Le corps réaccorde les esprits
Le corps s’est vu devenir le centre d’un intérêt tout nouveau. Depuis longtemps, raison et corps ont été considérés comme deux entités antinomiques. Dans le passé, la première était vénérée en tant que principe autonome, immuable et garant de vérité, définissant l’essence et la valeur humaine. Mais la pensée moderne s’est émancipée, ce qui peut être expliqué en évoquant trois arguments généraux :
1. Le monde est de plus en plus changeant et déroutant. Les relations personnelles et familiales sont fragiles, la communication est globale et instantanée, la confrontation avec d’autres cultures est omniprésente. L’environnement et le discours à travers lesquels se façonne l’identité individuelle sont devenus trop divers et fluctuants. Au milieu de cette confusion, notre corps est un compagnon constant et essentiel qu’il faut ménager et entretenir. En prendre soin et l’écouter peut donc offrir une réaction nécessaire contre la tendance à l’uniformité à l’intérieur de la société.
2. Avec la modernisation rapide, les anciennes habitudes corporelles instinctives sont devenues incertaines et inappropriées, cette évolution développant un sentiment d’inadéquation physique. C’est par notre corps que nous allons tenter de répondre au besoin d’établir une nouvelle relation à la nature et de réajuster notre relation à nous-même ainsi qu’au monde environnant.
3. La culture judéo-chrétienne a démonisé le corps, ennemi de l’âme immortelle, source de vices. Aujourd’hui, la recherche de plaisir et de bien-être n’est plus méprisée. Le soin pour le corps est pratiqué par beaucoup avec une adoration presque religieuse. Le corps n’est pas seulement une source riche de plaisir, c’est aussi le médium qui conditionne toute expérience affective. Améliorer la conscience somatique et son fonctionnement peut rendre notre expérience corporelle ordinaire beaucoup plus agréable.
Rites et « transe en danse »
Le corps, au travers de la danse, a de tout temps joué un rôle prépondérant en tant que mode d’expression de soi, dans les rites, les cérémonies religieuses, et en matière de santé dans la plupart des cultures traditionnelles où les guérisseurs ont recours à la danse et à la transe dans leurs pratiques de guérison.
Selon Abdelhafid Chlyeh : « La notion de transe est un phénomène universel, qui trouve son sens à partir de données culturelles et socioreligieuses qui président également à sa production. En particulier dans les cultures traditionnelles où l’état de transe est en relation avec un ailleurs, le divin et le surnaturel ». La transe est donc induite au cours de cérémonies plus ou moins formalisées appelées rites.
Les rites représentent un ensemble de conduites habituelles et codifiées. Ils peuvent être d’ordres religieux, familiaux ou individuels. Dans la pensée de René Girard, « Les rites se déroulent comme si le principe (ré-)générateur de l’ordre se trouvait dans le désordre lui-même. » Aussi, le rite tendrait à modifier le désordre au moyen de paroles et de symboles, afin de mieux le réguler et de l’ordonner par la suite. En ce sens, il y a une efficacité symbolique et une efficacité fonctionnelle du rituel permettant d’ex-primer l’invisible, le refoulé, le dénié.
Par exemple, en observant les pleureuses dans le sud de l’Italie, De Martino avait été frappé par le fait que les pleurs dont on entoure le mort sont sans âme, inauthentiques, foncièrement artificiels: « Comme si ce n’était pas la pleureuse qui pleure mais une autre qui pleurait en elle, anonyme et rêveuse ». La répétition monotone finit par plonger et entretenir la pleureuse dans un état onirique léger. La présence d’éveil ne disparait pas complètement, mais se réduit à la simple fonction de guide, de mise en scène, et entretient avec la situation de deuil un rapport flou.
Cette auto-aliénation rituelle repose sur une dualité psychique relative. Elle est comparable, à intensité plus faible, aux présences simultanées observées par exemple dans la pratique chamanique. En effet, lorsque le chamane entre en rapport avec un esprit, l’écart entre sa personnalité normale et la personnalité seconde est tellement grand qu’il est ressenti comme la manifestation d’un esprit parlant et agissant à travers le chamane.
Rites et symbolisme
On perçoit que tout rituel culturel et/ou thérapeutique, pour énigmatique qu’il soit, cherche à rendre significatif et dégager de son flou toxique ce qui, jusqu’alors, avait valeur d’énigme. Selon Lévi Strauss: « La cure consisterait à rendre pensable une situation donnée d’abord en termes affectifs, et acceptables pour l’esprit, des douleurs que le corps se refuse à tolérer. »
Que le mythe de possession ait une réalité objective n’a que peu d’intérêt; le « possédé » n’émet aucun doute sur l’existence des esprits, et il se meut dans un contexte où tout le monde partage ce même avis «qu’il faut y croire pour guérir». Ce qui lui importe, avant tout, c’est d’intégrer le sens de sa souffrance, de pouvoir cerner l’élément étranger à son système que, par l’appel au mythe, le chamane va replacer dans un ensemble où tout se tient.
