En finir avec l'angoisse. Une subtile directivité. Laurent Briquet. Revue Hypnose et Thérapies Brèves

Un jeune psychologue, après un premier cas réussi, encourage ses collègues à prendre position avec leurs patients et à manier d'avantage le paradoxe.



Je propose de partager avec les lecteurs le cas d’une jeune femme angoissée afin de montrer comment dans l’approche thérapeutique et dans la façon de parler au patient, l’hypnose peut trouver sa place sans nécessairement qu’elle prenne la forme d’une séance d’hypnose classique, ni que le patient ait besoin de savoir comment il sera soulagé.
Tout va se dérouler en quatre consultations hebdomadaires au cabinet.


Première consultation

Mademoiselle K. a 34 ans ; elle en paraît plutôt 28. Son visage harmonieux est bordé de longues mèches noires qu’elle semble remettre en place comme le font parfois les adolescentes. En salle d’attente, un jeune homme d’une vingtaine d’années l’accompagne. Elle se lève à mon appel et me tend une main maladroite et fuyante. Elle manifeste comme un léger malaise au contact de ma peau, puis rentre dans le cabinet de consultation en murmurant un « Bonjour » à peine audible et en baissant le regard.
Les contacts visuels sont courts, entrecoupés de moments où elle sourit en baissant les yeux. Melle K. s’exprime à voix basse, replaçant souvent une mèche de cheveux, ou encore plaçant sa main sur sa gorge quand elle évoque un sujet difficile…
D’ores et déjà vous conviendrez sans doute de quelques points d’appels à peine névrotiques…

Mademoiselle K. décrit en chuchotant les angoisses qui l’amènent à consulter :

Melle K. : Je suis très angoissée, je suis terrorisée à l’idée d’aller me coucher le soir et je n’arrive pas à dormir, et quand j’y arrive je me réveille parfois en sursaut dans la nuit.
L.B. : Y a-t-il des manifestations somatiques de cette angoisse ?
Melle K. : Parfois j’ai une boule ici (montre sa gorge) et le cœur bat très fort par moments…
L.B. : Avez-vous repéré des situations qui font naître ces angoisses ?
Melle K. : Certaines ambiances, oui, ou les génériques des séries télé où on enquête sur des tueurs, je ne peux plus les regarder. J’ai parfois peur de devenir folle. (Très émue.)
Melle K. : J’ai deux petites filles de 8 et 11 ans. Je me suis séparée de leur père il y a cinq ans car je ressentais plus rien pour lui. Nous avons la garde alternée, ça se passe bien, je m’entends bien avec lui. Actuellement, j’ai un compagnon que je n’arrive pas à quitter. Je m’explique, il est très méchant (larmes). Vincent est plus jeune que moi, il est égoïste, il, comment dire… il m’insulte, vous savez. Il emploie des mots humiliants et je n’arrive pas à répondre quoi que ce soit. Le pire c’est que je lui tends la perche quand ça ne va pas, je montre que je ne suis pas bien, je lui dis même : « Je me sens mal, j’aimerais t’en parler », il me répond : « Ouais, tout à l’heure, je finis ma partie de jeu vidéo »…
L.B. : Je suis perplexe, pour quelqu’un d’indifférent à votre souffrance, il vous accompagne quand même à la consultation aujourd’hui et vous attend en salle d’attente.

Melle K. : (nouveau regard fuyant, légère érythrophobie du visage et du décolleté, Mademoiselle K. est mal à l’aise). Non, le jeune homme que vous avez vu, c’est quelqu’un d’autre.
L.B. : Qui est ce garçon ?
Melle K. : On s’est rencontrés il y a deux mois, il tient à moi et me le montre beaucoup mais vous voyez, il a 22 ans, il ne pourrait rien y avoir de sérieux, les gens me jugeraient tout de suite.
L.B. : Peut-être que pour lui c’est suffisamment sérieux pour vous accompagner en consultation ?
Melle K. : Je sais pas comment dire, c’est platonique, il est très attentionné, il s’occupe bien de moi.

