Apprendre à jouer avec ses douleurs. Formation Hypnose et Congrès 2007

Une application de la dissociation dans le contexte sportif
Fabrice De Zanet
Formation en Hypnose
Formation en Hypnose Ericksonienne



On parle d’excellence à propos de ces athlètes qui ont atteint le plus haut niveau de leur discipline et s’y sont maintenus, démontrant ainsi une capacité à se dépasser continuellement. Si la notion de réussite renvoie à celle de performance exceptionnelle ou de victoire, l’excellence est plutôt le processus à travers lequel un individu (ou une équipe) va mobiliser les ressources nécessaires à l’accomplissement d’un but de dépassement de soi.

Toutefois, le chemin qui attend l’athlète décidé à atteindre le plus haut niveau de sa discipline est long et exigeant. Le sport de haut niveau se caractérise en effet par des exigences élevées et souvent paradoxales. Il est demandé à l’athlète de gagner, tout en prenant du plaisir, d’être rigoureux et de savoir se détendre, de faire le maximum et de savoir se mettre en pilote automatique, de savourer un succès et de ne pas s’en contenter, de se donner à fond et de s’économiser.
Nous avons ainsi défini 8 défis majeurs auxquels les athlètes de haut sont confrontés en permanence dans leur quête de l’Excellence (voir modèle ci-dessous).

Ce modèle comprend 4 axes de développement, chaque axe se caractérisant par deux défis complémentaires.

Axe 1 Accomplissement.
o Le défi de la résonance consiste à rechercher l’accomplissement de soi dans sa vie d’athlète de haut niveau. Le défi de la résonance consiste pour l’athlète à rester en contact avec ce qu’il aime faire (ses motivations), ce qu’il veut faire (ses aspirations et valeurs personnelles) et ce qu’il sait faire (ses talents).
o Le défi de l’équilibre consiste à accorder une place centrale à son projet sportif tout en maintenant un équilibre face aux autres projets, responsabilités et contraintes.

Axe 2 Préparation
o Le défi de la progression consiste à s’investir dans un travail continu de développement et d’entraînement des aptitudes physiques, techniques, tactiques et mentales.
o Le défi de la résilience consiste à maintenir ce processus de progression malgré les difficultés et échecs que l’athlète va inévitablement rencontrer.

Axe 3 Compétition
o Le défi de l’action consiste à maintenir sa détermination à rechercher des solutions et à utiliser ce que l’athlète sait et peut faire « ici et maintenant » pour obtenir une bonne performance.
o Le défi de l’acceptation consiste à permettre à son expérience de la compétition (pensées, émotions, sensations corporelles), d’être ce qu’elle est sans chercher à la modifier.

Axe 4 Relations
o Le défi de la collaboration consiste à construire des relations de collaboration avec son entraîneur, ses coéquipiers, son entourage dans un but de progression et de développement mutuel.
o Le défi de la compétition consiste à élaborer, à vivre sereinement et à tirer profit des relations de compétition avec des adversaires, proches ou éloignés, voire même avec des coéquipiers.

Dans le cadre de cette contribution, nous nous intéresserons plus particulièrement aux défis de la compétition. Le temps de la compétition est celui de l’intensité : intensité mentale, émotionnelle et bien entendu physique. C’est aussi le moment où les athlètes disent vivre le plus intensément l’influence tant positive que négative du mental et des émotions sur la performance. Les athlètes font parfois l’expérience de l’automaticité qui se caractérise par une immersion totale dans l’action et par une performance quasi sans effort. Il s’agit d’une sorte de synchronisation entre le corps et l’esprit. Mais les athlètes font aussi l’expérience de la « désynchronisation ». Ils la décrivent généralement de deux façon différentes : soit ils ne parviennent pas à reproduire en compétition les gestes qu’ils parviennent à accomplir à l’entraînement, soit leur expérience de la compétition (pensées, émotions, sensations physiques) est vécue comme antagoniste à la performance. Pour la majorité des athlètes cette désynchronisation corporelle et/ou mentale est considérée comme un obstacle majeur à la performance. Pour remédier à cette situation, ils essaient le plus souvent d’agir de façon directe sur cet obstacle en cherchant à reprendre le contrôle de leurs gestes ou de leur expérience.
Approche traditionnelle de la préparation à la performance sportive.

