De la couleur avant toute chose. Sept modèles de changement dans la dépression

Par Dr Claude VIROT pour la Revue d'Hypnose et Thérapies Brèves.



Lorsque je « rentre en psychiatrie en 1983 », j’ai déjà fait la connaissance d’Erickson et de ses drôles de thérapies, dont l’hypnose, par le livre de Paul Watzlawick, « Le Langage du changement ». Il y a plus qu’un monde, un univers, entre ce qui est décrit d’Erickson et la réalité des traitements proposés aux patients atteints de dépression. Pour l’essentiel, la foi repose sur les antidépresseurs qui semblent promettre un monde de bonheur à chacun.

Il apparaît rapidement que les promesses restent des promesses et que les traitements deviennent de plus en plus longs, de plus en plus lourds. L’injection de molécules miracles standardisées dans le monde intérieur des patients a oublié en route l’originalité de chaque individu, son histoire, son contexte de vie et ce quelque chose qui semble si important pour Erickson : les ressources du patient. C’est plus qu’un oubli, une évidence : le patient déprimé n’a plus de compétences personnelles pour participer à son processus d’évolution et ne peut qu’espérer le miracle tant attendu.

C’est en 1986 que je peux enfin apprendre l’hypnose au sein de l’Institut Milton Erickson de Paris, animé par Jean Godin et Jacques-Antoine Malarewicz. C’est la première d’un long parcours qui va me faire naviguer sur des océans imprévisibles à récolter quelques couleurs pour ma palette. Pour les patients souffrant de dépression, j’en ai sélectionné 7, 7 comme les 7 couleurs de l’arc-en-ciel.

Pour nos yeux limités, un arc-en-ciel, ce sont 7 couleurs plus ou moins nettes. Un détecteur plus précis y verrait une infinité de couleurs, ou plutôt une infinité de longueurs d’ondes différentes. De la même manière, l’exercice quotidien avec les patients présentant des troubles dépressifs est fait d’une infinité d’éléments : un ton de voix, un mot à la place d’un autre, le délai entre deux rencontres...

J’ai trouvé pratique de décrire ces sept modèles qui ont influencé mon travail en respectant autant que possible leur chronologie. Les césures n’ont pas été aussi nettes dans la réalité et beaucoup de couleurs sont des compositions de plusieurs autres, le passage du bleu au jaune se fait par une infinité de verts.

Violet : les ressources de Milton H. Erickson

Au-delà de l’hypnose, l’enseignement le plus radical transmis par Erickson est que les patients ont des ressources et qu’il convient de les activer et de les aider à les utiliser pour qu’ils s’engagent dans un processus de changement. En revenant à mon service de psychiatrie, ce concept de ressources me paraissait beaucoup plus flou, sinon même « carrément fumeux ». Les patients sont passifs, épuisés, angoissés, tristes et n’attendent qu’une chose : leur dose de produits. De quelles ressources peut bien parler Erickson ?

Les siennes, peut-être. Il est sûr qu’il lui en a fallu toute sa vie pour surmonter handicaps de naissance et maladies invalidantes. Pour survivre à deux épisodes qui auraient dû avoir raison de lui. Pour travailler comme thérapeute et enseignant jusqu’à ses derniers jours. Bien sûr, ce parcours force le respect mais un homme exceptionnel ne fait pas que les autres le soient. Pourtant il soigne au quotidien des hommes et des femmes souffrant des mêmes troubles que mes patients et de nombreux observateurs racontent des guérisons étonnantes.

Pour Erickson, ces évolutions sont normales, naturelles, puisque nous avons tous en nous un immense magasin de ressources et de solutions dans lequel nous pouvons puiser pour évoluer et changer. Ce sont les ressources du patient et non pas celles du thérapeute qui sont essentielles, d’autant plus que les antidépresseurs ne sont prescrits de manière habituelle que dans les années 1970 lorsque Erickson a 70 ans ! Il a appris à faire sans pendant des dizaines d’années.

Le problème est que ces ressources sont peu actives chez la personne souffrante alors qu’elles lui seraient si nécessaires. C’est ici que l’hypnose est fondamentale.

