AUTOMATICITÉ HYPNOTIQUE, INVOLONTARITÉ, AGENTIVITÉ…
Carolane Desmarteaux et Pierre Rainville, deux chercheurs de Montréal, nous invitent à repenser le concept d’automaticité hypnotique sous l’éclairage des neurosciences. Comme le soulignent Bruno Suarez et Jean Becchio (1), Pierre Rainville a montré que lors de la transe, « le fonctionnement et les connexions mutuelles de plusieurs zones cérébrales associées à l’agentivité (le sentiment d’être responsable de ses mouvements et de ses actes) sont perturbés ; c’est le cas du cortex cingulaire antérieur et du précunéus, deux régions situées sur la face médiane des hémisphères cérébraux. Ce qui peut par moments donner au patient le sentiment que ses mouvements sont contrôlés de l’extérieur ».
Un aspect récurrent de l’expérience hypnotique est en effet l’impression d’automaticité ressentie par l’hypnotisé. Comme je ne souhaite pas être taxé d’ultracrépidarianisme (lorsque l’on parle avec assurance de choses que nous ne connaissons pas vraiment), je m’autoriserai juste quelques commentaires prouvant, s’il en était besoin, ce que cet article majeur nous donne à penser. L’utilisation de suggestions indirectes et implicites visant le changement du lieu de contrôle pourrait participer à la diminution d’agentivité vécue par les hypnotisés. Ne pourrait-on supposer que si le lieu de contrôle est externe, la baisse d’agentivité serait plus importante si le lieu de con - trôle était interne ? L’essentiel de la recherche en neurosciences et hypnose utilise la suggestion. Mais on peut être en hypnose en l’absence de suggestion : le niveau d’automaticité est modifié en hypnose et les régions de ce réseau de l’agentivité sont impliquées dans ce ressenti, même en l’absence de suggestions ou d’actions motrices manifestes. Cela peut paraître au premier abord paradoxal, puisque dans le cas de l’hypnose la redirection de l’attention produite par cette technique induit une perte du sentiment d’agentivité, ce qui semble contraire à l’idée même du libre arbitre.
Krystèle Appourchaux, chercheuse à Montréal, émet l’hypothèse que « la redirection attentionnelle implique des mécanismes qui sont mis en jeu à la fois dans l’hypnose et dans certaines techniques de méditation, ou encore dans l’EMDR, et que cette redirection attentionnelle permettrait la réunification du vouloir nécessaire à l’exercice d’une réelle liberté d’autodétermination, au sens d’une capacité longitudinale à contribuer soi-même à former son propre caractère et sa propre volonté » (2). Cette perte du sentiment d’agentivité pourrait précisément être la condition de l’exercice du libre arbitre, au sens longitudinal d’une capacité à modifier son propre devenir.
Faut-il le rappeler, le libre arbitre ne s’exerce pas lorsque l’on est seul. Il ne s’exerce pleinement qu’au travers d’une relation sécure. L’allusion des auteurs à Aristote est d’autant plus pertinente que ce concept permet à différentes vues d’y donner un sens en fonction de « leur balcon » : théoricien d’approches psychosociales, celui d’une approche cognitive ou d’une approche évolutive ou encore en neurosciences. Mais in fine, ces points de vue sont complémentaires et il s’agit davantage de les apposer que de les opposer.
HISTOIRE D’UNE ERRANCE DIAGNOSTIQUE ET THÉRAPEUTIQUE À LA RENCONTRE DE LA TRANSE
Sylvie Colombani-Claudel, responsable du diplôme universitaire d’hypnose clinique à Bordeaux depuis 2015, et Blandine Rossi-Bouchet, orthophoniste, toutes deux virtuoses de l’hypnose clinique, nous proposent un voyage thérapeutique dans une maladie orpheline : le Syndrome d’Ehlers-Danlos (SED). Bien que des recherches sur les origines génétiques des SED aient eu lieu et puissent encore avoir lieu (en fonction des financements), aucun processus thérapeutique de fond (de type thérapie génique) n’existe pour l’heure. J’avais eu l’occasion d’approcher dans mon expérience de cardiologue cette maladie du tissu conjonctif dans sa forme vasculaire, mais je n’avais pas mesuré à l’époque toute cette dimension douloureuse, invalidante que peuvent vivre ces patients qui en sont atteints.
Comme le précisent les auteures, il n’existe à ce jour aucune publication validante sur l’utilisation de l’hypnose médicale dans les traitements proposés à ces patients ; mais après avoir subi la maladie et ses traitements, l’hypnose pourrait s’intégrer à leur parcours de soins en leur ouvrant les portes de la transe, leur permettant ainsi de reprendre le contrôle de la sensorialité de leur corps (par un travail sur la légèreté, l’équilibre et leur part profondément vivante) et de leur autonomie (par un travail sur les liens à la maladie, sur l’estime de soi et sur l’appropriation de la transe), dans l’ultime dessein d’améliorer leur quotidien. Bonne lecture !
