A côté de la plaque. Laurent Gross

L'article de Laurent Gross pour la Revue Hypnose & Thérapies Brèves
Hors-Série n°9



Peut-être faut-il l’être un peu pour être un bon hypnothérapeute…

Dimanche 4 janvier 2015. Dix jours avant l’ouverture des formations du Collège. Ce matin-là, seul dans ma cuisine, je découvre la nouvelle « plaque à induction » que nous venons de nous faire installer…
Comme tout praticien qui se respecte, je ne prends ni le temps, ni la peine d’étudier la notice, préférant jouer avec les touches, les effleurer, simplement de prendre le temps de me tromper, de recommencer sans cesse, jusqu’au moment où je trouverai mon propre mode d’emploi, un style, une routine qui me soit propre.
Certains pensent que ces plaques ultra-modernes pourraient se diriger uniquement à la parole, n’obéir qu’à la voix de leur maître… Il n’en est rien. Nous sommes à l’ère du tactile. Voilà qui ne me surprend pas. Joindre le geste à la parole. Je me sens à l’aise car cette plaque à induction, il faut y poser ses doigts pour qu’elle fonctionne.

1. Toucher, respirer

C’est peut-être par ma formation initiale de kinésithérapeute que j’ai, dès mon apprentissage de l’hypnose, ressenti cette pratique comme une possibilité d’accéder d’une autre façon au corps, à l’inconscient éricksonien qui m’a de suite paru éminemment corporel. Ne sommes-nous que des psychothérapeutes, des praticiens utilisant (par exemple) l’hypnose à des fins thérapeutiques, ou notre ambition n’est-elle pas aussi de devenir des praticiens du lien psycho-corporel des psycho-corpo-thérapeutes ? Le corps et l’esprit ne sont-ils pas si intimement liés qu’il faudrait même (ce que beaucoup d’entre nous font) se débarrasser des préfixes et ne garder que le mot thérapeute ?

Je suis toujours surpris au cours des formations et des ateliers de voir comme certains praticiens débutants dont la profession initiale ne comporte pas ou peu d’approche physique, rechignent à toucher leur patient. Comme s’ils se l’interdisaient. Comme s’ils avaient oublié de se rappeler, de se souvenir, ce souvenir de l’époque pas si lointaine que ça d’ailleurs, où ils s’autorisaient à serrer la main, prendre le pouls de leurs patients, poser une main sur le bras ou l’épaule...

« Le premier pas, je veux qu’il fasse le… » Le simple : « Vous permettez que je prenne votre pouls ? », en joignant le geste à la parole, amène une toute autre dimension relationnelle, lien qui va nous rapprocher de notre patient, créer l’alliance thérapeutique, la relation, le rapport comme disaient les anciens. Peut-être déjà le premier pas pour commencer à vivre en nous ce que le patient peut vivre en lui. Et d’observer… Observez ! Son rythme respiratoire, son amplitude, son mouvement. Et déjà de respirer avec la même fréquence, la même amplitude, le même mouvement… D’observer et de l’accompagner dans cet état de synchronisation, simplement de s’autoriser à prendre un patient par la main, et l’emmener…

Le deuxième pas, lui, peut être apporté par un exercice respiratoire simple de la part du patient, qui aspire à… soufflez… voilà… De simples respirations amples et profondes, lesquelles pourront être associées d’un : « Rentrez le ventre, sortez-le, rentrez-le, sortez-le. » Et le troisième pas, comme une mano-induction qui après avoir amené la catalepsie, la main et l’avant-bras à la verticale, et synchronisé la respiration, alors petit à petit, d’un simple tapotis d’un doigt sur le dos de la main, tout en effleurage, au rythme de la respiration, en parfaite synchronisation. Telle une goutte d’énergie amenée par le praticien, telle une goutte d’eau remontant du plus profond de soi-même, une goutte d’eau pouvant rapprocher le patient à la fois « de soi m’aime », à la fois du thérapeute, abaissant ainsi la résistance, à son rythme, en goutte à goutte…

Neurones miroirs… « Nous avons en nous cette capacité merveilleuse d’habiter le corps des autres. Et que les neurosciences nous éclairent aujourd’hui, que nous activons en nous, dans notre corps, des gestes que nous percevons chez l’autre, que nous entrons en résonance avec les intentions, les émotions des autres, nous nous mettons à leur place, nous commençons à vivre en nous, ce qu’ils vivent. » (J.C. Ameisen) De simples contacts, à la fois respiratoires et tactiles, tout en propagation et diffusion, peuvent commencer à faire naître l’empathie, comme ces petites flammes qui peuvent bouger au même rythme.

