L’éjaculation prématurée : un symptôme qui a du sens. Par Patrice Cudicio pour Revue Sexualités Humaines

Jasmine Saunier, journaliste, interroge Patrice Cudicio, médecin sexologue
Un sexologue d’expérience répond à la lumière de sa pratique clinique.



Préambule

Il est nécessaire de revenir aux définitions du problème afin de lui donner tout son sens…
Le mot « éjaculation » apparaît en 1552. Il vient du latin ejaculare ou ejaculari, qui signifie « lancer comme un javelot ». On y retrouve le terme jaculum, qui veut dire « javelot », lui-même issu de jacere, qui se traduit par « jeter ». L’éjaculation est l’émission de sperme. Le mot « précoce » vient aussi du latin praecox, de prae, « avant », et cuquere, « cuire », « cuit » ou « mûr » (pour les fruits). Le terme apparaît en 1672. D’après Le Robert, ce mot renvoie à un phénomène qui survient, ou se développe, en avance par rapport au temps attendu. « Précoce » et « prématuré » sont synonymes, même si le premier est entaché d’une connotation légèrement négative. L’expression « éjaculation précoce » signifie donc une émission de sperme qui advient en avance par rapport au temps normal.

Dans un ouvrage, intitulé Le Petit Citateur, notes érotiques et pornographiques de 1881, l’éjaculation est définie par la comtesse de N*** comme : « Emission de la liqueur séminale de l’homme. Crise voluptueuse qui termine tout acte vénérien, et qui amène avec elle cette sensation suprême, indéfinissable, que Dieu n’a voulu nous donner que pendant un instant ; car si elle durait plus longtemps, elle suspendrait la vie. »


Quelques définitions

Ejaculation prématurée est une traduction de « premature ejaculation ». Utilisée par Masters et Johnson, pionniers américains de la sexologie. Elle sert à décrire une plainte sexuelle des plus frustrantes. L’éjaculation survient trop vite pour que les partenaires puissent prendre plaisir à l’acte sexuel, et surtout parvenir à la jouissance de l’orgasme, conclusion extatique tant souhaitée.
Pour la sexologie, l’éjaculation précoce est le trouble sexuel masculin le plus fréquent. L’homme est biologiquement déterminé à éjaculer en moins d’une minute, ce qui suffit pour la reproduction, mais pas pour l’épanouissement sexuel. L’éjaculation prématurée peut être primaire ou secondaire. Elle apparaît dès les premiers rapports, ou au cours d’une vie sexuelle active et jusqu’à présent satisfaisante.

L’ISSM (International Society of Sexual Medicine) la définit comme une éjaculation qui survient toujours, ou presque toujours, avant la pénétration vaginale, ou au cours de la minute qui suit. C’est aussi l’incapacité à retarder cette éjaculation, et ses conséquences négatives : frustration, soucis, souffrance psychologique et/ou évitement de l’intimité sexuelle.
Parler « d’éjaculation précoce » sous-entend nécessairement un point de repère : quelle est cette durée « normale » du rapport sexuel ?

On estime que 25 % à 75 % des hommes présentent une éjaculation prématurée. Au regard de ces chiffres, le consensus scientifique est bien loin. Cependant, à peu près tout le monde est d’accord sur deux éléments utiles à définir l’idée de « prématurité » : la durée du rapport et la « normalité » biologique, sorte de ligne rouge censée départager les hommes prompts à en finir…
Cette fameuse « durée normale » répond aux critères de la nature : elle est très brève puisque orientée vers un but procréatif. Un rapport sexuel, de la pénétration à l’éjaculation (IELT: intravaginal ejaculatory latency time), est de l’ordre de 6 minutes, avec des variations allant de 4,4 minutes en Turquie à 10 minutes en Grande-Bretagne.

Dans l’optique de la reproduction, la rapidité est un gage d’efficacité et 3 minutes suffisent largement… Maintenant, la question primordiale est plutôt d’arriver à définir une durée « optimale » de l’acte sexuel : combien de temps doit-il se prolonger pour arriver au plaisir ? Sous cet angle, les choses se compliquent et il est bien inutile de parler de « durée ».
Si le critère temps n’est pas approprié pour délimiter l’éjaculation prématurée, quelle autre mesure peut-on utiliser ?

