Concordanse. Thérapie conjugale ondulatoire

Par Frédéric BERBEN

Revue Hypnose & Thérapies Brèves n°34

Considérer l’individu qui constitue, avec son partenaire, le couple, est un fondement original pour envisager la thérapie conjugale comme une danse où l’hypnose suscite un accordage créatif.



« Je me lève et je te bouscule, tu n’te réveilles pas, comme d’habitude, sur toi je remonte le drap, j’ai peur que tu aies froid, comme d’habitude, ma main caresse tes cheveux, presque malgré moi, comme d’habitude, mais toi tu me tournes le dos, comme d’habitude… ».

Voici la réalité des scènes de la vie à deux telles qu’immortalisées par Cloclo : des sensations, des sentiments et des idées toutes en même temps et conjuguées au présent. Qu’est-ce qu’un couple ? Une croyance, lorsque les conjoints se pensent « en couple» alors qu’ils se trouvent à distance l’un
de l’autre ? Un phénomène, quand il advient, surgit, se présentifie ici et maintenant ? Unidimensionnel ou multidimensionnel? Et si, pour s’articuler et se répondre dans le couple, chacune des dimensions devait d’abord être vécue et harmonisée au sein de chaque conjoint ? Les thérapeutes seraient alors confrontés à un paradoxe de taille : pour débuter la thérapie d’un couple, il faudrait d’abord s’occuper des individus ! Nous verrons la nécessité avant tout de favoriser un « accord » interne individuel harmonieux.

Ensuite, nous tenterons de considérer les processus en cours entre les individus, au moment où le couple se manifeste. Quels sont les mécanismes qui entrent en jeu ? Quelles sont les articulations entre les systèmes individuels et le système couple ? Nous en proposerons une modélisation.

Enfin, nous définirons de nouveaux outils hypnotiques pour une thérapie instantanée, multidimensionnelle et ondulatoire du couple en proposant trois techniques hypnotiques : la « danse des mains », « quand le couple fait dos-dos » et « un souvenir du futur ».

LE SYSTÈME PRINCEPS : L’INDIVIDU

Bien que formé d’abord à la systémie, je suis obligé de constater depuis quinze ans que la souffrance ressentie à l’origine de la consultation de couple est d’abord personnelle, tout comme la demande de changement et les axes sur lesquels ces améliorations devraient porter. Le sujet est auto-référé et auto-organisé « de par son autonomie et son individualité». Edgar Morin montre l’individu comme un système fermé sur lui-même dans ses frontières, lesquelles ne peuvent pourtant exister que par les échanges permanents avec ce qui l’entoure. C’est au sein de cette dynamique de complexité que les partenaires d’un couple évoluent : « La partie est dans le tout, le tout est dans la partie qui est à l’intérieur du tout ! »

L’individu est autocentré, c’est-à-dire qu’il se trouve davantage en zone de confort lorsqu’il oscille autour de son propre centre de gravité ; il lui faut donc un ancrage solide et un alignement souple. De plus, il n’absorbe pas une réalité toute faite qui lui préexiste. De son interaction avec ses contextes, il construit une réalité à partir de ses sens, de ses émotions, de ses pensées et la tient pour vraie. Elle ne correspond qu’à une des multiples réalités qu’il peut édifier. Le monde est filtré, interprété, modelé. « Ce que nous expérimentons, découvrons et savons est nécessairement constitué de nos propres éléments de construction et seuls nos manières et moyens de construction peuvent en rendre compte » dit Ernst Von Glasersfeld dans son Introduction à un constructivisme radical.

Il s’agit donc d’abord, pour le conjoint en couple, de se trouver en harmonie avec lui-même, de découvrir son propre « accord majeur ». Je propose de se représenter chacune des dimensions au sein de la personne comme une note de musique au coeur d’un accord de guitare ou de piano. A chaque instant, son vécu serait ainsi un accord interne multidimensionnel. Ces dimensions varient en permanence en intensité et en espace, définissant des ondes. Lorsque l’accord a lieu, les vécus de bienêtre, d’alignement, de plénitude, d’ancrage et d’harmonie sont au rendez-vous. Cela « vibre ». Une « longueur d’onde globale » peut être ainsi définie, plus ou moins intérieurement harmonieuse, à chaque instant et pour chaque personne.

