Femmes, sources et controverses : l’éjaculation au féminin par Dominique Deraita pour la revue Sexualités Humaines

Un seul fait indéniable : certaines femmes expulsent un jet liquide, d’intensité et de volume variables, dans des moments d’orgasme…



« L’aîné de tous, c’est le désir d’amour
que nul ne pourra dépasser
ni chez les dieux, ni chez les morts
ni chez les hommes.
Hommage à toi qui es l’aîné de tous,
le plus grand dans le monde. »


(Atharva-Veda IX.2.19)

« … dans le mitan du lit la rivière est profonde lon la… »
Chanson populaire « Aux marches du palais »


Un seul fait indéniable : certaines femmes expulsent un jet liquide, d’intensité et de volume variables, dans des moments d’orgasme…
Les témoignages de celles, privilégiées dans cette déjà-minorité de bienheureuses, qui connaissent « les grandes fontaines », évoquent l’intensité fulgurante qui les traverse de ces orgasmes vécus dans le paradoxe d’un abandon total conjugué à une sensation de puissance infinie, sensation qui demeure ainsi, longtemps après que la fontaine ait coulée.

Un consensus : la plupart des sexologues en parlent comme des « femmes-fontaines » suivant l’expression utilisée par Frédérique Gruyer, psychanalyste, lors de la parution du premier ouvrage français consacré à ce thème en 1984 (1) ou de façon plus technique comme de « l’éjaculation féminine ».

Tout le reste sur ce sujet reste encore hypothèses, questions, débats et controverses.
Pour le grand public, les avis (à consulter les différents et nombreux forums Web sur ce thème) semblent se diviser en deux catégories principales entre celles « qui l’ont » et se demandent si tout cela est bien normal, et celles « qui ne l’ont pas » et se demandent si… tout cela est bien normal. Avec un petit pourcentage de celles qui le vivent, en sont assez fières sans en faire étalage, et de quelques autres qui le « revendiquent » et veulent aider les autres à y parvenir pour une pleine jouissance de leur corps de femmes.

Pour les scientifiques, il semble qu’une partie d’entre eux campe encore sur un certain scepticisme ; en tout cas c’est ce que disent ceux qui affirment que l’éjaculation des femmes n’est pas une hypothèse mais un fait et pourtant se divisent encore sur les différentes hypothèses concernant la réalité du processus aboutissant à l’éjaculation. Car si certains contestent encore l’idée même d’une éjaculation féminine, ou doutent encore qu’il s’agisse d’autre chose que d’une perte urinaire, certaines voix comme le sexologue Gérard Leleu (2) ou l’auteure militante Deborah Sundahl (3) font remonter l’observation de ce phénomène à l’Antiquité (entre 2000 avant J.-C. dans la culture de l’Inde à 600 avant J.-C. en Grèce ou à Rome, en passant par la Chine taoïste), sous l’appellation d’« écoulement tantrique », « nectar des Dieux » ou « liqueur féconde ».

Pour celles qui le vivent, l’assument, le disent et en tirent une jouissance recherchée, ce moment de plaisir intense est souvent associé à une vision plus spirituelle, mystique de la sexualité.
Si vous tapez aujourd’hui « éjaculation féminine » sur un moteur de recherche bien connu sur Internet, vous aurez quelque chose comme 170 000 résultats dont la plus grande part consiste en des références de sites pornographiques (pour exemple : « Ejaculation féminine d'une pétasse bien baisée », ça donne envie !), et « femme fontaine » produira environ 2 090 000 résultats avec le même genre de perles rares en majorité (femmefontainex.com).
En questionnant sur la « prostate féminine », il est enfin possible d’avoir plus facilement des informations précises, mais combien dans le grand public savent, eh oui, que les femmes possèdent une prostate et feront une recherche sur ce nom ?