Parler en minutes renvoie à l’aspect biologique, presque technique, de la sexualité. Ce niveau n’est nullement pertinent pour comprendre ces problèmes. Il faut accéder au degré relationnel de la sexualité, qui devient alors le seul à prendre en compte. S’il est aisé de poser une « normalité » biologique, définir avec précision la « bonne » durée se heurte à un obstacle majeur : elle n’existe pas… Tout dépend des partenaires, de la qualité relationnelle, et d’une foule de détails.

On ne peut pas affirmer que l’éjaculation est précoce ou prématurée sans évoquer ce troisième axe de réflexion : l’altérité ou la relation à l’autre, critère absolu de l’évaluation qualitative de la satisfaction et du plaisir de chaque partenaire. Le sens et la valeur attribués au plaisir jouent également un rôle de premier plan, même si ces notions demeurent non dites.

La durée « normale » du rapport sexuel, envisagée sous l’aspect d’une évaluation qualitative, sera celle qui permet d’accéder pleinement au plaisir pour chaque partenaire.



Existe-t-il un profil de l’homme souffrant d’éjaculation prématurée ?


Tous les hommes, puisqu’ils sont naturellement programmés pour éjaculer en deux à trois minutes ! Ce n’est pas une maladie, seulement un déterminisme pour assurer la reproduction. L’homme découvre le plus souvent sa sexualité lors de la masturbation. Cela provoque tout un ensemble de constructions mentales, représentatives du futur déroulement de l’acte. Ainsi, ayant appris à caresser son sexe avec sa main, il reproduira ce geste lors des rapports sexuels. La main se trouve simplement remplacée par le vagin !

Centré sur son excitation et son plaisir, l’homme ne peut qu’éjaculer rapidement. En effet, la sensation se développe essentiellement sur le mode proprioceptif (sensations de sources intérieures) et non extéroceptif (sensations de sources extérieures). Il ne peut donc exercer le moindre contrôle.
Les choses pourraient en rester là (ce qui est d’ailleurs le cas dans de nombreux couples). Mais certains hommes ont découvert par hasard que de ne pas éjaculer rapidement pouvait être source d’autres plaisirs : celui de jouer avec son excitation et celle de sa partenaire. Il peut aussi déclencher un phénomène nouveau, sans aucun doute très gratifiant pour lui : l’orgasme féminin. Ne pas éjaculer, c’est également pouvoir rester connecté, branché à l’autre dans une tentative de fusion qui, quoique symbolique, peut devenir bien réelle dans son vécu subjectif. L’acte sexuel n’a plus pour objectif premier la jouissance, mais la relation à l’autre ; et la jouissance elle-même y prend sa source.

La durée de l’acte que l’on prolonge à volonté devient une nécessité, sa brièveté, une pathologie. Très rapidement, la prise de conscience de cette excitation non maîtrisée va donc développer chez l’homme une angoisse de l’échec ou de performance, facteur aggravant de son éjaculation prématurée.

Cette prise de conscience est très influencée par le discours médiatique de ces trente dernières années : il tente de définir une « normalité » sexuelle arbitraire, culturelle. Or, nombreux sont ceux qui aiment la musique, moins nombreux sont les musiciens et encore moins les artistes !


L’homme ne peut-il trouver de lui-même la solution à son problème ?


L’homme jeune tente de remédier à cette excitation trop explosive en multipliant les rapports, ou en « remettant le couvert ». Certains font usage d’alcool et de substances plus ou moins licites. D’autres encore provoquent des comportements ou des pensées parasites.

Les cultures traditionnelles de l’Inde et de la Chine connaissent le phénomène depuis des siècles. Le Tantra, comme le Tao, décrivent minutieusement comment faire durer l’acte sexuel. La notion d’une éjaculation trop rapide n’a pu apparaître à la conscience du monde occidental qu’avec l’émancipation féminine et a trouvé son point d’orgue avec les travaux de Seemans et de Masters et Johnson. Leur erreur a été de faire une pathologie sexuelle d’un phénomène parfaitement naturel.

