Introduction
De même que les progrès des sciences et techniques nous rendent capables de transformer le monde dans lequel nous vivons, avec les dangers que nous connaissons, l’avancée des connaissances en psychologie et la multiplication des méthodes nous font courir le risque de devenir capables d’obtenir presque tous les changements souhaités. Si nous sommes tous, bien légitimement, désireux d’utiliser les méthodes les plus efficaces pour aider, le risque que le changement visé ne se trouve pas en accord avec un environnement en constante évolution est grand.
Nous sommes tous les jours émerveillées, en utilisant l’hypnose et/ou le paradoxe, par la façon dont les patients accèdent à leurs propres ressources et à celles de leur environnement. Mais de longues années de pratique clinique nous ont aussi appris que, si la maîtrise de la technique est une condition indispensable, elle n’est pas suffisante pour donner à ceux que l’on aide la liberté d’utiliser leurs propres compétences. C’est même parfois l’inverse
qui se passe : plus le thérapeute est compétent, moins le patient l’est. Gregory Bateson regrettait que les cliniciens qui étudiaient le travail d’Erickson n’en aient retenu que les outils, négligeant la dimension particulière de sa « présence systémique ». Cette « présence systémique », cette « disposition du thérapeute », comme l’a parfois dit François Roustang, implique de ne pas attendre un résultat spécifique.
De la systémie au non-vouloir…
cet exposé. Nous montrerons comment, au quotidien, la prise en compte de la nature systémique du monde nous conduit à utiliser l’hypnose et le paradoxe dans une posture de « non-vouloir ».
Nous évoquerons les difficultés et les bénéfices qu’il y a à adopter une telle posture.
Mais tout d’abord, nous direz-vous, pourquoi donc vouloir ne pas vouloir ? En tant que médecins, notre rôle n’est- il pas justement de vouloir soulager la
souffrance, de vouloir libérer les patients de leurs symptômes ?
Ce désir d’aider l’autre n’est-il pas tout simplement humain ? Le non-vouloir ne serait-il pas une forme d’indifférence, d’inhumanité ?
Bien sûr, si nous avons choisi de devenir médecins, c’est avec l’idée de soigner. Et, par la suite, si nous avons cherché à enrichir notre pratique de psychiatres par d’autres techniques, c’est avec la volonté de mieux soulager nos patients. Pour ce faire, nous nous sommes formées à l’hypnose ericksonienne et à la Thérapie brève de Palo Alto qui nous ont permis d’obtenir des résultats bien plus satisfaisants.
La satisfaction du patient comme critère de réussite...
Nous avons acquis de nouveaux outils, mais aussi un nouveau regard sur les situations : par exemple, nous n’évaluons plus la qualité des résultats de la thérapie en fonction d’une norme de bonne santé mentale, mais en nous référant à la satisfaction du patient.
L’hypnose apparaît comme une thérapie douce, une technique toute simple qui permet d’obtenir des changements rapides.
La Thérapie brève de Palo Alto, inspirée, entre autres, par le travail de Milton Erickson qui utilisait fréquemment le paradoxe,
permet elle aussi des changements spectaculaires grâce à une intervention paradoxale minimaliste : amener le patient à arrêter ses tentatives de solution, c’est-à-dire à cesser de faire ce qu’il fait pour résoudre son problème et qui ne marche pas. Il est paradoxal de proposer à quelqu’un, qui vient demander de l’aide pour un changement, de cesser d’essayer de changer.
Induire le changement par le paradoxe, arrêter d’échouer…
Les résultats obtenus avec l’hypnose, comme ceux obtenus avec l’arrêt des tentatives de solution, ont un côté un peu « magique » et parfois même « miraculeux » qui fascine, qui suscite la curiosité : comment cela se fait-il ? comment cela marche-t-il ?
D’une école à l'autre, comment émerge le changement ?
Nous nous sommes intéressées à quelques-unes des hypothèses émises sur ce que produisent ces techniques.
En s’éloignant de la croyance traditionnelle qui voyait la transe hypnotique comme un état de plus grande réceptivité aux suggestions de l’hypnotiseur, la conception ericksonienne propose de comprendre l’hypnose comme un moyen d’accéder aux ressources de l’esprit inconscient bienveillant.
Avec cette vision de l’hypnose, nous proposerions par exemple à une patiente souffrant de fortes douleurs postopératoires de s’imaginer confortablement allongée sur sa plage préférée, agréablement réchauffée par les rayons du soleil, doucement bercée par le flux et le reflux des vagues, admirant le scintillement de la lumière sur la mer… et nous ferions confiance à son esprit inconscient pour lui permettre de soulager sa douleur.
Activer les ressources personnelles du patient...