Dans ce modèle, les problèmes et difficultés individuelles proviennent de discordances et de dysharmonies entre les différentes dimensions, comme si une note dans un accord de guitare sonnait faux (1/2 ton trop bas par exemple), ou bien qu’elle n’était pas jouée (donc absente de l’accord), ou encore jouée avec une faible intensité (ainsi noyée au milieu des autres notes qui prendraient le dessus). « Cela sonne faux », le patient « envoie de mauvaises ondes ». Comment permettre de « réaccorder » les dimensions internes en limitant les interférences entre les ondes et en favorisant l’harmonie des accords ? En général, dès la première séance, je propose des expériences centrales « d’autoratification» centrées sur une assise (pour l’ancrage), un maintien de l’axe hanchesépaules- tête (pour l’alignement), une centration sur la respiration (pour le recentrage), un scan corporel anesthésique (pour les compétences). L’auto-ratification est un signaling vital. Il veut dire que la personne valide pour elle-même que quelque chose est en train de se passer en elle et parfois dans son rapport aux contextes environnementaux. Elle se reconnait du domaine du vivant. Elle peut toucher sa conscience efficiente pour mieux se nommer en instant présent, trouver son identité et recontacter son centre de gravité (cf. Gaston Brosseau).

LE MÉGASYSTÈME : LE COUPLE

J’utilise le concept de Mégasystème pour désigner l’ensemble constitué par les deux systèmes princeps (partenaires du couple) en interaction réciproque, mûs par une dynamique d’accordage et construisant des concordances. Ce Mégasystème n’est pas « méta » car il n’est ni au-dessus, ni
en-dehors, ni « à propos de ». Il se produit en même temps que les systèmes Princeps, se construit et évolue avec eux et par eux. Il contribue en retour à les engendrer, et les impacte positivement ou négativement. Le Mégasystème couple est simplement beaucoup plus vaste que chacun des systèmes individuels, car il représente le champ du produit de leurs diverses dimensions, exprimées ici et dans tous les ailleurs ayant existé et à venir, dans tous les espaces présent, passés et imaginables.

Voici le diagramme analogique qui figure le modèle général de la manifestation du couple :Nous avons vu qu’à l’interne de chaque individu un accord peut être trouvé en thérapie. Ce dernier répond à la définition du dictionnaire : « Un accord est l’union coordonnée d’au moins trois sons qui constituent l’harmonie » (Larousse). Dans le couple, ce processus se répète et se nomme accordage. Les dimensions respectives des deux systèmes Princeps constituent autant de champs au sein desquels les phénomènes dimensionnels se produisent. Ainsi, dans le champ cognitif d’Agnès par exemple, certaines idées, des valeurs et croyances sont à l’oeuvre. Dans le champ cognitif de Bertrand, son compagnon, des idées, croyances et valeurs
sont également en action. Au moment où ces champs se recouvrent, se contactent, l’ensemble de leurs points entrent en interaction.

Des ondes apparaissent qui vont leur permettre de se retrouver « sur la même longueur d’onde » ou pas. Comme un phénomène sismique ou climatologique, quelque chose se passe, vécu par les partenaires et observable de l’extérieur. De quoi s’agit-il ? Est-ce énergétique ?Ondulatoire ? Mécanique ? Probablement tout cela à la fois… Il est important de bien saisir que l’ensemble des dimensions et sous-dimensions concordantes ainsi que l’espace occupé par les champs du Mégasystème définissent les frontières du couple par rapport à son environnement et génèrent le vécu de bienêtre. Le système peut s’améliorer. Comme le souligne Brian Greene, physicien : « Les dimensions ont toutes un rapport avec les différents axes directionnels dans lesquels on se déplace et on les appelle parfois degrés de libertés et plus on dispose d’un grand nombre de dimensions ou degrés de
liberté, plus on peut faire de choses ».


FRÉDÉRIC BERBEN
Psychologue clinicien, psychothérapeute, hypnothérapeute, thérapeute familial. Formé par Claude Virot (Hypnose et thérapies brèves, Institut Emergences, Rennes). Intégration d’autres approches : Quantique, Pleine conscience, Qi Gong, Holistique. Exerce en service de thérapie familiale interhospitalier en santé mentale et en libéral à Laval (Mayenne).


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Rédigé le 27/08/2014 modifié le 23/10/2014
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Dr Thierry SERVILLAT, Psychiatre, Ancien Président de la Confédération Francophone d'Hypnose et… En savoir plus sur cet auteur


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