Lévi Strauss relève que le langage scientifique actuel, établissant une relation de type cause à effet, demeure étranger au patient, tandis que le langage symbolique induit une relation de signifiant à signifié (référent sémantique) et concerne intimement le malade. Dire au « possédé » qu’il est névrosé n’a pas la même portée thérapeutique pour lui que de lui permettre de faire l’expérience de l’entité typifiant la névrose. Le guérisseur organise donc pour le malade un langage dans lequel peuvent « s’exprimer immédiatement des états informulés, et autrement informulables ». Ce langage, par la cohérence sémantique qu’il ordonne à l’intérieur du «possédé», provoque le déblocage des processus psychologique et physiologique en dysharmonie.
Lire la suite de l'article.
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Le corps s’est vu devenir le centre d’un intérêt tout nouveau. Depuis longtemps, raison et corps ont été considérés comme deux entités antinomiques. Dans le passé, la première était vénérée en tant que principe autonome, immuable et garant de vérité, définissant l’essence et la valeur humaine. Mais la pensée moderne s’est émancipée, ce qui peut être expliqué en évoquant trois arguments généraux :
1. Le monde est de plus en plus changeant et déroutant. Les relations personnelles et familiales sont fragiles, la communication est globale et instantanée, la confrontation avec d’autres cultures est omniprésente. L’environnement et le discours à travers lesquels se façonne l’identité individuelle sont devenus trop divers et fluctuants. Au milieu de cette confusion, notre corps est un compagnon constant et essentiel qu’il faut ménager et entretenir. En prendre soin et l’écouter peut donc offrir une réaction nécessaire contre la tendance à l’uniformité à l’intérieur de la société.
2. Avec la modernisation rapide, les anciennes habitudes corporelles instinctives sont devenues incertaines et inappropriées, cette évolution développant un sentiment d’inadéquation physique. C’est par notre corps que nous allons tenter de répondre au besoin d’établir une nouvelle relation à la nature et de réajuster notre relation à nous-même ainsi qu’au monde environnant.
3. La culture judéo-chrétienne a démonisé le corps, ennemi de l’âme immortelle, source de vices. Aujourd’hui, la recherche de plaisir et de bien-être n’est plus méprisée. Le soin pour le corps est pratiqué par beaucoup avec une adoration presque religieuse. Le corps n’est pas seulement une source riche de plaisir, c’est aussi le médium qui conditionne toute expérience affective. Améliorer la conscience somatique et son fonctionnement peut rendre notre expérience corporelle ordinaire beaucoup plus agréable.
Rites et « transe en danse »
Le corps, au travers de la danse, a de tout temps joué un rôle prépondérant en tant que mode d’expression de soi, dans les rites, les cérémonies religieuses, et en matière de santé dans la plupart des cultures traditionnelles où les guérisseurs ont recours à la danse et à la transe dans leurs pratiques de guérison.
Selon Abdelhafid Chlyeh : « La notion de transe est un phénomène universel, qui trouve son sens à partir de données culturelles et socioreligieuses qui président également à sa production. En particulier dans les cultures traditionnelles où l’état de transe est en relation avec un ailleurs, le divin et le surnaturel ». La transe est donc induite au cours de cérémonies plus ou moins formalisées appelées rites.
Les rites représentent un ensemble de conduites habituelles et codifiées. Ils peuvent être d’ordres religieux, familiaux ou individuels. Dans la pensée de René Girard, « Les rites se déroulent comme si le principe (ré-)générateur de l’ordre se trouvait dans le désordre lui-même. » Aussi, le rite tendrait à modifier le désordre au moyen de paroles et de symboles, afin de mieux le réguler et de l’ordonner par la suite. En ce sens, il y a une efficacité symbolique et une efficacité fonctionnelle du rituel permettant d’ex-primer l’invisible, le refoulé, le dénié.
Par exemple, en observant les pleureuses dans le sud de l’Italie, De Martino avait été frappé par le fait que les pleurs dont on entoure le mort sont sans âme, inauthentiques, foncièrement artificiels: « Comme si ce n’était pas la pleureuse qui pleure mais une autre qui pleurait en elle, anonyme et rêveuse ». La répétition monotone finit par plonger et entretenir la pleureuse dans un état onirique léger. La présence d’éveil ne disparait pas complètement, mais se réduit à la simple fonction de guide, de mise en scène, et entretient avec la situation de deuil un rapport flou.
Cette auto-aliénation rituelle repose sur une dualité psychique relative. Elle est comparable, à intensité plus faible, aux présences simultanées observées par exemple dans la pratique chamanique. En effet, lorsque le chamane entre en rapport avec un esprit, l’écart entre sa personnalité normale et la personnalité seconde est tellement grand qu’il est ressenti comme la manifestation d’un esprit parlant et agissant à travers le chamane.