Dans la conception de François Roustang, la transe hypnotique permet d’accéder à un mode de perception global dans lequel les repères habituels sont mis en suspens : il n’y a plus de temps, plus d’espace, plus de réflexion pour trouver des solutions, plus de sujet ou d’objet, seul reste le flux de la vie.
Par cette compréhension de l’hypnose, nous proposerions à cette même patiente crispée sur « plus de la même chose ».
En retrouvant cette liberté, elle pourra accéder à de nouvelles solutions.
Avec cette méthode, nous proposerions à la patiente d’observer attentivement sa douleur, sans chercher à s’en défendre, de l’intensifier même un peu par moments… et nous penserions qu’en relâchant sa tension à lutter contre la douleur, elle serait plus disponible pour trouver, dans d’autres interactions avec elle-même et avec son environnement, un soulagement.
Les raccourcis que nous faisons ici montrent à quel point les théories explicatives et la façon de procéder de l’hypnose sont proches de la stratégie paradoxale. On pourrait dire qu’en faisant confiance à son esprit inconscient plein de ressources, le patient cesse ses tentatives de solution et qu’en cessant ses tentatives de solution, il se remet dans le flux de la vie.
Les limites du changement
Les effets négatifs, s’ils sont d’un ordre très différent de ceux des médicaments par exemple, peuvent être tout à fait préjudiciables à la santé du patient, mais aussi à sa propre estime ou à l’équilibre du système dans lequel il vit.
Quelle image de lui-même aura un patient à qui l’on aura prouvé qu’il peut être mis en transe alors qu’il était certain de pouvoir y résister ?
Qu’a dû penser d’elle-même cette femme qui s’est effondrée en larmes après une unique séance d’hypnose qui, en une minute à peine, a débloqué son cou tordu depuis des années par un torticolis irréductible ? Qu’a bien pu penser d’elle sa famille ? Qu’elle était une simulatrice ?
Qu’elle leur avait gâché la vie pendant des années pour rien ?
Une collègue nous a horrifiées en nous racontant comment, lors de sa formation, les deux formateurs lui avaient « prouvé » la puissance de l’hypnose en utilisant la technique de l’induction à deux voix et en lui pinçant violemment l’intérieur des cuisses alors qu’elle ne sentait rien. Les hématomes ont témoigné de l’efficacité de la méthode… et l’en ont aussi dégoûtée. Plus le thérapeute est compétent, moins le patient peut l’être.
Plus le thérapeute est tendu vers l’objectif, plus il entraîne le patient dans cette tension, et moins le résultat aura de chance d’être écologique.
Mais que signifie l’écologie dans le domaine de la thérapie ?
La place de l'écologie dans la thérapie
entretiennent avec eux-mêmes et avec les autres personnes.
Ainsi, si un patient vient nous demander de l’aider à changer quelque chose chez lui, nous ne pouvons ignorer que ce changement aura des répercussions sur les personnes avec lesquelles il est en interaction, et nous devons nous inquiéter de savoir si ces répercussions ne risquent pas de lui poser d’autres problèmes.
Nous devons évaluer, en fonction de ce que nous savons de son environnement et surtout en le questionnant, les risques des changements collatéraux,
évaluer l’écologie du changement. Cette évaluation ne peut être qu’approximative et partielle parce qu’il est totalement impossible, du fait de la complexité des systèmes humains, de prévoir tout ce qui peut se passer.
Si une personne arrête de fumer, avec ou sans l’aide de l’hypnose, cela aura forcément d’importantes répercussions dans sa vie, bien au-delà des bienfaits pour sa santé. Les gestes, depuis l’ouverture du paquet de cigarettes jusqu’à l’écrasement du mégot dans le cendrier, sont inscrits dans son comportement depuis des dizaines d’années, ils font partie d’elle en quelque sorte. Que fera-t-elle alors de ses bras, de ses mains, de ses lèvres ? Elle aura une apparence différente, à ses propres yeux comme aux yeux des autres. Sans parler de la prise de poids qui résultera du ralentissement de son métabolisme en l’absence de nicotine. Cette absence de nicotine modifiera aussi les taux des neurotransmetteurs dans son cerveau, et même si ce n’est que transitoire, son humeur risque fort de changer ; elle pourrait se trouver angoissée, voire déprimée.
Et que fera-t-elle sans les pauses cigarettes qui l’aidaient à tenir le coup au cours de ses lourdes journées de travail ? Comment fera-t-elle pour affronter les situations stressantes ?
Par ailleurs, son entourage pourrait mal supporter son irritabilité. Et si elle un conjoint fumeur, supportera-t-elle qu’il continue de fumer à côté d’elle ?
Personne ne peut prédire ce qui va se passer, mais nous savons que c’est souvent l’anticipation des répercussions négatives qui empêche les gens d’arrêter de fumer ou l’apparition de ces répercussions qui entraîne la reprise de la consommation.
