Dépression: Hypnose et traitement d’un épisode dépressif aigu

Dr Claude Virot, psychiatre
Dr Franck Garden-Brèche, médecin hypnothérapeute



Si les dépressions sévères relèvent d’abord des antidépresseurs, les recommandations préconisent un recours à la psychothérapie dans les formes modérées à légères (1, 2). Depuis une dizaine d’années, l’hypnose a vu ses indications s’étendre des troubles douloureux chroniques (3) à l’anesthésie. Parallèlement, de nombreux praticiens ont développé des stratégies thérapeutiques basées sur l’hypnose pour les troubles dépressifs, aigus ou chroniques (4, 5).

L’hypnose a été identifiée comme l’une des modalités de la conscience éveillée dès les années 50 par l’EEG. Les recherches réalisées grâce au Pet-scan ont permis de montrer un fonctionnement cérébral spécifique du processus hypnotique (6). Lors d’une expérience sur un phénomène visuel par exemple, l’activation cérébrale concerne les mêmes zones occipitales que lors de la visualisation réelle. Ceci atteste physiologiquement d’une différence fondamentale d’avec la rêverie et la remémoration d’un souvenir. Plus récemment encore, d’autres recherches montrent l’activation de phénomènes de neuro-génèse attestant la dynamisation de la plasticité cérébrale. Pendant les phases hypnotiques, de nouveaux gènes seraient activés. Selon Ernest Rossi (7), les phénomènes psychologiques (hypnose) ou sociaux (relations entre individus) ont un impact sur l’activation ou la répression de certaines parties du génome.


La dépression vue par l’hypnothérapeute


Aiguë ou chronique

--› Les signes cardinaux de la dépression sont aujourd’hui bien connus et décrits dans le DSM IV-R, dans les recommandations de l’ANAES. L’angoisse est souvent associée et peut même en être le signe majeur. Selon la durée des troubles, nous parlerons de dépression aiguë ou chronique.

--› Par analogie, notre expérience auprès des patients douloureux chroniques puis de la pratique de l’hypnose en douleur aiguë (8) nous a permis d’observer d’autres différences, notamment en termes de stabilité et d’instabilité des symptômes, qui distinguent les dépressions aiguës des dépressions chroniques. Le trouble chronique tend à être stable, désespérant pour le patient et les soignants avec une succession d’échecs thérapeutiques. Dans la phase aiguë, la symptomatologie est très instable. L’intensité des troubles ainsi que la présence de certains symptômes (envie de mourir, troubles alimentaires, insomnie, désintérêt) peut varier d’un jour à l’autre, d’un instant à l’autre.

Le climat d’imprévisibilité, de perte de repères et de contrôle sur l’avenir à très court terme sont très impliqués dans l’angoisse. La symptomatologie devenant de plus en plus intense, le patient a besoin d’être reçu rapidement.

Circonstances d’apparition du trouble aigü

--› La dépression peut survenir à l’occasion d’événements de vie imposant une adaptation mentale. Ces événements sont soit imprévisibles (licenciement, annonce de maladie, décès, séparation, expropriation, agression...), soit prévisibles (éloignement familial, fin des études, retraite), mais il peut aussi s’agir d’événements « heureux » (grossesse, promotion, chance au loto).

--› Un piège : dans certains syndromes, mêmes sévères, aucune circonstance n’est repérée. En fait ces patients étaient déjà, parfois depuis longtemps, au bord de l’effondrement. Le facteur déclenchant peut alors être minime avec des conséquences très supérieures à la cause. On l’appelle effet non-linéaire. Cet effet de «lacet qui casse» est aujourd’hui largement décrit dans le Burn-Out.

La dépression aiguë, une crise adaptative ?

Les systèmes vivants passent par des phases d’instabilité dite chaotique (9) lorsqu’il n’y a plus de solution pour s’adapter. Beaucoup d’énergie est mise en jeu, mais elle semble incontrôlable. Apparaît alors une grande incertitude sur la capacité à retrouver un équilibre et des réponses adaptatives.

L’intensité s’étend des formes minimales jusqu’aux plus sévères. Dans cette phase souvent courte, de quelques heures à quelques semaines, la consultation survient lorsque l’intensité est d’emblée majeure ou lorsque le trouble se prolonge.

Le système (individu, famille, entreprise...) doit modifier son fonctionnement. L’énergie est utilisée vers ce but avec une apparente inefficacité (ruminations) (10), jusqu’à ce qu’une appréhension nouvelle de la situation apparaisse. La phase chaotique s’achève, l’ordre revient dans la vie du sujet, différent de ce qu’il était auparavant. Il y a eu un changement adaptatif (11,12).


L’hypnose dans la dépression


Hypnose et stratégie thérapeutique

--› L’hypnose s’adresse d’abord aux troubles dépressifs d’intensité modérée à légère. Au delà, les antidépresseurs seront privilégiés selon une stratégie classique (voir aussi encadré 1).

--› Au cours d’une dépression, l’état de conscience du sujet est modifié, envahi de pensées et d’émotions douloureuses, incontrôlables. Sa perception du passé est orientée vers les moments difficiles allant jusqu’à «oublier» les aspects positifs. Sa perception du futur est focalisée sur les dangers. Il ne ressent plus de plaisir dans ses activités habituelles. Énergie et attention sont centrées sur son monde intérieur, il modifie ses relations avec ses proches et ne ressent plus la même sécurité affective, d’où une angoisse majeure. Sa capacité de raisonnement s’effondre et il devient inaccessible à la logique de l’entourage qui voudrait lui faire «prendre conscience» de la situation pour relativiser ce qu’il vit.