L’hypnose est une chose simple, d’ailleurs la transe est naturelle et tout le monde peut en faire l’expérience. « Il suffit » de permettre au patient de se focaliser sur une expérience agréable, un lieu confortable ou un lieu sûr, de l’aider à fixer son attention sur cette expérience pendant un certain temps, et il va accéder consciemment et inconsciemment à des ressources oubliées ou à de nouvelles ressources.

Sur le plan technique, le thérapeute doit utiliser des mots choisis et surtout modifier sa voix pour qu’elle devienne plus lente, avec des pauses, l’idéal étant de copier le rythme respiratoire du patient pour se synchroniser avec lui. Ceci suppose que le thérapeute devienne un expert dans l’observation de son patient pour repérer sa manière de parler, ses mots, ses gestes, et aussi ses valeurs, ses expériences, les personnages majeurs de sa vie, ses réactions ici et maintenant dans la séance, avant ou pendant la transe.

Chaque information que le patient apporte est importante et peut devenir essentielle. D’où l’adage prêté à Erickson : pour être un bon thérapeute il faut savoir faire trois choses : observer, observer et observer... Observer tout ce qu’apporte le patient, ses douleurs et ses peurs, bien sûr, mais aussi ses compétences et ses expériences, son énergie et sa motivation, son courage et ses soutiens, tout ce qu’il ne voit plus dans cette phase de sa vie.

Après l’observation vient l’utilisation soigneuse et respectueuse de toutes ces informations qui font partie de l’univers intime du patient. C’est au thérapeute de s’adapter au patient, de devenir suffisamment souple pour devenir quelqu’un qui lui ressemble, une sorte de miroir qui lui renvoie tout ce qui peut lui être utile. C’est pendant la transe partagée que cet accordage est le meilleur : lorsque le thérapeute parvient à se synchroniser presque parfaitement avec le patient quel qu’il soit.

Les bases sont si simples qu’il serait curieux que cela suffise. Et pourtant, en appliquant ces quelques outils, une moitié de mes patients peut évoluer favorablement sans recours aux psychotropes, c’est-à-dire sans avoir besoin d’introduire dans leur système une substance étrangère. Ce sont quand même les sujets qui souffrent des dépressions les plus accessibles.

Erickson, hypnose et ressources vont ensemble. Cependant, manque au moins une dimension fondamentale : la métaphore. Erickson racontait des histoires pendant les transes, hors des transes, dans ses enseignements et à tous ceux qu’il rencontrait. Depuis l’anecdote d’un autre patient, une scène qu’il avait observée dans la vie courante, un conte ancestral ou une histoire inventée pour ce patient, ce jour-là.

Chaque histoire devient une métaphore, un autre lieu et un autre temps où il focalise son attention. Surtout si le thérapeute passe en mode « hypnose », c’est-à-dire change sa voix, le rythme et introduit des éléments qui appartiennent au vécu du patient. J’étais très inquiet lorsque j’ai osé inviter un patient à fermer ses yeux, à laisser sa respiration trouver le meilleur rythme, pendant que je lui racontais l’histoire d’un chevalier du Moyen Age, ses difficultés et les solutions.
Il a écouté cette histoire pour enfants, immobile comme son bras en catalepsie, il s’est orienté de nouveau dans la pièce, il est resté pensif quelques instants sans demander d’explications. Quand je l’ai revu, quelques jours plus tard, il avait décidé de rencontrer son grand-père qu’il n’avait pas vu depuis l’âge de 5 ans suite à des querelles familiales...

Les métaphores nous font quitter la logique linéaire, rationnelle que notre formation a su forger en nous, pour évoluer dans le monde mystérieux et imprévisible de l’imaginaire (qu’Erickson appelle plutôt inconscient), un monde illimité et hors du temps réel dans lequel nous puisons au quotidien des idées nouvelles ou des rêves qui orientent notre futur.


