, il n’est considéré ni comme une affection ni comme une maladie, mais est vu comme le dérivé d’un état altéré de conscience qui s’établit de façon instinctive. Nous entrons dans cet état altéré – appelons-le mode survie - lorsque nous percevons que notre vie est sur le point d’être menacée. Si nous sommes bouleversés par la menace et incapables de réussir à nous défendre, nous pouvons devenir immobilisés en mode survie. Cet état d’hyperéveil est uniquement destiné à inactiver des comportements de défense immédiate. Mais avec le temps, s’il n’est pas traité, il commence à constituer les symptômes du trauma. »
Le trauma ainsi défini reflète l’état de transe, avec un rétrécissement de l’attention, une dissociation et une altération des sensations et des perceptions.
Une autre définition, plus classique, du trauma est celle de McCann et Pearlman , définition qui inclut l’impuissance. Ces auteurs définissent une expérience comme traumatique si elle est soudaine, inattendue ou anormale, dépassant les capacités perceptives du sujet pour faire face à ses besoins, et bouleversant son cadre de référence personnel, ses autres besoins psychologiques essentiels et les schémas qui leurs sont liés.
Il est important, à propos de ce que j’évoque ici, de faire la distinction entre Trauma (grand T) et trauma (petit t). Il existe des événements majeurs dans la vie que nous considérons tous comme traumatiques quand des êtres humains y sont confrontés. Par exemple, des catastrophes naturelles telles que des éruptions volcaniques, des tsunamis, des ouragans touchant des zones fortement peuplées, la guerre avec ses victimes civiles et militaires, des violeurs en série terrorisant une population.
Nous considérons la pédophilie sous toutes ses formes comme un trauma. Cependant, lorsque nous commençons à examiner la réponse individuelle d’un enfant perdant sa mère dans un magasin, ou celle de votre petit frère qui va à l’hôpital, nous notons qu’il existe un trauma pour un certain nombre d’enfants, et pourtant nous pouvons considérer un tel événement comme non réellement approprié à une telle appellation. J’appelle ceux-ci des traumas (petit t) ; pas seulement car le trauma est mineur mais parce que la situation ne sera pas universellement considérée comme traumatique pour un enfant.
L’évaluation et le traitement du trauma n’étant pas le sujet de cet article, nous dirons juste un mot sur comment le jeu post-traumatique est utile dans ce cadre de référence où le trauma nous structure et le jeu nous restructure. Le jeu post-traumatique, à une extrémité du continuum du jeu, est caractérisé par une répétition compulsive de certains comportements de jeu, un lien inconscient entre le jeu et le(s) événement(s) réels, un littéralisme du jeu qui inclut une représentation du danger, et un manque de spontanéité et de plaisir.
Le jeu est bloqué en mode survie. Le jeu sain, à l’autre bout du continuum, est généralement amusant et soulage l’anxiété. Le jeu post-traumatique n’arrive pas à soulager l’anxiété et peut même en fait l’augmenter. Cela signifie qu’observer un enfant pendant qu’il joue peut être utilisé pour évaluer les symptômes de l’enfant et pour discerner ce qui a été traumatique. Lorsque le jeu est structuré de façon adaptée à la prévention du jeu post-traumatique, le jeu thérapeutique peut être utilisé pour renforcer le moi et guérir le trauma.
Histoire de cas
Alors qu’il avait 18 mois, le petit Greg perdit son frère qui décéda pendant une chirurgie visant à corriger une malformation cardiaque. Le comportement de l’enfant commença à s’agiter de manière croissante et, après quelques mois, ses parents se mirent à la recherche d’une thérapie, se demandant si leur enfant serait un jour capable de comprendre le caractère définitif de la perte. Ils lui avaient dit à de nombreuses reprises que son frère était mort et qu’il ne reviendrait pas à la maison. Greg répondait qu’il comprenait et demandait ensuite : « Revient-il aujourd’hui ? » Sur le plan développemental c’est un phénomène tout à fait naturel – les bébés ne comprennent absolument pas la mort ou en tout cas son irréversibilité.
Lorsqu’ils sont au stade pré-opératoire décrit pas Piaget, nous pensons que les enfants croient la mort réversible, temporaire ou comme un simple sommeil.
Je fis jouer à Greg son jeu favori : construire des édifices. Il avait à prendre des figurines qui soient fières et fortes (ça pouvait être des méchants) et à les « enterrer » à l’intérieur des forts qu’il avait construits. Il devait dire « Prends ça ! », « Il ne pourra plus sortir ! ». Ensuite, il devait récupérer la figurine à l’intérieur et la ressusciter de manière triomphante. Je commençai par observer ce jeu très intense, et constatai l’extrême absorption de Greg.