Parlez-moi de votre soeur.

Le tableau histrionique apparaît désormais plus clairement.
Je recherche les circonstances d’apparition des angoisses et un moment chronique lui vient à l’esprit : le moment de s’endormir le soir à côté de Vincent, son compagnon.
Le compagnon actuel serait donc lié de près ou de loin à la symptomatologie.

L.B. : Quand vous avez quitté le père de vos filles il y a cinq ans parce que vous ne l’aimiez plus, vous n’avez éprouvé aucune difficulté alors que vous n’aviez à l’époque rien objectivement à lui reprocher, ce qui n’est pas le cas de votre compagnon actuel. Votre difficulté actuelle à quitter Vincent qui vous maltraite ouvertement peut donc paraître surprenante.
Melle K. : Je sais, mais alors pourquoi…
L.B. : Peut-être simplement parce que vous l’aimez encore. Je vous redonne un rendez-vous.

Concrètement, le fonctionnement thymique est fluctuant mais évolue dans des proportions non pathologiques.
Les angoisses constituent le motif de consultation mais elles ne sont objectivement que l’expression d’autre chose. Le comportement humiliant du compagnon actuel n’apparaît pas comme une meilleure étiologie aux angoisses de Mademoiselle K. qui est capable de quitter un homme sans même qu’elle ait quoi que ce soit à lui reprocher pour asseoir une décision de rupture.


2e consultation

La semaine suivante, Mademoiselle K. est toujours accompagnée du jeune homme qui reste à l’attendre en salle d’attente.

Melle K. : Je me sens responsable de ce qui m’arrive, j’ai des angoisses même la journée au travail… La nuit, je fais des cauchemars, je vois ma sœur, elle a les joues creuses, elle me dit : « Tu vas me le payer, tu m’entends ! »

LB : Parlez-moi de votre sœur.

Melle K. : Nous sommes onze frères et sœurs. J’ai une sœur de 39 ans, Eléonore. Son mari l’a mise à la porte. Son comportement a basculé, elle décrivait des choses que personne ne voyait, comme des hommes postés autour de chez elle qui la guettaient, elle avait des propos qui ne tenaient pas debout. Durant plusieurs mois, je suis restée près d’elle pensant qu’elle traversait un mauvais moment qui finirait par passer. Un jour, le médecin généraliste de ma sœur a contacté notre famille, je crois qu’il a parlé de « délire » et a recommandé d’essayer de la convaincre de voir un « psy ». Il n’a lui-même pas réussi à la convaincre, je crois qu’il lui en a parlé la dernière fois qu’ils se sont vus et ensuite ma sœur n’a plus jamais voulu retourner le voir. Ma sœur n’a jamais voulu aller voir un psy. Nous nous y sommes mis à trois pour tenter de la convaincre d’aller consulter mais ça été encore pire. Ma sœur a commencé à dire que je faisais ça pour lui enlever ses enfants ou bien qu’on voulait la faire enfermer. Je ne la vois plus aujourd’hui, j’évite d’aller chez mes parents quand ma sœur y est.
L.B. : Je vous redonne un rendez-vous.


3e consultation

Mademoiselle K. est sub-logorrhéïque.
Melle K. : Je me rends compte que je parle beaucoup de mes angoisses. Mon généraliste m’a prescrit des anxiolytiques.
L.B. : Les prenez-vous ?
Melle K. : (sourire gêné) Non, vous allez trouver ça ridicule mais je ne veux pas dépendre de ça… Ça me fait peur…
L.B. : Parlez-moi d’Eléonore.
Melle K. (pousse un cri étouffé) : Je ne peux plus entendre son prénom !
L.B. : Je vous revois la semaine prochaine.

Je comprends alors que le problème a commencé par l’angoisse d’être contaminée par la psychose de sa sœur pour avoir partagé ses réactions pendant des mois sans savoir ce que celle-ci avait. Cette angoisse que la maladie mentale ait pu s’insinuer en elle, pour y avoir été exposée, a ensuite évolué en angoisse que la folie prenne le contrôle d’elle à son insu, angoisse qui elle-même a évolué en peur que son compagnon actuel prenne le contrôle d’elle.