Indigo : vers une écologie de la thérapie

Erickson ne vient pas seul dans cette première formation. Il est accompagné de Gregory Bateson, anthropologue, scientifique touche-à-tout et philosophe, qui dirige une recherche dans les années 1950 sur la communication du schizophrène. C’est le début d’une histoire reliée au Mental Research Institute de Palo Alto qui se focalise sur l’importance des interactions entre individus pour le meilleur et pour le pire.

C’est le moment où la notion de système est construite. Elle sera diffusée en particulier par Joël de Rosnay dans « Le Macroscope » et nous est transmise par Jacques-Antoine Malarewicz déjà formé à la thérapie familiale en Italie.

Les systèmes sont de toutes sortes : un ensemble d’éléments en interaction reliés par un même objectif et évolutifs dans le temps. Celui qui nous intéresse le plus est le système familial qui entoure chacun de nous, qui peut nous aider face aux difficultés, devenant alors une ressource externe majeure, mais aussi capable de générer des difficultés pour ses membres où de résister à l’évolution de l’un d’entre eux.

Avec le système, c’est la famille qui s’invite dans la thérapie à côté de l’hypnose qui mobilise les ressources internes. Chacun se construit dans sa famille, dans les relations permanentes avec les parents, les grands-parents, les frères et sœurs, et au-delà... Chacun de ces liens peut être favorable à notre évolution ou devenir une limitation, chacun peut être favorable à une époque et un handicap à une autre. La famille est un système vivant qui se modifie et se transforme en permanence. Comme tout organisme vivant, sa première mission est la survie.

Elle le fait grâce à deux grands principes. Le premier est l’homéostasie, un ensemble de règles et de valeurs que chacun doit respecter. L’homéostasie l’emporte sur tout autre considération quand le système se sent menacé : départ d’un enfant, décès, arrivée d’un nouveau membre, changement d’attitude d’un enfant lors de l’adolescence...

Dans chacune de ces situations, le système peut se fermer, se rigidifier et résister au changement, même si ce changement est nécessaire à l’évolution d’un de ses membres. Dans ces circonstances, le membre en question va envoyer des signes de souffrance comme la colère, la résignation ou la dépression. L’homéostasie va aussi jouer un rôle protecteur face à un décès, une maladie, un problème financier. Et nous verrons alors l’ensemble des membres de cette famille réunir leurs compétences pour faire face à la difficulté. L’homéostasie assure la protection à court terme.


Le deuxième grand principe est la tendance à la croissance, la tendance à grandir. Pour accueillir de nouveaux individus, enfants, brus et gendres, de nouvelles idées. La croissance permet de se projeter sur le long terme, au-delà des générations.

Ces deux principes sont un peu comme le frein et l’accélérateur de votre voiture : chacun est essentiel et ils se complètent pour arriver à bon port.
Si le nec plus ultra de la thérapie systémique est la thérapie familiale qui réunit tous les membres dans un processus thérapeutique sur plusieurs séances et plusieurs mois, la base est l’entretien systémique dans lequel au moins deux individus rencontrent ensemble le thérapeute.

Cet entretien, souvent facile à instaurer, répond à des règles techniques spécifiques, comme la circularisation de l’information, l’alliance avec chacun, le respect des différences... Il permet d’abord et surtout à des individus bloqués par leurs interactions de modifier leurs positions après avoir vérifié que chacun respecte la valeur de l’autre.

Ce modèle apporte un souffle puissant dans les thérapies de patients dépressifs. A la fois pour soutenir efficacement le patient en souffrance, en intégrant les bons messages, en allant tous dans le même sens, pour renforcer des liens distendus ou pour assouplir des liens trop serrés. En quelque sorte pour favoriser la dissociation, ou au contraire, une association naturelle qui était défaillante.

Comme pour Paul, 22 ans, dont douze années de souffrance, de thérapies et d’antidépresseurs. Il s’isole beaucoup et peut exploser dans des accès de fureur avec ses parents. Des parents qui voudraient qu’il vienne me voir pour des séances d’hypnose. Lui ne veut plus rien. C’est seulement après une année supplémentaire de marasme et une nouvelle séquence de destruction qu’il accepte de me voir.