Je fis l’hypothèse que le thème de l’histoire paraissait concerner la perte du frère, le désir de le retrouver, et peut-être une croyance que les gens étaient enterrés à cause de leur méchanceté (que son frère avait été méchant, ou même que quelque chose s’était passé entre eux et que Greg se sentait coupable que son frère soit mort ensuite). C’était des hypothèses de travail qui restaient à tester au moyen de notre jeu.
Celui-ci présentait des caractéristiques post-traumatiques modérées : très répétitif et obsédant, avec une activité de plus en plus marquée de l’enfant. Je décidai que Greg n’avait pas besoin d’être redirigé, mais simplement d’avoir son pattern de jeu interrompu hypnotiquement par une suggestion correctrice.
Après quelques séances de ce jeu, je me mis à imiter le comportement de Greg. J’enterrai les figurines avec la même conviction, répétai les mêmes mots que lui. C’est un moyen important pour renforcer l’état de transe.
En alliant comportements non verbaux et verbaux, le thérapeute renvoie à l’enfant qu’il comprend son monde interne. C’est une sorte de « pensée qui peut être vue trop fort ». Au moment où vous êtes en train de commencer à créer davantage de dissociation du fait que l’enfant vous regarde (une image en miroir de son propre comportement), l’enfant peut comme sortir de lui-même. Il y eut ensuite plusieurs séances du même genre. Pendant que j’imitais le comportement de Greg, je commençais un pacing hypnotique de telle manière que, après avoir suivi Greg, je commençais à le mener.
« Ces gars sont tellement forts, fiers et puissants. Ils peuvent devenir de bons types, forts et fiers aussi. Ce gars m’a même aidé à construire ce château », dis-je avec une grande conviction. Greg avait les yeux fixés sur ma figurine, et ses gestes restaient suspendus en l’air. (Il est important d’observer soigneusement le comportement de l’enfant, car il va vous indiquer le moment opportun pour faire des suggestions. C’était maintenant le moment.) « Tu sais que quelquefois même les gars les plus forts et les plus fiers doivent s’en aller.
Ce gars va aller profondément à l’intérieur du château, pour toujours, et il sera fort, et puissant, et bon. » Greg m’observa mettre la figurine et la laisser à l’intérieur. Nous recommençâmes avec quelques autres figurines, je répétai à chaque fois la même suggestion, puis Greg annonça que le jeu était fini. Toutes les figurines étaient « enterrées » pour toujours.
Par la suite, Greg ne rejoua plus à ce jeu. Ses parents me dirent que l’agitation s’était arrêtée, tout comme les questions à propos du retour de son frère. Il avait alors un peu plus de 2 ans et cette très grande perte traumatique paraissait moins perturbante.
Il peut y avoir d’autres façons d’analyser ou d’interpréter ce travail. Chacun d’entre nous travaille à partir de sa propre vision du monde et de ses propres schémas. Ce qui est similaire lors d’un décès, ce sont les thèmes qui sont présents dans le jeu qu’utilise l’enfant pour exprimer ce qui est traumatique. Il y aura des thèmes qui sont souvent observés dans les cas d’enfants abusés, par exemple le bien contre le mal, la confiance et la trahison, la protection et l’agression ou la mort comme conséquence d’un mauvais choix.
Nous pourrions les voir comme les archétypes universels qui sont présents en chacun de nous. Kalsched a étendu l’usage de l’archétype jungien afin de comprendre son rôle dans les systèmes résilients de l’esprit. Un tel regard porte facilement à considérer les objets - réels ou imaginés - que l’enfant utilise comme étant le lien avec les images et les sentiments inconscients, non verbalisés, qui contribuent à son ou ses symptômes.
Dans ce type de travail, de nombreux thérapeutes se demandent ce qui peut se passer en cas de suggestion inadaptée. C’est une bonne question. Comme c’est le cas avec toute suggestion hypnotique, si elle ne convient pas elle est alors ignorée. Nous faisons attention de faire des suggestions qui ne blessent pas, et soient dans le pire des cas juste des mots superflus. J’ai dû faire un certain nombre de tentatives avant de trouver les mots qui marchaient avec Greg.
Et comment ai-je su que j’arrivais à bien suivre le jeu post-traumatique ? En « trempant un orteil dans l’eau » pour voir comment Greg répondrait. Pendant que je regardais mon jeu avec la même absorption que la sienne, je savais que je pouvais continuer. S’il m’avait dit de m’arrêter, ou indiqué de quelque manière que je devais le laisser jouer seul, cela aurait signifié pour moi qu’il était trop tôt pour avancer.
Le yin et le yang du travail thérapeutique est de créer la structure de sécurité afin de pouvoir faire le travail plus profond avec les émotions anxieuses pénibles.
En ayant à l’esprit que le trauma fait partie de la croissance et du développement, qu’il est un principe organisateur pour la thérapie, et que l’état ludique ressemble à l’état hypnotique qui ressemble lui-même à l’état de choc biologique, regardons maintenant comment intégrer les suggestions hypnotiques au jeu thérapeutique.