Ces stratagèmes ne règlent pas le problème. Comme on vient de le voir, l’homme a une représentation non pertinente du fonctionnement de son sexe et des rapports sexuels. Il développe alors un ensemble de fausses croyances qui n’ont pour effet que de brouiller les pistes, voire d’aggraver le problème.
Par exemple, beaucoup d’hommes croient que s’ils éjaculent trop rapidement, c’est qu’ils souffrent d’hypersensibilité du gland et du pénis. Ils imaginent que s’ils étaient moins sensibles, ils pourraient « tenir » plus longtemps. D’où l’usage de préservatifs retardants et de gel anesthésiant. Ils sont le plus souvent inefficaces. En effet, notre véritable organe sexuel est le cerveau : c’est donc à partir de lui que l’on pourra comprendre et surmonter l’éjaculation prématurée.




Quels sont les différents angles thérapeutiques qui permettent de l’aborder ?

Il y a d’abord la psychanalyse, qui fait appel à certains mythes pour étayer son hypothèse de l’effroi que le sexe de la femme susciterait chez l’homme. On y trouve divers contes qui mettent en scène des vagins munis de dents, s’échappant la nuit pour croquer leurs proies innocentes… On comprend dès lors que ce terrifiant organe denté soit responsable de cette fameuse angoisse de castration. Soumis au dilemme de satisfaire ses pulsions génésiques, au risque de perdre son pouvoir symbolisé par son sexe, l’homme a pour seule issue la rapidité du coït. La théorie oublie sans doute de s’intéresser à l’homme homosexuel ! Il pourrait aussi s’agir, selon le dogme freudien, de la prévalence de tendances prégénitales sur les tendances génitales.

L’approche cognitiviste, pour sa part, préfère invoquer la responsabilité d’un apprentissage défectueux. Elle traduit l’expression « éjaculation précoce » par « absence, ou défaut d’apprentissage du contrôle de l’excitation sexuelle ». D’où la survenue de l’éjaculation. Cette interprétation peut se justifier si l’on considère la rapidité comme physiologique ou, pour reprendre un autre terme, naturelle en regard des déterminismes biologiques. Dans ces conditions, l’éjaculation précoce correspond à une mauvaise adaptation à la position socioculturelle en cours en Occident.

L’interprétation médico-psychologique du symptôme fait appel à la notion de sensibilité proprioceptive et extéroceptive. Sur le plan physiologique, l’homme se caresse le pénis avec le vagin féminin ou son équivalent. Dans ces conditions, il est centré sur son plaisir. Mais s’il inverse les choses et caresse le vagin avec son pénis, il devient alors attentif aux perceptions extéroceptives, c’est-à-dire au plaisir du partenaire.

Cette analyse physiologique du symptôme sexuel a un corollaire psychologique : attitude réceptive ou passive pour la notion de proprioceptivité, et attitude active, voire « agressive », pour l’extéroceptivité. Dans cette perspective, la façon dont l’homme va utiliser son « instrument » phallique détermine ou non la précocité de son éjaculation.
Enfin, selon le point de vue médico-pharmacologique, l’éjaculation précoce résulterait d’un trouble affectant le réflexe éjaculatoire activé par le système limbique et modulé par les centres supra-corticaux. Cette activation et sa modulation font intervenir un certain nombre de neurotransmetteurs, notamment des molécules comme l’adrénaline et la sérotonine, pour ne citer qu’elles.


Quels sont les médicaments les plus utilisés ?

Si l’on ne dispose pas de médicament véritablement adapté à ce problème, il existe un certain nombre de produits qui peuvent apporter une aide non négligeable, mais très variable.
Les IRS (inhibiteurs de la recapture de la sérotonine).
Ce sont, de par leur nature, des antidépresseurs. Le retard à l’éjaculation qu’ils provoquent n’est qu’un de leurs effets secondaires.
Selon différentes études, la Fluoxetine (Prozac®), à la dose de 20 mg par jour, permettrait de rallonger l’IELT moyenne de 1,2 minute à 6,6 minutes. La Sertraline (Zoloft ®) ferait passer de 1 minute à 7,7 minutes à la dose quotidienne de 25 mg, 13,1 minutes avec 50 mg/jour et 16, 4 minutes avec 100 mg/jour. La Paroxetine (Deroxat®),à la dose de 50 mg prise 3 à 4 heures avant le rapport, semble avoir, à ce jour, le plus d’efficacité. Suite à la découverte de ces propriétés des sérotoninergiques, une autre molécule d’action rapide a été développée spécifiquement pour l’éjaculation prématurée: la Dapoxetine (Priligy®).