Alors nous voici sur ce thème, d’abord projeté au cœur d’un fantasme très recherché et excitant la curiosité des hommes comme des femmes, ensuite dans une controverse scientifique non encore soldée. Et plus étonnant encore, de constater qu’à ce jour, on ne trouve sur le sujet que peu de sites d’information fiables à disposition du grand public, en regard d’une telle curiosité et de noter que pour avoir des informations basiques accessibles facilement, il est nécessaire de taper les mots clés : « éjaculation féminine : mythe ou réalité » !
Commençons donc par une rapide synthèse aussi actualisée que possible sur les connaissances dont chacun peut disposer avec un peu de patience.




Un peu de physiologie : glandes de Skene, point G, prostate

Dans le monde scientifique occidental, on fait remonter de façon unanime la première découverte du lieu d’origine de cette émission à De Graaf, à la fin du XVIIe siècle. Un autre tournant important de découverte aura lieu deux siècles plus tard, avec la mise au jour d’une « prostate vestige » : les glandes (qui portent son nom) par De Skene à la fin du XIXe siècle.
Un siècle plus tard environ, Huffman d’abord dans le milieu du XXe siècle conteste l’aspect « vestigial » de cette prostate féminine, et vers la fin de ce même siècle, Beverly Whipple et al. relient clairement le « Point G » (initialement découvert par Gräfenberg un peu plus tôt dans le siècle) à l’éjaculation des femmes et l’ensemble à l’intensité du plaisir que les jets émis signent.

Enfin le tout début du XXIe siècle va voir s’officialiser l’emploi du terme de « prostate féminine » à la suite des travaux de Zaviacic (4) et l’acception de ce terme pour désigner ensemble : les glandes et canaux para-urétraux, les tissus érectiles entourant l’urètre, dont le fameux Point G, et des capteurs sensibles, semblables aux corpuscules de volupté de Krause de toute cette zone, avec une fonction exocrine (produire et excréter du liquide) et neuro-endocrine.

Il est établi aussi qu’il existe plusieurs morphologies de prostate féminine, à la différence de la prostate masculine. Elle est branchée dans l’urètre par de multiples canaux et le liquide est expulsé par l’urètre. La quantité de liquide est variable à chaque expulsion pour une même femme et bien sûr variable pour les femmes entre elles, sachant que les expulsions volumineuses (200 ml et plus) sont des faits rapportés seulement par une petite minorité des « femmes-sources ».

Les controverses
A partir de ce consensus minimal, moult questions et mystères restent à résoudre pour les chercheurs.
Les femmes sont-elles toutes équipées d’une prostate fonctionnelle ?

Dans l’article de Zaviacic, une réserve est clairement indiquée : « Si on élimine les formes rudimentaires, on retrouvera au moins 90 % de femmes avec prostate. »
Sundahl, de son côté, en parle comme si toutes les femmes avaient une prostate fonctionnelle et Leleu reste assez général et flou sur le sujet.
La prostate joue un rôle dans la jouissance vaginale, et aussi donc dans l’intensité de l’orgasme par stimulation vaginale.

A l’identique, les versions sur l’anatomie précise du point G divergent : le substrat physiologique n’ayant pas pu encore être totalement démontré, faute d’études rigoureuses suffisantes.
Pour Zaviavic : « “Le type postérieur” de prostate féminine, caractérisé par la présence de tissu prostatique plus riche dans l’urètre postérieur vers le col vésical, n’a été retrouvé que dans 10 % de nos études sur pièces d’autopsie. C’est seulement dans ce nombre de cas relativement faible qu’il pourrait y avoir une correspondance entre point G et localisation de tissu prostatique féminin. »
Pour Leleu, pas d’hésitation : « Le point G correspond à la partie de la prostate située entre la partie antérieure du vagin et l’urètre. »

Et pour Sundahl, le ton est aussi affirmatif : « Le point G est défini comme étant à la fois cette fameuse prostate et le réseau de tissu érectile similaire à celui observé chez l’homme. »
Affirmation encore chez Andrée Matteau, pour qui le point G serait une partie de la structure clitoridienne : « La partie extérieure et visible du clitoris, c’est cette petite perle que tout le monde peut identifier. Mais cette structure comporte également des nerfs qui aboutissent à l’intérieur du vagin, comme des pattes qui se rejoignent dans ces éponges que le docteur Grafenberg a bien vaniteusement appelé le point G. »