Les solutions généralement utilisées par les sportifs font partie de ce que Gardner et Moore (Gardner & Moore, 2006) appellent l’approche traditionnelle de la préparation psychologique à la performance sportive. Selon ces auteurs, le rôle du préparateur est de lever les obstacles psychologiques (pensées, émotions, comportements) qui empêchent l’athlète d’être dans un état psychologique idéal.
Comme le rappellent Gardner et Moore, l’approche dominante en matière de préparation psychologique est directement issue des thérapies cognitivo-comportementales de la seconde vague. Les manuels, principalement nord-américains, sont largement consacrés au modèle appelé « Psychological Skills Training » (PST) et dont le postulat est que tout athlète doit apprendre et utiliser différentes habiletés mentales (telles que la relaxation ou encore l’imagerie mentale) supposées permettre un meilleur contrôle de soi. L’objectif est en effet d’avoir une maîtrise plus grande de son état interne : les pensées, émotions et sensations physiques jugées désagréables doivent être contrôlées, éliminées ou remplacées pour permettre la performance.

De façon schématique, cette approche de la préparation mentale se fonde sur deux « croyances ». D’une part, il existe un état psychologique idéal (flow) associé à un haut niveau de performance qui se caractérise par des pensées, émotions et sensations physiques majoritairement positives et favorables à la performance. D’autre part, les pensées, émotions et sensations négatives et conçues comme antagonistes à la performance (stress, peur, manque de confiance,…) peuvent et doivent être contrôlées (modifiées ou éliminées).

Ces croyances sont bien ancrées dans l’esprit des athlètes et de leur entourage. Pourtant de nombreux athlètes témoignent du décalage qu’ils vivent régulièrement entre ce qu’ils imaginent devoir vivre (cet état psychologique idéal) et ce qu’ils vivent « réellement » : l’expérience du sport de haut niveau est loin d’être une expérience idéale ! Et, plus les athlètes font l’expérience d’un décalage entre ce qu’ils vivent et ce qu’ils devraient vivre, plus ils veulent réduire cet écart en cherchant à modifier leur expérience interne.

« La meilleure façon de se débarrasser d’un ennemi est de prendre conscience qu’il ne s’agit pas d’un ennemi » (Gandhi)

De nombreux exemples montrent que les stratégies basées sur le contrôle sont loin d’être efficaces. Au contraire, il semble plutôt que les solutions mises en œuvre tendent à créer les problèmes qu’elles sont supposées résoudre. Plusieurs éléments confortent ces observations.

En effet, les efforts pour contrôler les pensées, émotions ou sensations physiques (a) ont un effet paradoxal (Janelle, 1999; Wegner, 1994) et (b) bloquent les processus automatiques (Beilock & Carr, 2001; Beilock, Carr, MacMahon, & Starkes, 2002). D’une certaine manière, l’attention que l’athlète porte à son expérience interne le détourne de la tâche à accomplir, ce qui pourrait en partie expliquer l’effet négatif de ces stratégies sur la performance. Ainsi, Murphy et Tammen (Murphy & Tammen, 1998) ont suggéré que les psychologues du sport devraient accorder une plus grande attention à la promotion de stratégies efficaces pour aider les athlètes à prendre de bonnes décisions et à résoudre les défis tactiques que pose leur sport.

Ces observations nous invitent à réenvisager les buts de la préparation psychologique à la performance et à nous poser, ainsi qu’aux athlètes la question suivante : « En quoi les expériences internes désagréables sont-elles un problème dans le contexte de la compétition ? » Cette question est une invitation à d’abord réfléchir sur la relation de l’athlète à son expérience et peut-être à ne plus envisager cette expérience comme un ennemi à combattre.

Or, cette façon différente d’être en relation avec une expérience désagréable n’est pas inconnue pour les sportifs de haut niveau, car ils ont tous (plus ou moins) appris à composer avec un autre « ennemi » : la douleur. Tout sportif de haut niveau fait ou a déjà fait l’expérience de la douleur physique qu’elle soit consécutive à une blessure ou à l’intensité de l’effort.

Nous utilisons la métaphore de la douleur pour inviter l’athlète à porter un regard différent sur l’expérience qu’il peut faire de la compétition.
Qu’est-ce que cela change d’envisager les pensées, émotions ou sensations physiques désagréables comme une douleur au même titre que les autres douleurs qui peuvent accompagner la performance sportive ?

Cette façon différente d’être en relation avec son expérience a été au cœur d’un travail réalisé avec 8 athlètes dans le cadre d’une intervention collective. Pour cette intervention, nous avons utilisé des concepts et outils issus de la thérapie brève orientée vers les solutions et de l’hypnose éricksonnienne. Nous nous sommes également inspiré du cadre théorique et pratique proposé par la thérapie d'ACceptation et d'engagemenT (ACT).