Son objectif est de pouvoir prendre le train pour aller voir un cousin. Il fait rapidement des progrès mais se ferme de nouveau lorsque je suggère une rencontre avec ses parents. Il peut accepter que je rencontre sa mère mais son père est décrit comme une brute violente avec qui il n’a aucune relation depuis qu’il est enfant. La mère confirme mais précise qu’aujourd’hui le père a beaucoup évolué et est disposé à aider son fils.

Lorsqu’il autorise son père à venir dans un entretien, sa colère s’effondre devant son père qui pleure sa détresse. C’est comme une barrière infranchissable qui tombe. Ils décident de prendre le risque d’aller voir une exposition qui les intéresse tous les deux. Trois semaines plus tard, Paul annule son rendez-vous : il a accepté une invitation au Portugal, dans la famille de son père.
Miracle ? Oui pour eux.

Pour moi, surtout une énième confirmation de la puissance du système familial pour le pire et l’intérêt majeur de ces rencontres capables de faire émerger le meilleur.

Bleu : le temps du changement, c’est maintenant


Les années difficiles commencent après quatre ou cinq années d’exercice. Je rencontre de nombreux patients souffrant de dépressions très chroniques, parfois très anciennes, et parmi les patients qui évoluent peu ou pas du tout, nombreux appartiennent à cette catégorie de dépression chronique sévère. Peu à peu ces patients embellissent mes consultations pendant que nous attendons encore une hypothétique évolution.

La thérapie active et dynamique devient bien vite thérapie de soutien. Il faudra une formation à la thérapie brève dispensée par l’institut Bateson de Liège pour que j’applique rigoureusement ces principes que j’avais pourtant déjà appris. Poser un cadre temporel précis et s’y tenir, définir un objectif le plus petit possible et s’y tenir, mettre le patient en position active par des prescriptions et tâches, dont la prescription de symptôme est le plus beau fleuron, mais aussi le plus difficile à « vendre » au patient.

C’est pour ces patients dits chroniques que ces principes sont les plus utiles. Ils ont une grande expérience de l’échec et savent la transmettre au thérapeute, ils sont figés dans leur dynamique temporelle, disposent de très peu d’énergie de changement et une créativité proche du néant.
Le cadre temporel doit être précis et rigoureux. De dix séances au début, je suis progressivement passé à cinq puis à trois.

Trois séances pour prouver que le système thérapeutique que nous avons créé est efficace et permet d’atteindre le plus petit changement possible. Négocier avec un patient qui veut reprendre son travail après cinq années de dépression continue, jusqu’à ce qu’il convienne que sortir dans son jardin pendant une heure pour voir ses fleurs est déjà un succès puisqu’il n’est plus sorti depuis des mois.

Trois séances pour réussir à réactiver un système complètement bloqué et rigidifié. S’il est bien choisi, ce plus petit changement possible a de bonnes chances d’être atteint et permet au patient, comme au thérapeute, de signer un premier succès. Celui-ci pourra alors ouvrir à un autre contrat avec un autre objectif, lui aussi très limité, mais soutenu maintenant par une nouvelle motivation et une nouvelle dynamique du patient.

Si les ressources et les motivations de ces patients sont limitées, elles sont pourtant présentes et vivantes, en particulier lors de la demande de rendez-vous. C’est le meilleur moment pour commencer la thérapie ici et maintenant. Cette petite flamme permettra de respecter les premières prescriptions. Elle autorisera aussi le thérapeute à surprendre, voire provoquer, à déstabiliser ce patient qui se maintient depuis si longtemps dans un équilibre douloureux. C’est ici que toute la créativité du thérapeute peut s’exprimer comme le faisait Erickson.

Lucie a 26 ans. Elle ne travaille plus depuis sa tentative de suicide il y a deux ans. Elle n’arrive plus à sortir, à voir ses amies. Ses parents lui font des courses alimentaires toutes les semaines et l’accompagnent de leur mieux. Elle passe ses journées assise sur un coussin à regarder la télévision, elle zappe sans vraiment regarder, dit-elle, à cause des médicaments qui l’abrutissent.