Quant à savoir si point G et/ou prostate féminine sont les lieux d’origine et de déclenchement des eaux féminines, là encore un certain flou demeure.
Nul ne conteste le potentiel hautement érotique du point G depuis sa mise en avant dans le milieu du XXe siècle, et sa participation au déclenchement du processus d’émission fait là aussi consensus.
Même si certains experts sur le Net affirment encore que seulement certains points G seraient à même de déclencher le jet : « L’éjaculation féminine, chez une femme fontaine, ne se produit que chez certaines femmes qui ont une particularité anatomique au niveau du point G. C’est assez rare, et il est impossible de déclencher une éjaculation si cette particularité anatomique n’existe pas. » (Site Sexoconseil)

L’expulsion elle-même se fait par l’urètre, là aussi depuis les travaux de Zaviacic, la plupart des médecins se sont ralliés à cette version, quoique certains disent encore, à la suite de Skene, qu’elle se produit par les canaux prostatiques débouchant à côté du méat urétral.
Enfin certains médecins, et les « éducatrices sexuelles » américaines, maintiennent que l’excitation bien conduite par la femme elle-même ou par son partenaire amènera de façon sûre à une éjaculation. Mais celle-ci « sera ou non accompagnée d’orgasme ». Par la femme elle-même, veut dire par toute femme qui le souhaite et en fait l’apprentissage.

En effet, la majeure partie de ceux qui écrivent sur le thème affirment que l’expulsion n’est pas systématiquement associée à l’orgasme, et peut exister par elle-même comme résultante de la « juste » excitation.
Les recherches du docteur Cabello Santa Maria Paco en 2001 ont donné un résultat de 75 % de femmes éjaculant sur l’échantillon consulté (220 femmes). (7)
Il reste donc à se demander quel intérêt donc pour une fontaine sans jouissance, et à questionner aussi cette jouissance.

Alors, « bienheureuses privilégiées par la Nature, ou résultat d’un apprentissage bien conduit ? ».
Dans les témoignages de ces « femmes-sources », qui sont encore une minorité parmi les femmes, il est possible de retrouver en gros trois catégories de femmes : celles qui apprennent « une technique d’expulsion » parce que c’est aujourd’hui associé dans certains cercles à être une vraie femme, ou pour faire plaisir à leur homme qui lui aussi croit que sans cela sa compagne n’est pas vraiment libérée.

Ensuite, celles qui l’ont expérimenté spontanément quelques fois dans leur vie, l’expérimentent encore comme un « complément » agréable de leurs jeux amoureux, avec des eaux peu abondantes et irrégulières. Et celles qui ont été « renversées » au sens littéral du terme : emportées, ravies dans une jouissance comparable à aucune autre.
Sur un plan technique, et pour l’apprentissage de l’expulsion, dans toutes ses précisions l’ouvrage de Sundahl est complet, avec cette capacité à soutenir toutes les femmes dans l’accès à l’excitation et l’expulsion conséquente à l’acmé de l’excitation.

Celles qui sont déjà « fontaines » et l’apprécient, trouveront là, si elles le souhaitent, matière à raffiner, approfondir leur expérience sensorielle. Pour chacune dans cette apprentissage, il est possible de découvrir la « texture » différente qui enveloppe l’orgasme « avec fontaine », et les différences propres à chaque orgasme : la tonalité (comme l’on dirait d’un chant) propre à chacun.
Concernant le plaisir et le lieu d’origine du plaisir : les expulsions accompagnées d’orgasme sont présentées parfois comme plutôt accompagnant un orgasme clitoridien, en rappelant que le point G est parfois indiqué comme relié par les tissus érectiles au clitoris, voire partie interne du clitoris, ou le plus souvent plutôt accompagnant un orgasme mixte (clitoridien et vaginal).


Rédigé le 25/05/2011 modifié le 27/12/2023
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Coach spécialisée en Sexologie, Praticienne en Hypnose Thérapeutique, EMDR IMO à Paris,… En savoir plus sur cet auteur


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