Selon Philippe Vuille , « L'ACT cherche à favoriser l'acceptation des événements privés (pensées, images, sensations) désagréables dans les situations où leur évitement conduit au renoncement à des actions correspondant aux valeurs choisies par le sujet ou à la persistance dans des actions contraires à ses valeurs. Le but poursuivi par l'ACT est donc une flexibilité comportementale accrue. »
Philippe Vuille décrit notamment le processus de « défusion » « qui consiste à détacher, à dénouer les mots et pensées des événements auxquels ils se réfèrent. L’objectif est d’aider le client à créer de la distance entre ce qui est et ce que l’esprit dit que c’est ».

Concrètement, un travail en 4 étapes a été proposé à chaque athlète.

Dans un premier temps, nous avons montré, à travers différents exemples pratiques ou en faisant appel à leur propre expérience, comment les stratégies de contrôle des pensées, émotions et sensations physiques peuvent produire l’effet opposé à l’effet recherché. Nous avons alors utilisé la métaphore de la douleur en demandant aux athlètes d’envisager les pensées, émotions et sensations physiques qu’ils peuvent vivre comme une forme particulière de douleur.

Dans un second temps, nous avons exploré quels enseignements ils pouvaient tirer de la comparaison des stratégies qu’ils utilisent pour gérer ces différentes formes de douleurs (physiques vs mentales). Plusieurs questions ont ainsi permis d’alimenter la réflexion.

Est-il possible d’avoir mal ET d’être performant ?
Est-il possible de jouer AVEC la douleur plutôt que CONTRE la douleur ?
Est-il possible de ne pas AJOUTER de la douleur à la douleur ?
Est-il possible de renoncer au combat CONTRE la douleur ?

Dans un troisième temps, les athlètes ont été invités à réfléchir à des manières différentes d’être en relation avec leurs expériences « désagréables » :
Reconnaître la douleur : admettre, l’existence ou la présence de la douleur
Autoriser la douleur : permettre à la douleur d’exister
Observer la douleur : décrire la douleur comme si l’on était un spectateur de soi-même
Accueillir la douleur : donner une place à la douleur, la recevoir, l’héberger
Inviter la douleur : demander à la douleur de se manifester
Profiter de la douleur : utiliser la douleur pour donner plus de sens à ses objectifs sportifs.

Dans un quatrième temps, les athlètes ont été invités à réfléchir à comment garder à l’esprit les objectifs qu’ils poursuivent « ici et maintenant » (à l’entraînement ou en compétition), et à adopter des comportements en cohérence avec ces objectifs indépendamment de leur expérience, positive ou négative.

Concrètement, les athlètes ont été invités (1) à identifier les situations qui représentent un challenge psychologique pour eux et (2) à y associer un comportement précis qu’ils veulent s’efforcer d’adopter. Le comportement que chaque athlète souhaiterait adopter est discuté collectivement en gardant à l’esprit les réussites antérieures de l’athlète. Des situations d’entraînement ont été construites avec l’entraîneur pour permettre aux athlètes de répéter les stratégies envisagées lors des sessions collectives.
Pour beaucoup d’athlètes, cette façon différente d’envisager l’expérience qu’ils peuvent faire de la compétition leur ouvre de nouvelles possibilités. Plutôt que de combattre leurs pensées, émotions et sensations physiques, ils sont en mesure de penser et de mettre en place d’autres comportements davantage en cohérence avec leurs objectifs sportifs.

Références
Beilock, S. L., & Carr, T. H. (2001). On the fragility of skilled performance: What governs choking under pressure? Journal of Experimental Psychology-General, 130(4), 701-725.
Beilock, S. L., Carr, T. H., MacMahon, C., & Starkes, J. L. (2002). When paying attention becomes counterproductive: Impact of divided versus skill-focused attention on novice and experienced performance of sensorimotor skills. Journal of Experimental Psychology-Applied, 8(1), 6-16.
Gardner, F. L., & Moore, Z. E. (2006). Clinical sport psychology. Champaign, IL: Human Kinetics.
Janelle, C. M. (1999). Ironic mental processes in sport: Implications for sport psychologists. Sport Psychologist, 13(2), 201-220.
Murphy, S. M., & Tammen, V. (1998). In search of psychological skills. In J. L. Duda (Ed.), Advances in sport and exercise psychology measurement (pp. 195-209). Morgantown: Fitness Information Technology.
Wegner, D. M. (1994). Ironic Processes of Mental Control. Psychological Review, 101(1), 34-52.

Rédigé le 02/12/2008 modifié le 04/12/2008
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