Carolane Desmarteaux et Pierre Rainville, deux chercheurs de Montréal, nous invitent à repenser le concept d’automaticité hypnotique sous l’éclairage des neurosciences. Comme le soulignent Bruno Suarez et Jean Becchio (1), Pierre Rainville a montré que lors de la transe, « le fonctionnement et les connexions mutuelles de plusieurs zones cérébrales associées à l’agentivité (le sentiment d’être responsable de ses mouvements et de ses actes) sont perturbés ; c’est le cas du cortex cingulaire antérieur et du précunéus, deux régions situées sur la face médiane des hémisphères cérébraux. Ce qui peut par moments donner au patient le sentiment que ses mouvements sont contrôlés de l’extérieur ».
Un aspect récurrent de l’expérience hypnotique est en effet l’impression d’automaticité ressentie par l’hypnotisé. Comme je ne souhaite pas être taxé d’ultracrépidarianisme (lorsque l’on parle avec assurance de choses que nous ne connaissons pas vraiment), je m’autoriserai juste quelques commentaires prouvant, s’il en était besoin, ce que cet article majeur nous donne à penser. L’utilisation de suggestions indirectes et implicites visant le changement du lieu de contrôle pourrait participer à la diminution d’agentivité vécue par les hypnotisés. Ne pourrait-on supposer que si le lieu de contrôle est externe, la baisse d’agentivité serait plus importante si le lieu de con - trôle était interne ? L’essentiel de la recherche en neurosciences et hypnose utilise la suggestion. Mais on peut être en hypnose en l’absence de suggestion : le niveau d’automaticité est modifié en hypnose et les régions de ce réseau de l’agentivité sont impliquées dans ce ressenti, même en l’absence de suggestions ou d’actions motrices manifestes. Cela peut paraître au premier abord paradoxal, puisque dans le cas de l’hypnose la redirection de l’attention produite par cette technique induit une perte du sentiment d’agentivité, ce qui semble contraire à l’idée même du libre arbitre.
Krystèle Appourchaux, chercheuse à Montréal, émet l’hypothèse que « la redirection attentionnelle implique des mécanismes qui sont mis en jeu à la fois dans l’hypnose et dans certaines techniques de méditation, ou encore dans l’EMDR, et que cette redirection attentionnelle permettrait la réunification du vouloir nécessaire à l’exercice d’une réelle liberté d’autodétermination, au sens d’une capacité longitudinale à contribuer soi-même à former son propre caractère et sa propre volonté » (2). Cette perte du sentiment d’agentivité pourrait précisément être la condition de l’exercice du libre arbitre, au sens longitudinal d’une capacité à modifier son propre devenir.
Faut-il le rappeler, le libre arbitre ne s’exerce pas lorsque l’on est seul. Il ne s’exerce pleinement qu’au travers d’une relation sécure. L’allusion des auteurs à Aristote est d’autant plus pertinente que ce concept permet à différentes vues d’y donner un sens en fonction de « leur balcon » : théoricien d’approches psychosociales, celui d’une approche cognitive ou d’une approche évolutive ou encore en neurosciences. Mais in fine, ces points de vue sont complémentaires et il s’agit davantage de les apposer que de les opposer.
HISTOIRE D’UNE ERRANCE DIAGNOSTIQUE ET THÉRAPEUTIQUE À LA RENCONTRE DE LA TRANSE
Sylvie Colombani-Claudel, responsable du diplôme universitaire d’hypnose clinique à Bordeaux depuis 2015, et Blandine Rossi-Bouchet, orthophoniste, toutes deux virtuoses de l’hypnose clinique, nous proposent un voyage thérapeutique dans une maladie orpheline : le Syndrome d’Ehlers-Danlos (SED). Bien que des recherches sur les origines génétiques des SED aient eu lieu et puissent encore avoir lieu (en fonction des financements), aucun processus thérapeutique de fond (de type thérapie génique) n’existe pour l’heure. J’avais eu l’occasion d’approcher dans mon expérience de cardiologue cette maladie du tissu conjonctif dans sa forme vasculaire, mais je n’avais pas mesuré à l’époque toute cette dimension douloureuse, invalidante que peuvent vivre ces patients qui en sont atteints.