Plus nous sommes tendus vers l’objectif d’aider le patient à changer, dans le sens d’une norme de bonne santé mentale ou dans le sens qu’il nous demande, plus grand est le risque que nous négligions l’indispensable réflexion sur les conséquences du changement. Et même si nous savons que cette anticipation ne peut tout prévoir, elle seule permet de se préparer à gérer les difficultés à venir ou, parfois, quand les inconvénients dépassent les avantages, à renoncer au changement. Plus nous voulons à toute force un changement, plus grand est le risque que le changement obtenu ne soit pas écologique. Le problème se pose d’ailleurs à l’échelle planétaire : la tension vers un objectif, par exemple la croissance dont on parle tant aujourd’hui, est gravement anti-écologique. Peut-être savez-vous que depuis le 13 août, l’humanité vit au-dessus de ses moyens. C’est ce que nous apprend l’ONG Global Footprint Network. Depuis cette date-là, nous avons consommé toutes les ressources naturelles renouvelables que la planète peut produire en un an. C’est ainsi tous les ans depuis 1970 et la date avance de trois jours par an. Notre incapacité à prendre en compte la nature systémique du monde, c’est-à dire le fait que tous les éléments sont reliés entre eux, provoque des catastrophes écologiques. Le désastre ne concerne pas que les fleuves, les cultures ou les glaciers. En même temps que nous faisons progresser les méthodes de traitement des maladies, l’ignorance de notre propre nature systémique met en péril notre santé, aussi bien physique que mentale.
Ancien psychiatre des hôpitaux, psychiatre libéral, Paris. Co-fondatrice de PARADOXES
(Association pour la recherche et le développement en Thérapie Brève et Intervention Systémiques – www.paradoxes.asso.fr). Co-fondatrice et responsable de l’École du Paradoxe (formation à l’Intervention Systémique Paradoxale – modèle de Palo Alto – www.ecoleduparadoxe.com).
Chantal Gaudin
Psychiatre et psychothérapeute FMH, en pratique libérale à Genève. Co-fondatrice de PARADOXES
(Association pour la recherche et le développement en Thérapie Brève et Intervention Systémiques – www.paradoxes.asso.fr. Co-fondatrice de l’École du Paradoxe (formation à l’Intervention Systémique Paradoxale – modèle de Palo Alto– www.ecoleduparadoxe.com).
Les pages d’une année qui s’achève se referment à peine. Déjà, fruits de l’automne, des feuilles vierges virevoltent et s’offrent à nous pour de nouveaux chapitres à écrire. Et puis l’inattendu survient, juste là, lorsqu’on s’y attend le moins.
Roxanna nous a ouvert les pages de ce premier numéro de l’année. Nul autre que son père Milton ne pouvait en conclure les articles. Il nous démontre en pratique comment l’utilisation des résistances chez cet enfant va l’accompagner vers le succès. Il fallait oser…
Depuis l’aube de l’humanité, le soin nous accompagne. Sa perception par le patient, le ressenti, sont empreints de son rapport à la science, la technologie. Qu’en est-il de la relation ?
Dans ce remarquable article, Jean-François Marquet, pédopsychiatre et praticien en hypnose, nous démontre que les étiquettes liées à la nosographie et qui collent aux patients sont souvent délétères. Il vous révèle tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur l’hyperactivité de l’enfant et aussi quelques-uns de ses secrets thérapeutiques.
Un voyage mouvementé..
Le Dr Erickson Klein, l’une des filles de Milton H. Erickson, lève ici le voile, en exclusivité pour notre revue et pour la première fois, sur son point de vue de l’essence de la contribution de Milton Erickson à la psychothérapie. Son opinion que l’« Espoir » représente mieux encore l’élément central du travail d’Erikson que l’« Utilisation » est présentée et renforcée par l’histoire personnelle de sa vie dans la maison familiale avec son père.
Il pleut. Il devrait neiger. Il ne neige pas, il pleut. Donc, il ne fait pas beau vu qu’il pleut et il ne neige pas.
La météo est le contenu le plus rapidement disponible quand on ne sait pas quoi dire.
Si notre conception du temps en thérapie, telle que nous l’exposons lors de nos séminaires*, veut que passé, présent et futur coexistent en permanence, alors tout devient possible. Boire aux racines du temps écoulé pour le (re)-vivre autrement et dessiner un présent initiateur de nouvelles graines du futur. Elles germeront pour éclore en des instants créatifs et intuitifs. Ainsi fut construit ce premier numéro de l’année, dans l’urgence et la passion, autour de l’équipe naissante présentée dans l’édito.
Avant de monter dans le train ; il y a l’expérience de la gare. Cet endroit souvent ouvert aux quatre vents. Toutes sortes de voyageurs s’y pressent. Il y a les hommes et les femmes d’affaires avec leurs ordinateurs qui ont l’air si sérieux.