Non commercialisée à ce jour en France, et d’après les dernières informations probablement jamais, elle permettrait de faire passer l’IELT de 0,9 minute à 3,5 minutes, avec cependant quelques effets secondaires un peu gênants.

La Clomipramine, antidépresseur tricyclique (Anafranil®), est connue depuis de nombreuses années pour provoquer une augmentation de l’IELT d’un facteur 3 à 4. Mais elle n’est pas très bien supportée en dehors de la dépression, à cause de ses nombreux effets secondaires à dose efficace.

Le Tramadol, à la dose de 80 à 100 mg pris 3 heures avant le rapport sexuel, permet de passer de quelques secondes à une dizaine de minutes. Mais parmi les effets secondaires, on trouve une petite baisse de la libido.

On s’est également intéressé au IPDE5 (Viagra®, Cialis® et Levitra®). Ils peuvent allonger l’IELT chez des hommes qui souffrent de trouble de l’érection et cherchent à la maintenir par l’augmentation de leur excitation. Comportement qui, on peut le comprendre, a tendance à précipiter la survenue de l’éjaculation. Mais il s’agit de médicaments de la dysérection (trouble de l’érection), et non de l’éjaculation prématurée.

Quant aux anesthésiques de contact, comme les crèmes à base de Lidocaïne et Procaïne, dosées à 5 % (par exemple : Emla®), appliquées 20 minutes avant le rapport, leur effet n’est guère probant. Si elles augmentent l’IELT, elles ont aussi tendance à entraîner une perte d’érection à cause de l’engourdissement qu’elles provoquent. Récemment, un spray contenant de la Lidocaïne et de la Pridocaïne a été mis sur le marché. Il permettrait de faire passer l’IELT de 1 minute à 4,9 minutes.
Il existerait également, en Corée, une « crème secrète » d’application locale augmentant l’IELT de 1,37 minute à 10,92 minutes, mais au prix d’effets secondaires pour le moins désagréables : douleur et brûlure, notamment.

La diversité de ces produits montre bien qu’il est difficile de mettre au point une molécule pour traiter un problème dont la solution n’est probablement pas médicale.

L’angoisse de l’échec ou l’angoisse de performance s’ajoute aux tourments œdipiens et autres misères existentielles, comme autant d’éléments déclenchant ou aggravant ce symptôme sexuel.
Il n’y a probablement pas une éjaculation précoce, mais des éjaculations prématurées, chacune répondant à une ou plusieurs de ces interprétations théoriques.
Selon vous, quelle est la solution la plus efficace pour venir à bout de ce problème ?...


Il faut comprendre que la maîtrise de l’éjaculation n’est pas naturelle. Elle est le fruit d’un apprentissage qui vise d’abord à modifier le « mode d’emploi », c’est-à-dire les représentations. On comprend aisément pourquoi certaines approches demeurent généralement inopérantes, car elles n’abordent pas le problème en lui-même, mais passent par le biais de ses pseudo-causes (approches psychanalytiques).

Comparons le corps de la femme à un violoncelle, et son sexe aux cordes de celui-ci. L’homme est alors le musicien et son pénis, l’archet. La musique vient du violoncelle, même si elle est produite par l’archet.

Cette métaphore est plus importante qu’il n’y paraît car elle indique où doit se porter l’attention, l’écoute de l’homme. De manière plus triviale, il s’agit pour lui d’apprendre à caresser le vagin avec son pénis plutôt que de caresser son pénis avec le vagin. Là où les choses se compliquent, c’est qu’il doit être capable, comme tout bon musicien, d’avoir surmonté la technique. Jouer de cette façon procure la liberté de jouir sans entrave.

La sexologie dispose d’un ensemble de stratégies pour tenter de retarder la survenue de l’éjaculation. Les TCC et certaines thérapies, qualifiées de sexocorporelles ou psychocorporelles, utilisent des méthodes traditionnelles comme la respiration volontaire, le « yoga » sexuel, le tantra… Mais le médecin sexologue peut aussi prescrire certaines substances médicamenteuses, en l’occurrence une classe de médicaments antidépresseurs : les serotoninergiques, et plus particulièrement la paroxetine.

… mais ce n’est pas suffisant ?


Rédigé le 02/06/2011 modifié le 27/12/2023
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Coach spécialisée en Sexologie, Praticienne en Hypnose Thérapeutique, EMDR IMO à Paris,… En savoir plus sur cet auteur


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