Cette empathie qui peut naître d’une simple synchronisation des mouvements des corps, des mouvements physiologiques de la respiration, peut-être laisser venir une émotion, par définition ce qui nous met en mouvement.

« Nos émotions et les états affectifs qui y sont liés sont l’une des manifestations les plus profondes du lien intime indissociable qui unit ce que nous appelons notre corps et ce que nous appelons notre esprit. Mais nos émotions sont aussi l’une des manifestations les plus profondes du lien intime et indissociable qui unit notre corps et notre esprit au corps et à l’esprit des autres. » (Ameisen encore) Dans cette induction simple, le patient et le praticien, dans ce plat unique confectionné par eux deux, se mélangent et mijotent ensemble afin de produire de nouvelles saveurs.

« Je suis toute respiration », disait Schultz. Comme il est remarquable que la respiration possède, à elle seule, toutes les composantes du VAKOG. Du visuel avec la perception du mouvement, de l’auditif avec la sonorité, du kinesthésique avec ces muscles qui se mobilisent, de l’odorat à l’inspiration et du gustatif de par le souffle stimulant les papilles caliciformes. A partir de la simple respiration, l’induction démarre déjà pour solliciter l’âme. « L’âme ne me paraît souvent qu’une simple respiration du corps. » (Marguerite Yourcenar)

2. Cuisiner à vue

Dès les premières venues de celle qui en assurait la promotion dans le monde, je me suis intéressé à l’IMO (Intégration par les Mouvements Oculaires, approche cousine de l’EMDR et en suis devenu un praticien passionné et superviseur national pendant de nombreuses années.

Suite à un psychotraumatisme, empiriquement, la plupart des penseurs des approches par les mouvements oculaires expliquent que les souvenirs traumatiques ne sont pas « intégrés » dans la mémoire autobiographique, ce qui pourrait expliquer les réminiscences et autres flashbacks dissociatifs. Les mouvements oculaires en évoquant le trauma, dans un contexte sécure de thérapie (comme en hypnose) et par ce mouvement « physiologique »
des yeux, « forceraient » en somme l’intégration, tout comme nos vécus quotidiens sont « intégrés » quand nos yeux bougent sous nos paupières pendant le sommeil.

Mais il est bon aussi de se souvenir qu’historiquement, les mouvements oculaires existent depuis bien longtemps, dans les pratiques chamaniques et bien évidemment dans l’hypnose depuis toujours, et que c’est même l’origine de la caricature du thérapeute avec le pendule, de l’hypnose de James Braid (celui qui « inventa » le terme « hypnose »), demandant aux patients de fixer un objet brillant…

Les mouvements oculaires ont une fonction hypnotique, c’est une évidence pour qui a fait de l’hypnose et expérimente « l’état » dans lequel on est quand les yeux bougent dans toutes les directions, suivant les doigts du thérapeute.

Les mouvements oculaires sont connus comme induction et approfondissement de transe hypnotique depuis plus de deux siècles, et n’auraient jamais dû quitter le monde de l’hypnose ! Il me semble important (et, me concernant, il me semble évident) de ne pas dissocier les techniques des mouvements oculaires de l’hypnose, aussi bien dans leur apprentissage, que dans la pratique.

L’outil des mouvements oculaires ne peut pas être employé comme un « outil froid », robotisé, dissocié de l’hypnose, dissocié du lien thérapeutique, protocolisé, comme il est souvent décrit dans certains livres de recettes.
Quoi de plus hypnotique en somme que de se remémorer un souvenir et de revenir dans le présent pour en apprécier toutes les composantes du VAKOG ?
Quoi de plus hypnotique comme phénomène, que le mouvement des yeux du patient, poursuivant le mouvement proposé par le thérapeute, amenant inexorablement un rapport, une liaison, une connexion, une relation thérapeutique…

Ainsi pour certains praticiens la position des yeux est révélatrice de la sollicitation d’une modalité sensorielle. Dès lors, les mouvements oculaires vont « mélanger » et intégrer les différentes sensorialités du souvenir au sein du corps et du psychisme de l’individu plus « unifié », intégré et réassocié. Un peu comme si la charge émotionnelle, associée aux souvenirs traumatiques, diminuait significativement en très peu de temps. Comme si des traumatismes pouvaient s’éloigner, s’évaporer, se diluer dans l’espace et dans le temps.