--› L’hypnose génère une modification de l’état de conscience du sujet, contrôlée et réversible dans un cadre thérapeutique. Le patient peut se concentrer, se focaliser sur ce qui est important pour lui. Il peut retrouver un souvenir agréable de sa vie, une expérience sécurisante mémorisée mais inaccessible dans son état de conscience perturbée.

La transe hypnotique permet une relation très sécurisée et sécurisante avec le thérapeute. Les méthodes aujourd’hui employées pour l`induction et les suggestions thérapeutiques tiennent compte du patient ici et maintenant (émotions, langage, gestuelle). Le thérapeute se synchronise en miroir, potentialisant l’activité des neurones «miroir» (13) des lobes frontaux spécialisés dans l’empathie.

--› L’hypnose donne accès à la conscience de soi (14). Si le patient semble dormir, il vit une phase intérieure où il retrouve le contrôle au moins partiel de sa pensée. L’agitation mentale s’estompe au profit d’une focalisation, d’une stabilisation de son attention vers le confort et la sécurité.

En orientant l’attention du patient vers la réalité externe, le thérapeute favorise sa stabilité psychique. D’abord les informations visuelles : permettre au patient de se focaliser et de se fixer quelques instants sur des éléments ordinaires du lieu : un cadre, une couleur, un objet sur le bureau. Puis les informations auditives, kinesthésiques, olfactives. Cette technique favorise la stabilité.

L’expérience hypnotique active des processus para-sympathiques : ralentissement cardiaque et respiratoire, relaxation musculaire, régulation digestive.

Cet impact sur l’esprit et le corps est un grand apaisement immédiat pour le patient et lui donne confiance dans sa capacité à aller aussi bien qu’il vient de l’être pendant les quelques minutes d’hypnose. L’effet le plus visible concerne la réduction de la panique anxieuse. C’est le premier objectif à atteindre. Cette modification de son état de conscience le rapproche de ce qu’il connaît de lui même. Si cette modification est suffisante, les proches la perçoivent et le «reconnaissent». Cela procure une sédation de l’angoisse relationnelle et peut créer un effet de cercle « vertueux ».

--› L’hypnose agit sur les symptômes dépressifs (15), notamment sur la régulation précoce du sommeil. L’estime de soi est renforcée. En réactivant des épisodes favorables de sa vie, en observant ce qui fonctionne dans sa vie actuelle, le patient relativise le sentiment que tout est nul, qu’il est inutile...

Le ralentissement mental qui apparaît dans toute phase hypnotique est essentiel pour ce patient qui perçoit que la pensée lui échappe, qu’il en perd le contrôle. La capacité à orienter et fixer l’attention vers des souvenirs agréables ou vers des projections positives du futur inscrivent le patient dans une temporalité large avec une histoire et un avenir.

--› L’auto hypnose peut également être utilisée, après apprentissage par le patient des principes expérimentés avec le thérapeute. Elle vise à amplifier et à stabiliser les résultats initiaux, à lui permettre de retrouver une capacité au moins partielle de contrôle personnel, et à restaurer l’estime de soi. Elle ne remplace pas les séances avec le thérapeute, surtout dans la phase la plus perturbée.

--› En adaptant sa voix, sa posture, son rythme et les modèles de suggestion, le thérapeute peut dès la première rencontre faire passer de manière plus efficace les messages fondamentaux pour rassurer le patient sur ce qu’il est en train de vivre. L’objectif est de permettre au patient d’entendre et de comprendre ce que le thérapeute veut lui transmettre. C’est l’hypnose conversationnelle

Limites de l’hypnose

La disponibilité du thérapeute est essentielle. Le premier entretien, de même que les séances d’hypnose, demandent au moins 30 minutes.

Par ailleurs, les cognitions et les émotions étant accélérées, il est nécessaire de revoir rapidement le patient. L’intervalle subjectif entre les premières séances est vécu comme très long. Selon l’intensité des troubles, il peut être de quelques jours à une semaine. Parfois, la 2ème consultation doit se faire dès le lendemain. Dès le début de l’amélioration, les consultations s’espacent.

Dans certaines formes sévères, l’agitation voire la confusion empêchent la relation thérapeutique, le patient devenant résistant aux suggestions hypnotiques.

Le processus d’évolution

La première rencontre avec le médecin est une étape fondamentale. Conscient de ses troubles, le patient peut dire son mal-être et être entendu. Souvent pour la première fois, il peut, il ose parler de certaines difficultés personnelles ou familiales, d’où la sédation fréquente observée au décours de cette consultation.

Lorsque les troubles persistent, l’hypnose aidera la plupart des patients à évoluer favorablement. La pertinence de ce choix doit apparaître rapidement par une amélioration des symptômes. La stratégie sera revue si le patient ne ressent pas d’amélioration après 5 séances, soit une durée de 2 à 5 semaines. On s’orientera alors vers une association avec les psychotropes.

source: legeneraliste.fr

Rédigé le 22/06/2010 modifié le 22/06/2010
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