Comme en hypnose ; moins on est prévisible plus on est efficace. Le traitement peut commencer sans que la patiente s’en rende compte, en trois étapes inconscientes successives : a) faire naître la prise de conscience d’un cadre de pensée trop étroit sur la question ; b) réaliser une prescription paradoxale du symptôme anxieux ; c) consolider le traitement en amenant le patient à constater lui-même l’amélioration.


Etape a - La prise de conscience : élargissement du cadre de pensée du patient par une captation forcée de son attention

En effet, l’irruption dans l’esprit du patient d’une menace non envisagée force celui-ci à réaménager psychiquement la valeur qu’il attribue à ses symptômes.
Bien souvent la compulsion de répétition mentale s’exprime par un puissant martèlement langagier de sa problématique qui épuise les soignants et nécessite un choc relationnel au moins aussi fort que la compulsion elle-même.
J’amorce donc l’élargissement du cadre de façon progressive et créant de l’attente :

L.B. : Aujourd’hui vos angoisses, Mademoiselle, mais alors vous n’avez pas idée à quel point je m’en fiche. (Mon faciès est sérieux.) Vous êtes surprise de m’entendre vous dire ça, Mademoiselle, et peut-être vous sentez-vous incomprise, mais j’ai encore autre chose à vous dire. (Mon faciès est sérieux et compatissant.) Ce qui m’intéresse, c’est de vous soulager (mon faciès est détendu et empathique), de soulager votre peur de la maladie mentale.
Pas de réponse. Mademoiselle K. détourne la tête et retient des larmes dont elle ne semble pas comprendre la provenance. Quelques secondes passent, elle me regarde à nouveau.
Melle K. : Vous êtes dur quand même…

La prise de conscience que la parenthèse de la maladie de sa sœur était restée ouverte vient de s’effectuer.
Ce parti pris subjectif va permettre de capter l’attention de la patiente et de la traiter de façon objective. Il faut aider les patients à ne plus souffrir de ce qu’ils ont perdu, ici la conviction d’être sain d’esprit. De très nombreuses douleurs morales correspondent à des séquences psychiques inachevées. A l’image d’une parenthèse ouverte et non refermée au cœur d’une histoire. On retourne sans cesse au contenu hémorragique de la parenthèse qui se répand et se confond avec l’écriture du présent. Au final, peu de personnes souffrent au jour le jour de ce qui leur arrive, ce sont ces séquences psychiques non refermées qui font souffrir.
Alors pourquoi ne parvient-on pas à refermer nos parenthèses douloureuses ? Il s’agit d’un problème de représentation mentale essentiel. Le sujet ne voit sur le moment sincèrement pas d’issue possible à ce qui le fait souffrir. Il continue donc à vivre avec ce blocage dont l’origine consciente s’éloigne peu à peu de son ressenti sans aucunement en supprimer les effets. Comme chez tous les névrosés, l’hystérique va, avec le temps et sous l’action du refoulement, éloigner sa conscience de l’origine de sa souffrance.
Plus le temps passe, plus l’accessibilité au traumatisme originel est protégée par des mécanismes de défense. Mais du point de vue de l’hypnose, les défenses psychologiques, l’opposition au sens logique et la résistance au regard extérieur sont des énergies redirigeables.
A coup sûr, la représentation qu’a le patient de son angoisse a subi plusieurs remaniements psychiques adaptatifs et automatiques. Pour qu’il adhère à une nouvelle représentation, il faut au préalable savoir s’immerger dans le corpus sémantique du patient et improviser par à-coups de façon perceptive et néanmoins méthodique.
C’est une chose importante de savoir écouter son patient, cela en est une autre tout aussi importante de savoir se faire entendre de lui.
Ce qu’il fallait, c’était changer le cadre de référence dans lequel est perçue l’angoisse par la patiente. Le changement du cadre de référence mentale revient à brusquer le fonctionnement psychique dans ses certitudes conscientes pour qu’il redevienne attentif à une autre vision de lui proposée par le thérapeute. Dans cet élargissement du cadre à deux, le dialogue est déjà hypnotique.