L’objectif décidé est qu’elle recommence à lire des revues féminines. Un premier miracle ? Appeler son amie anglaise avec qui elle a fait ses études. Elle y pense chaque jour mais n’a pas le courage. Je lui prescris de continuer soigneusement à regarder la télévision toute la journée, mais elle doit lancer un dé chaque matin. Le chiffre du dé sera celui de la chaîne pour toute la journée.

Elle pense que ça ne changera rien, en tout cas ce ne sera pas pire. Erreur, elle doit suivre toutes les émissions, les infos, les pubs à en vomir. Mais elle tient jusqu’à un matin où dès son réveil elle appelle son amie anglaise. Elle a atteint son objectif dès la deuxième semaine. Le plus dur était fait, sortir de son ornière.

Vert : le chaos créatif

La théorie du chaos, ou théorie du papillon, est née dans les années 1970. C’est en lisant le livre de James Gleick, « La Théorie du chaos », que j’apprends que les systèmes complexes passent par des phases chaotiques à chaque fois qu’ils n’ont plus la capacité de s’adapter simplement aux évolutions naturelles. Chaque être humain est un système complexe vérifiant la formule : un plus un est différent de deux. La différence vient de l’interaction entre les deux éléments qui crée une dimension nouvelle, la dimension complexe.

Si cette idée de phases chaotiques permettant à un système de créer de nouvelles solutions m’attirait, ce n’est que vers 1997 que j’ai fait le lien avec les derniers patients pour qui je prescrivais encore des antidépresseurs. Certains de ces patients consultant « en urgence », paniqués par une perturbation brutale qu’ils ne comprenaient pas.

Habituellement, les troubles sont récents, sévères, l’angoisse est majeure, les symptômes sont très instables et très variables d’un moment à l’autre, très imprévisibles. Pour d’autres, cette perturbation survient dans le cadre de la thérapie. En reliant ces phases critiques avec la théorie du chaos, j’ai pu vérifier que ce processus prélude à un réaménagement majeur dans le mode du fonctionnement du patient. Ce sont des changements de type 2.


Comme dans l’histoire du lacet qui casse, un tout petit événement peut déclencher une crise chaotique. Intensité et durée sont très variables : de faible, voire presque inapparente à impressionnante pour l’intensité, de quelques minutes à quelques jours ou semaines pour la durée. Pendant la phase chaotique, le système est très sensible au moindre changement. Une poussée dans un sens ou dans l’autre va calmer ou amplifier la situation. Pensez aux crises de couple, aux réactions avec un adolescent.

L’essentiel est d’accompagner cette crise pour qu’elle aille jusqu’au bout dans un contexte sécurisé et protégé. Le cadre médical construit un tel cadre qui permet d’attendre la résolution. Lorsque celle-ci survient, calme et bien-être reviennent immédiatement. Dans cette phase d’attente, l’hypnose est fondamentale pour contrôler l’angoisse et la technique classique du lieu sur corporel fait des merveilles. Le coloriage de mandalas permet aussi de trouver un apaisement temporaire dans les moments les plus difficiles.

Géraldine a 35 ans, mariée depuis dix ans. Tout va bien sauf qu’elle ne peut pas avoir d’enfant en raison d’une peur majeure qui apparaît dès qu’il est question de bébé ou dès qu’elle en voit un. Nous avons fait plusieurs séances qui n’ont eu aucun effet bénéfique. Un an après ma dernière rencontre avec elle, elle demande à me voir en urgence.

Elle est métamorphosée, la mine défaite, en larmes, ne contrôlant plus ses sensations ni ses émotions, décrivant sa vie comme un échec total. Son médecin veut l’hospitaliser. Les troubles sont apparus brutalement il y a une semaine. Elle a raté un train et s’est effondrée en larmes sur le quai de la gare. Identifiant une phase chaotique, je lui décris le processus en cours, je lui demande d’observer tout ce qui se passe pendant quatre jours et lui « prescris » de colorier des mandalas.