Pour de nombreux praticiens de l’hypnose, ils en sont une extension ou une sous-modalité, avec des principes de fonctionnement et d’efficacité relativement similaires. Focalisation, dissociation, distorsion du temps, absorption, recadrages, suspension partielle de l’éveil, sont des ingrédients tout à fait communs à l’hypnose et aux techniques de mouvements oculaires.

L’Académie nationale de médecine a souligné d’ailleurs dans son rapport en 2013 que : « En pratique, l’état hypnotique est induit par fixation du regard sur un point lumineux ou fixation auditive par écoute d’un son continu, en même temps qu’est remémoré un souvenir. » L’EMDR et l’IMO pourraient n’être alors qu’une des facettes de l’hypnose.

3. Association, intégration

Erickson disait à ses élèves : « Ne faites pas “du Erickson”, faites du “vous-mêmes”.» Kiné, psychothérapeute, praticien en IMO, en hypnose, en thérapies brèves et amateur de cuisine depuis le siècle dernier, j’ai essayé certaines variantes, certaines adaptations, et j’ai pu trouver certains points communs, certaines « intégrations » possibles entre les différents modèles et les différentes techniques. Autant vous le dire, ça n’a pas plu aux puristes : être soi-même pour être utile n’est pas au goût des amateurs de protocoles ; être concret et pragmatique, naviguer à vue, se définir comme un « travailleur manuel », ne convient pas toujours aux esprits supérieurs attachés à trouver « la » stratégie infaillible et toujours reproductible. En somme, j’étais à côté de la plaque !

Après une vingtaine de milliers d’actes en hypnose et IMO, après avoir entendu tout et son contraire, j’en suis venu à me dire que le but de l’hypnose, au fond, n’était pas dans la dissociation (qui n’est qu’un moyen), mais dans l’association. Que le but des mouvements oculaires était bien l’intégration des souvenirs, une intégration bien plus que « mécanique » ou « neuronale », une intégration dans la vie et l’identité du patient, une intégration dans le corps, dans la globalité. Une approche intégrative s’entend, selon moi, comme une intégration de divers ingrédients thérapeutiques, harmonieusement mêlés, mais aussi comme une « intégration du patient à lui-même », une remise à sa « place », au sens où l’entend Roustang, où le psychisme n’est qu’une des fonctions du corps parmi d’autres, où le cerveau n’est qu’un organe parmi d’autres, relié aux autres.

J’ai laissé la sauce se reposer, de même qu’il est essentiel de dormir, de se poser, de rêver, et que le repos va permettre à notre esprit d’inscrire nos souvenirs à l’intérieur de nous-mêmes. Au niveau de l’hippocampe, nos souvenirs récents vont s’inscrire en nous, et pouvoir ainsi se transformer progressivement en souvenirs durables et intégrés. Ce fut mon induction de thérapeute, mon intégration de solutions.

Cela a commencé en me disant que les mouvements oculaires induisaient l’hypnose en massant ou en « touillant » le cerveau, mettant en prise directe le patient avec le fond de sa casserole. Ces mouvements oculaires ne seraient que la spatule inductive, dirigée et utilisée par le thérapeute, avec l’empathie nécessaire pour accompagner la réussite de ses plats. Et favoriser ainsi une meilleure digestion.

Comme il est agréable alors de pouvoir jouer avec les ingrédients, de mélanger le sucré et le salé, le chaud et le froid, l’aigre et le doux. La liberté du choix et du mélange des ingrédients apportant une dimension plus forte à la relation thérapeutique. Au-delà des hypothèses, la pratique de terrain et l’efficacité empirique semblent avoir de l’avance sur la recherche fondamentale de l’explication de ces phénomènes, comme le dit aussi le grand cuisinier québécois Gaston Brosseau partageant un savoir issu de son expérience clinique.