Etape b - Prescription paradoxale du symptôme anxieux

La prescription paradoxale reste une étape clef de prescription d’un comportement pour provoquer le comportement contraire en fonction des mécanismes de défense et de résistance psychologique du patient. Dans le cas de Melle K., prescrire l’anxiété fait naître le paradoxe et de facto son contraire.
Etant donné la relative effraction psychique qu’a représenté l’élargissement de son cadre de pensée à l’étape précédente (étape a), la prescription sera courte et aussi discrète que possible, faisant directement suite à l’élargissement du cadre de pensée dans la même consultation :

Melle K. : Vous avez raison, j’ai été traumatisée par le comportement de ma sœur, j’y pense tout le temps, ça me gâche la vie. Mais… vous ne pensez pas que je pourrais devenir comme elle ?
L.B. : Je vous donne un rendez vous. On se revoit la semaine prochaine. D’ici là, ne changez rien à votre état.

La suggestion qui est faite à travers cette prescription paradoxale est que l’absence de changement puisse comporter une part volontaire, ce qui par extension s’applique également au changement lui-même.
Il est important que le patient ne sache pas que l’on va ensuite se servir de son état actuel pour souligner qu’il est parvenu. L’absence d’effort ou d’intentionnalité dans le but de ne pas changer empêcherait l’efficacité de la prescription paradoxale.



4e consultation.
Etape c - Consolidation du traitement : le patient constate sa propre amélioration et s’autonomise

Melle K. : J’ai réfléchi, je crois que j’accepte de prendre le traitement anxiolytique le soir. Il faut que je vous dise qu’il y a eu je crois un changement à la maison avec Vincent.
L.B. : Auriez-vous un exemple ?
Melle K. : Oui, un soir de la semaine dernière, j’ai voulu sortir aller faire une course. Comme d’habitude il m’a demandé « Où tu vas ? Moi j’ai faim là… » Je n’ai rien répondu, je suis sortie. Depuis, il est doux, c’est comme s’il avait peur que je parte.

La patiente va déjà beaucoup mieux, s’exprime d’une voix plus affirmée et moins chuchotée. Pour la première fois elle est venue seule sans son objet transitionnel amoureux.
Spontanément, elle demandera à prendre le prochain rendez-vous quatre semaines plus tard. Elle reprend une indépendance décisionnelle, indice de réactivation de ses ressources internes.
Je parle à Mademoiselle K. toujours en face à face, mais de façon plus scandée comme si je cherchais mes mots, plus « cicatrisante », comme en séance d’hypnose classique :

L.B. : Aujourd’hui je vous trouve plus… détendue… Votre esprit est plus… apaisé… plus… spontané… et cette amélioration va… continuer de s’installer dans le temps sans que vous vous en rendiez compte. D’ailleurs, aujourd’hui, comme vous vous sentez mieux, seriez-vous venue me consulter ?
Melle K. : C’est vrai je me sens mieux. Non, je ne serais probablement pas venue parce que là j’ai envie de faire un tas de choses, de reprendre mes voyages, de profiter de tout ce qu’il y a autour de moi, c’est comme si je ne les avais pas vu avant.
L.B. : Avez-vous toujours des palpitations cardiaques ?
Melle K. : Non, pas ces derniers temps.
L.B. : Des cauchemars ?
Melle K. : Non. Vous pensez que nous pourrions prendre le prochain rendez-vous dans un mois ?
L.B. : Je trouve que votre idée est excellente.

La réponse et le regard de Mademoiselle K. m’indiquent alors que, quelque part dans l’écriture de son histoire, une parenthèse s’est refermée.


Conclusion


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Rédigé le 27/09/2011 modifié le 28/10/2011
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