J’ai demandé à voir son mari à la deuxième consultation afin d’éviter une réaction en chaîne de panique de sa part. Elle va mieux, colorie beaucoup et, plus surprenant, son mari m’apprend que depuis quelques jours, elle parle de grossesse et de maternité avec sa mère et ses amies. Géraldine confirme mais ne sait pas pourquoi la peur qu’elle ressentait auparavant s’est envolée.


Jaune : Rossi et l’unité esprit-corps


Si nous avons vécu près de quatre siècles, depuis Descartes, avec la dissociation du corps et de l’esprit, nous vivons aujourd’hui les temps de la réassociation vers une vision globale de l’humain. Si chacun sait que toute perturbation physique est doublée d’une perturbation mentale et réciproquement, la science contemporaine est en train de le redécouvrir et d’accumuler des preuves. Depuis plus de trente ans, Ernest Rossi intègre ces données expérimentales dans sa pratique hypnotique.

Nous savons maintenant que nos neurones sont remplacés tout au long de notre vie par un processus appelé neurogenèse. Ce processus est stimulé par les exercices physiques et mentaux (sports et mots croisés...), les expériences nouvelles (voyage, visite, thérapie, formation...), et par les états de focalisation intense de la conscience type transe.

Autrement dit, tout ce que nous faisons dans nos thérapies hypnotiques et thérapies brèves ! Des expériences mentales qui modifient la matière cérébrale, mais aussi en activant certaines parties du génome (dans chaque cellule) pour produire de nouvelles protéines, elles-mêmes impliquées dans les processus de guérison tissulaire.

Le mental peut modifier le corps ! Vers la guérison mais aussi vers la maladie. La dissociation esprit/corps ne tient plus et pourrait conduire à des remaniements spectaculaires dans les catégorisations des pathologies ainsi que dans les traitements.
Parallèlement à cette assise scientifique en plein essor, Rossi a sélectionné et amplifié des principes hypnotiques fondamentaux depuis les premiers écrits sur l’hypnose et largement utilisés par Erickson : les processus idéo-dynamiques.

Pour favoriser ces processus, le patient met ses mains en équilibre, relie une main à ce qui le préoccupe, l’autre à ses ressources. En générant une tension mentale, parfois pénible, focalisée sur le problème, il se produit une activation cérébrale consciente et inconsciente qui se traduit par des mouvements involontaires dans les mains.

L’ensemble génère une dissociation hypnotique majeure qui active les ressources mentales et corporelles du sujet. Le thérapeute, en miroir, accompagne, focalise et soutient le processus en limitant au maximum toute suggestion.

Depuis que j’ai rencontré Ernest Rossi en 2003, ce modèle a transformé ma pratique avec les patients dépressifs sur plusieurs points. Il confirme les observations d’aridité mentale du patient chronique : perte de nouveauté, d’exercices et de transe créative génèrent un affaiblissement du potentiel vital. D’où l’intérêt du plus petit objectif possible.

Nous observons les mêmes choses chez les patients douloureux chroniques, comme si dépression mentale et douleur chronique étaient les deux faces d’une même réalité. La plupart des patients douloureux chroniques reçoivent des traitements similaires aux patients dépressifs, et dans ma pratique, la stratégie que j’applique dans les deux situations est quasiment la même.

Sur le plan pratique, la technique de Rossi est un nouvel outil particulièrement puissant dans les dépressions chroniques pour mettre en route un processus de changement créatif ou pour l’amplifier. Le minimalisme des suggestions associé au soutien permanent du thérapeute offre au patient l’espace thérapeutique intérieur le plus large possible.

Avec ce modèle, nous avons une nouvelle couleur à notre palette et nous pouvons penser les difficultés observées d’une manière nouvelle. Et Erickson disait toujours que les problèmes viennent de limitations de l’esprit conscient. Si nous nous orientons différemment dans la réalité, celle-ci se transforme. Si nous acquérons une vision globale, notre capacité d’action s’en trouve très augmentée.


Rédigé le 30/05/2011 modifié le 30/05/2011
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