Comme le précisent les auteures, il n’existe à ce jour aucune publication validante sur l’utilisation de l’hypnose médicale dans les traitements proposés à ces patients ; mais après avoir subi la maladie et ses traitements, l’hypnose pourrait s’intégrer à leur parcours de soins en leur ouvrant les portes de la transe, leur permettant ainsi de reprendre le contrôle de la sensorialité de leur corps (par un travail sur la légèreté, l’équilibre et leur part profondément vivante) et de leur autonomie (par un travail sur les liens à la maladie, sur l’estime de soi et sur l’appropriation de la transe), dans l’ultime dessein d’améliorer leur quotidien. Bonne lecture !
GÉRARD OSTERMANN Professeur de thérapeutique, médecine interne, psychothérapeute. Administrateur de la Société française d’alcoologie, responsable du diplôme d’université de Pathologie de l’oralité, Bordeaux 2.
Commander la Revue Hypnose & Thérapies Brèves n°61
N°61 Mai, Juin, Juillet 2021
Dossier : Ecothérapie et F. Roustang
- Edito: Créativité et résonance. Julien Betbèze, rédacteur en chef
- Peur de prendre l’avion. Technique des mains de Rossi. Corinne Paillette, médecin
- Remise en mouvement. Les techniques hypnotiques du « mine de rien ». Marie-Clotilde Wurz de Baerts, psychologue clinicienne
- Le pouvoir de la dissociation. Corps et trauma. Gérald Brassine, psychothérapeute
- Urgences radiologiques. Le récit de ma vie de grande sensible. Kathy Prouille, manipulatrice en électrocardiologie
- La plume et le masque. Histoire de masques, de vagues et de web-conférences par temps de pandémie. Olivier de Palézieux, médecin urgentiste
Douleur douceur
Edito. Gérard Ostermann, médecin
Automaticité et neurosciences. Carolane Desmarteaux, neuropsychologue et Pierre Rainville, directeur du laboratoire de neuropsychologie-physiologie de la douleur de Montréal
Syndromes d’Ehlers – Danlos. Errance du douloureux chronique. Sylvie Colombani-Claudel, médecin anesthésiste réanimateur et Blandine Rossi-Bouchet, orthophoniste
Dossier Ecothérapie autour de François Roustang
Edito : Réintroduire un imaginaire centré sur la coopération. Julien Betbèze
François Roustang et l’écothérapie. Il suffit de se sentir vivant. Virginie Coulombe, psychologue clinicienne
Hypnose et crise écologique. La transe, renouveau anthropologique. Nicolas Bichot, psychologue clinicien
Hypnose et narcissisme. La métaphore au service de la relation. Alexia Morvan, docteur en chirurgie dentaire
Rubriques :
Quiproquo, malentendu et incommunicabilité : Résonance. Stefano Colombo, psychiatre, illustration Mohand Chérif Si Ahmed, psychiatre
Les champs du possible : A la bonne heure ! Adrian Chaboche, spécialiste en médecine générale et globale
Culture monde : Ces songes qui guérissent. Les rites d’incubation d’Hyderabad à Epidaure. Sylvie Le Pelletier-Beaufond, médecin-psychothérapeute.
Les grands entretiens : Chantal Wood, pédiatre. Par Gérard Fitoussi, médecin
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- Peur de prendre l’avion. Technique des mains de Rossi. Corinne Paillette, médecin
- Remise en mouvement. Les techniques hypnotiques du « mine de rien ». Marie-Clotilde Wurz de Baerts, psychologue clinicienne
- Le pouvoir de la dissociation. Corps et trauma. Gérald Brassine, psychothérapeute
- Urgences radiologiques. Le récit de ma vie de grande sensible. Kathy Prouille, manipulatrice en électrocardiologie
- La plume et le masque. Histoire de masques, de vagues et de web-conférences par temps de pandémie. Olivier de Palézieux, médecin urgentiste
Douleur douceur
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Automaticité et neurosciences. Carolane Desmarteaux, neuropsychologue et Pierre Rainville, directeur du laboratoire de neuropsychologie-physiologie de la douleur de Montréal
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Hypnose et narcissisme. La métaphore au service de la relation. Alexia Morvan, docteur en chirurgie dentaire
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Quiproquo, malentendu et incommunicabilité : Résonance. Stefano Colombo, psychiatre, illustration Mohand Chérif Si Ahmed, psychiatre
Les champs du possible : A la bonne heure ! Adrian Chaboche, spécialiste en médecine générale et globale
Culture monde : Ces songes qui guérissent. Les rites d’incubation d’Hyderabad à Epidaure. Sylvie Le Pelletier-Beaufond, médecin-psychothérapeute.
Les grands entretiens : Chantal Wood, pédiatre. Par Gérard Fitoussi, médecin
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