Rites et symbolisme
On perçoit que tout rituel culturel et/ou thérapeutique, pour énigmatique qu’il soit, cherche à rendre significatif et dégager de son flou toxique ce qui, jusqu’alors, avait valeur d’énigme. Selon Lévi Strauss: « La cure consisterait à rendre pensable une situation donnée d’abord en termes affectifs, et acceptables pour l’esprit, des douleurs que le corps se refuse à tolérer. »
Que le mythe de possession ait une réalité objective n’a que peu d’intérêt; le « possédé » n’émet aucun doute sur l’existence des esprits, et il se meut dans un contexte où tout le monde partage ce même avis «qu’il faut y croire pour guérir». Ce qui lui importe, avant tout, c’est d’intégrer le sens de sa souffrance, de pouvoir cerner l’élément étranger à son système que, par l’appel au mythe, le chamane va replacer dans un ensemble où tout se tient.
Lévi Strauss relève que le langage scientifique actuel, établissant une relation de type cause à effet, demeure étranger au patient, tandis que le langage symbolique induit une relation de signifiant à signifié (référent sémantique) et concerne intimement le malade. Dire au « possédé » qu’il est névrosé n’a pas la même portée thérapeutique pour lui que de lui permettre de faire l’expérience de l’entité typifiant la névrose. Le guérisseur organise donc pour le malade un langage dans lequel peuvent « s’exprimer immédiatement des états informulés, et autrement informulables ». Ce langage, par la cohérence sémantique qu’il ordonne à l’intérieur du «possédé», provoque le déblocage des processus psychologique et physiologique en dysharmonie.
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Revue Hypnose & Thérapies Brèves n°27 Novembre Décembre 2012 Janvier 2013
Edito : “Très bien ! Et ensuite ? “ Dr Thierry Servillat TRES BIEN ! ET ENSUITE ? L’hypnose est en vogue. Son succès auprès du public est indéniable. Elle est reconnue comme une approche thérapeutique valable et innovante (grâce notamment à son utilisation en milieu chirurgical). Sa validité scientifique ? De moins en moins contestée ! Les établissements de soins les plus prestigieux l’invitent à exercer ses bienfaits « tous azimuts ». Nous ne pouvons que nous en féliciter ! Lire la suite...
“Utiliser la dépression. Pour mieux se repérer“ Sylvie Mas, Teresa Garcia-Rivera
Lors d’une conférence à l’Institut de France en avril 2010, Michel Le Moal affirmait que « le stress, les désordres bio-comportementaux, dont la dépression et les pathologies sociales, forment un nouveau paradigme » Ce nouveau paradigme est systémique ; dans le champ médico-psycho-social, c’est aussi une méthode qui permet de modéliser les événements individuels dans leur contexte en hiérarchisant les interventions. Lire la suite...
“La chirurgie autrement. Hypnose et bientraitance“ Jean-Michel Hérin
L'installation de l'hypnose dans les milieux chirurgicaux amène en premier lieu à reconnaître combien le langage en vigueur peut être anxiogène, pour lui substituer une communication plus rassurante. On peut aussi aller plus loin, quand l'anesthésiste fait confiance à sa créativité ! Lire la suite...
“Soins infirmiers et gériatrie“ Jeanne Carpentier
Sensibilisée à l’hypnose par diverses lectures, c’est véritablement avec Armelle Touyarot, au cours d’une conférence en 2007, que je découvre et pressens ce que l’hypnose peut m’apporter, tant sur le plan professionnel que personnel. Lire la suite...
“Individuel, conjugal, familial ? Le bon cadre thérapeutique“ Paul Waterkeyn
En Chinois l’idéogramme « crise » a deux significations: danger et opportunité. La vignette clinique qui suit met en évidence comment une thérapie centrée sur la résolution d’un problème peut aboutir à modifier le pattern de fonctionnement de toute une famille. Lire la suite...
“Hypnose et danse. Des rites pour du sens“ Anne-Aymone de Radiguès
L’hypnose, mise en mouvement du vivant, peut être utilement examinée du point de vue du danseur. Trouver son rythme, s’accorder, agir à deux une rencontre éphémère, lumineuse et légère. Lire la suite...
Rubriques
Hypno-philo : “Vivement la reprise !“ Dr Thierry Servillat
Quiproquo, malentendu et incommunicabilité : “Dommage !“ Dr Stefano Colombo
Recherche : “Vers une prophylaxie hypnotique ?“Antoine Bioy
Coïncidences : “Davide et Goliath de Caravage“ Dimitri Stauss
Musiques : “La voix, premier instrument“ Sophie Cohen
Chers lecteurs, en quoi l’hypnose peut elle avoir un lien avec la musique ? Et si l’hypnose était une musique ? On a souvent tendance, dans notre façon de pratiquer en qualité de thérapeutes, de lier l’hypnose avec la parole. Lire la suite...
Humeur : “1 + 1 = 2501“ Dr Claude Virot
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