Il me semble que le temps ne doit pas être à créer sans cesse un « nouveau modèle » de plus, une nouvelle recette, à déposer une marque ou à révolutionner la thérapie, mais plutôt rendre accessible aux soignants la possibilité d’intégrer des outils efficaces de diverses natures au service des patients, de proposer une carte encore plus riche en goût. Milton Erickson utilisait les ingrédients de base que lui apportait le patient, et cuisinait des plats différents remplis de créativité, avec son flair, son intuition légendaire de l’induction, avec un toucher si particulier, comme le cuisinier inventant à chaque instant une nouvelle recette, une nouvelle surprise, et confusionnant ainsi les papilles et l’odorat, organisant à sa façon la rencontre entre la personnalité du soignant cuisinier et du patient client...

« Faire du soi-même », trouver son style, de soignant, d’enseignant.
Enseigner l’hypnose et les thérapies brèves, avec le toucher, avec les mouvements oculaires me semble une évidence. Et pour vous ? Quelle est votre induction de thérapeute ? Roustang parle de suggestion au long cours, mais il y a peut-être une induction au long cours. Il n’y a rien d’autre que l’induction. Pour le patient, c’est entrer dans son corps, entrer en lui-même, entrer en relation, trouver les ressources nécessaires. Pour le thérapeute, c’est aussi remettre son métier sur l’ouvrage et se découvrir lui-même, se laisser venir, entre technique et intuition, entre outils et intégration.

Et puis peut-être aussi que l’induction n’existe pas, et que le patient l’a déjà en lui, que le corps entier serait cette plaque à induction, prête à l’emploi, pouvant se mettre en marche au moindre toucher, au moindre mouvement des yeux, au moindre son, à la moindre odeur ou saveur. Une plaque à induction à 5 feux, les 5 sens du VAKOG, et que chacun d’eux pouvait jouer leur partition, de concert, sous la spatule du chef d’orchestre amenant le lien et le liant.

Et les signes de cantillation des versets bibliques s’appellent les « ta’amim», littéralement les « goûts ». Les sens se mélangent. Ameisen encore, citant Roland Barthes : « Il est un âge où l’on enseigne ce que l’on sait, mais il en vient ensuite un autre où l’on enseigne ce que l’on ne sait pas : cela s’appelle “chercher”. Vient peut-être maintenant l’âge d’une autre expérience, celle de désapprendre, de laisser travailler le remaniement imprévisible qu’un oubli impose à la sédimentation des savoirs et cultures, des croyances que l’on a traversées. Cette expérience a, je crois, un nom illustre et démodé, au carrefour même de son étymologie : “sapientia” : l’habilité, le goût, la délicatesse du palais. »

Laurent GROSS, Vice Président de France EMDR-IMO ®

Président du CHTIP Collège d'Hypnose et Thérapies Intégratives de Paris,

Président de l'Institut In-Dolore,

Vice Président de France EMDR-IMO ®

Enseignant au DU de Psychothérapie Intégrative de Strasbourg ainsi qu'à l'AP-HP.

Conférencier International.

Ex-Kinésithérapeute depuis 1984, certifié Psychothérapeute par l'ARS en 2013, Hypnothérapeute, Certificateur EMDR IMO.

Formation en Hypnoanalgésie à Paris

Le CHTIP, Collège d'Hypnose & Thérapies Intégratives de Paris, vous propose une formation hors du commun, avec des professionnels de la douleur.

De Chantal Wood à Catherine Wolff, en passant par Guillaume Belouriez, Sophie Cohen, Florent Hamon, Mariline Morcillo, Nazmiye Guler, Théo Chaumeil et bien d'autres encore à venir, Philippe Aïm et Laurent Gross organisent cet évènement exceptionnel avec des thérapeutes de renommée en hypno-analgésie.

https://www.hypnose-ericksonienne.org/Formation-Hypnose-Douleur-a-Paris_a701.html

Rédigé le 06/05/2015 modifié le 16/05/2023
Lu 2659 fois

- Formateur en Hypnose Médicale, Ericksonienne et EMDR - IMO au CHTIP Collège Hypnose Thérapies… En savoir plus sur cet auteur


Dans la même rubrique :